Liberté de presse au Maroc: Tout reste à faire
Par Larbi le lundi, mai 3 2010, 00:45
Reprenons. En cinq mois, de juin à octobre 2009, un journal marocain a été fermé, cinq numéros de publications étrangères ont été interdits d’entrée au Maroc. 2 millions d’euros de dommages et intérêts ont été prononcés à l’encontre des journaux, 18 mois de prison ferme et 110 mois de prison avec sursis à l’encontre des journalistes et l’un a deux est actuellement incarcéré.
Ce qui n’empêche pas le sous-ministre de la communication de déclarer aujourd’hui, dans un de ces moments de délire que « pour tous les organes de presse écrite ou audiovisuelle marocains, l’exercice de la profession se déploie dans une normalité encadrée par des règles qui se réfèrent aux grands standards démocratiques internationaux ».
Toutes ces affaires ont en commun trois constantes qui caractérisent en général les délits de presse au Maroc.
La première constante concerne l’arbitraire du déclenchement des poursuites. Les codes pénal et de la presse marocains punissent sévèrement l’affranchissement ce qu’on appelle les lignes rouges (Monarchie, Islam, Sahara). Problème : ces lignes sensées définir le « sacrée » sont floues et extensibles à l’envie au bon vouloir du parquet et sa hiérarchie judiciaire. Le numéro incriminé de Akhbar Al yaoume avait été mis en vente durant tout un week-end et nul n’y a vu un outrage au drapeau ni un manque de respect au prince. Après trois jours de vente quelqu’un a décidé qu’il y a matière de fermer un journal. Et c’est bien cela le problème de la presse au Maroc : c’est un métier à risque qui s’exerce sur un terrain miné de lignes rouges, dont nul ne sait où commencent et où finissent. Le secrétaire général de Reporters sans frontières, Jean-François Julliard, résume bien la situation « Les Marocains eux-mêmes n’arrivent pas toujours à comprendre ce qui se passe chez eux. Pour des étrangers, c’est encore plus difficile, d’autant que le régime marocain est assez imprévisible ». Tous les journalistes marocains indépendants vous le diront : c’est un métier très risqué, du jour au lendemain la foudre peut s’abattre sur n’importe quelle rédaction au gré de l’arbitraire des autorités. Comment parler du roi du Maroc, chef de l’Etat et chef de l’exécutif, qui décide de la destinée de 30 millions de Marocains alors que la loi l’élève au rang du sacré ? C’est intenable. D’autant plus qu’après dix ans de règne « Le pouvoir politique considère qu’il n’a plus besoin d’être libéral » comme le note Driss Ksikes, ancien journaliste condamné à trois ans de prison avec sursis pour atteinte à la sacralité et qui a préféré quitter le journalisme au lieu de s’autocensurer.
La deuxième constante concerne les juges. Il y a les lois et il y a les juges qui appliquent les lois. Ca fait au moins ça de gagné : Contrairement à l’imprévisibilité des autorités marocaines, le comportement des juges est clair et ne supporte aucune ambiguïté. Dans les affaires de sacralité, si vous êtes poursuivis, vous êtes automatiquement condamnés. Le fait est que jusqu’à preuve du contraire, au Maroc de Mohammed VI comme au Maroc de Hassan II, jamais aucun juge n’oserait acquitter dans une affaire dont la famille royale est partie prenante. Cela ne s’est tout simplement jamais produit. Quitte à recourir parfois à des acrobaties judiciaires inimaginables. Dans l’affaire Tel Quel, il n’existe aucun texte de loi qui interdit des sondages d’opinion sur le roi du Maroc. En décembre 2006, un projet de loi avait bien été envisagé pour les interdire mais il a été abandonné. Que fait alors le juge dans pareille situation pour entériner l’interdiction administrative du journal ? Il ne craint pas le ridicule et motive son jugement comme suit : « c’eût été improductif d’invalider l’interdiction, puisque de toute façon, les exemplaires saisis avaient déjà été détruits ». Mais il y’a pire. Quand il s’agit du roi, les juges marocains oublient même le baba de leur mission à savoir juger avec humanité. En 2007, Ahmed Nasser a été condamné à trois ans pour avoir scandés des slogans visant le roi Mohammed VI. Il meurt en prison. Il avait 95 ans. Quatre-vingt-quinze ans. Ni sa sénilité avérée ni son état de santé paralytique n’étaient suffisants pour lui trouver grâce auprès du juge. Il a envoyé un vieillard en fin de vie mourir en prison. Sans pitié et sans cœur.
Chacun comprendra aisément que même avec le meilleur code pénal et le plus libéral des codes de presse du monde, les juges marocains continueront à prononcer systématiquement des peines pour délit d’opinion et délit de presse dès qu’il s’agit d’atteinte aux sacralités . Parce qu’ils ne jugent pas selon les textes de lois, mais selon les coutumes d’usage. Et surtout parce qu’ils ont peur . «Dès qu’il est question de la royauté, on ne rigole plus. La loi devient immédiatement hors sujet, et tous ceux qui sont supposés en garantir le respect n’obéissent plus qu’à une chose : la peur. Peur que quelqu’un, quelque part, puisse les accuser de complaisance envers un “ennemi” de la royauté – même présumé, même considéré tel pour des raisons stupides. » résume un éditorialiste marocain.
La troisième constante n’est pas la moins inquiétante car elle révèle une régression majeure dans la culture politique marocaine. Les récentes affaires de presse ont été révélatrices des lâchetés contemporaines. Quoiqu’en disent les observateurs, il faut se rendre à l’évidence : Hormis quelques associations marocaines et acteurs associatifs et hormis quelques journalistes et internautes, il existe probablement une large majorité de Marocains qui approuvent, comprennent et trouvent justes ces exactions. Quant à la classe politique censée soutenir la liberté d’expression, elle compte dans ses rangs plus de courtisans que de militants. Et ceci ne laisse rien présager de bon. Le roi Mohammed VI jouit d’une vraie popularité au Maroc si bien que quoi que soient les motifs de poursuites envers les journalistes, souvent arbitraires, et les condamnations, souvent sévères, ils ne suscitent pas de rejet et ne soulèvent pas grande indignation dans l’opinion publique. On épargnera ici au lecteur un rappel de l’histoire contemporaine du Maroc mais le fait est que durant les dernières années l’opposition politique a été laminée si bien que les seuls opposants aujourd’hui sont…. les journalistes. Naguère, on interdisait au Maroc des journaux pour avoir contesté en termes virulents les fondements du pouvoir et attaqué frontalement le roi. Aujourd’hui on les interdit pour un rien, une caricature ou un sondage dans l’indifférence générale. Naguère, il y avait au Maroc un relais politique fort, une classe politique solide, même contrôlée, qui se battait contre le pouvoir absolu. Aujourd’hui il y a au Maroc un pouvoir quasi-absolu et point de contre-pouvoir si ce n’est celui de la presse. Naguère, il y avait au Maroc une culture et conscience politiques vigilantes, aujourd’hui c’est à qui s’approchera le plus du pouvoir et ses hommes qui sont arrivés à convaincre les Marocains que le progrès économique est une « faveur » qui leur est accordée.
En écrivant cela, je suis conscient que cela va intriguer et troubler le lecteur. Bien sûr que les libertés ont beaucoup progressé durant le règne de Mohammed VI, son défunt père avait placé la barre si bas qu’il était facile de la franchir. Mais le fait est qu’on est resté sur les acquis des deux premières années du règne du roi et que depuis les libertés ont stagné. Le fait est qu’en contrepartie la culture politique a largement régressé : Pour beaucoup d’hommes politiques et acteurs de la société civile, et pour beaucoup de Marocains, en matière de libertés tout a été accompli en 1999-2002 et le mieux à faire aujourd’hui est de remettre son destin aux mains du roi et ses hommes. Quitte à fermer les yeux sur les exactions perpétrées à l’encontre des libertés d’opinion et d’expression. Nos voisins tunisiens en savent quelque chose sur ce modèle.
On dit parfois que poser la question, c’est déjà y répondre. Et en rappelant ces trois constantes, je n’entends pas esquiver la question « Que faut-il donc pour qu’une liberté réelle de la presse, puisse s’établir au Maroc » . Bien sûr changer les textes de loi, préciser les lignes rouges, est indispensable et capital ne serait-ce que pour limiter les peines de prison. Mais ça ne résoudra pas le problème. On l’a vu, on peut condamner aujourd’hui pour un délit qui n’est même pas prévu par la loi. Parce qu’il y a la loi et il y a ce maillon faible qui applique la loi et qui s’appelle la justice. Issus de la filiale droit de l’enseignement public, les juges ne sont pas intellectuellement et juridiquement mieux lotis que n’importe quel agent de l’autorité ou caïd du coin. Sans doute il faudra diversifier les voies d’accès à la fonction de juge au Maroc pour lui apporter plus de fraîcheur, un peu d’audace et peut-être plus d’indépendance.
Ces mesures « techniques » bien qu’indispensables ne résolvent pas le problème qui est bien plus profond et infiniment plus compliqué. D’une part, je le dis la mort dans l’âme, il ne me semble pas que la société marocaine est demandeuse de réformes pour garantir plus de liberté en tout cas c’est loin d’être son premier souci. D’autres part, je ne crois pas qu’il faut compter sur une initiative par le haut. Le roi Mohammed VI a certainement beaucoup de qualités mais il n’a aucunement la qualité de la fibre démocratique. En absence de force politique capable de porter ces aspirations je crains que le statu quo se maintienne pour encore des années.
La priorité aujourd’hui, me semble-t-il, est de stopper l’hémorragie de la culture politique. Sans culture politique, il n’y a point de liberté de la presse. Avec la conscience que durant les prochaines années, il y aurait encore des censures et interdictions, ne serait-ce que pour « réguler » le champ de liberté, et qu’il y aurait encore des autocensures, ne serait-ce que pour échapper à l’arbitraire. Avec la conscience que la transition démocratique entamée il y a plus de dix ans n’est pas prête de s’achever dans un horizon moyen. Il y a aujourd’hui un impératif de re-construire une culture démocratique. Avec la conscience qu’il faut faire œuvrer beaucoup de courage pour ne pas laisser vaciller la flamme de liberté d’expression et beaucoup de pédagogie pour expliquer qu’en matière de liberté d’expression tout n’a pas été accompli et qu’au contraire tout reste à faire.
Par Larbi le lundi, mai 3 2010, 00:45
Reprenons. En cinq mois, de juin à octobre 2009, un journal marocain a été fermé, cinq numéros de publications étrangères ont été interdits d’entrée au Maroc. 2 millions d’euros de dommages et intérêts ont été prononcés à l’encontre des journaux, 18 mois de prison ferme et 110 mois de prison avec sursis à l’encontre des journalistes et l’un a deux est actuellement incarcéré.
Ce qui n’empêche pas le sous-ministre de la communication de déclarer aujourd’hui, dans un de ces moments de délire que « pour tous les organes de presse écrite ou audiovisuelle marocains, l’exercice de la profession se déploie dans une normalité encadrée par des règles qui se réfèrent aux grands standards démocratiques internationaux ».
Toutes ces affaires ont en commun trois constantes qui caractérisent en général les délits de presse au Maroc.
La première constante concerne l’arbitraire du déclenchement des poursuites. Les codes pénal et de la presse marocains punissent sévèrement l’affranchissement ce qu’on appelle les lignes rouges (Monarchie, Islam, Sahara). Problème : ces lignes sensées définir le « sacrée » sont floues et extensibles à l’envie au bon vouloir du parquet et sa hiérarchie judiciaire. Le numéro incriminé de Akhbar Al yaoume avait été mis en vente durant tout un week-end et nul n’y a vu un outrage au drapeau ni un manque de respect au prince. Après trois jours de vente quelqu’un a décidé qu’il y a matière de fermer un journal. Et c’est bien cela le problème de la presse au Maroc : c’est un métier à risque qui s’exerce sur un terrain miné de lignes rouges, dont nul ne sait où commencent et où finissent. Le secrétaire général de Reporters sans frontières, Jean-François Julliard, résume bien la situation « Les Marocains eux-mêmes n’arrivent pas toujours à comprendre ce qui se passe chez eux. Pour des étrangers, c’est encore plus difficile, d’autant que le régime marocain est assez imprévisible ». Tous les journalistes marocains indépendants vous le diront : c’est un métier très risqué, du jour au lendemain la foudre peut s’abattre sur n’importe quelle rédaction au gré de l’arbitraire des autorités. Comment parler du roi du Maroc, chef de l’Etat et chef de l’exécutif, qui décide de la destinée de 30 millions de Marocains alors que la loi l’élève au rang du sacré ? C’est intenable. D’autant plus qu’après dix ans de règne « Le pouvoir politique considère qu’il n’a plus besoin d’être libéral » comme le note Driss Ksikes, ancien journaliste condamné à trois ans de prison avec sursis pour atteinte à la sacralité et qui a préféré quitter le journalisme au lieu de s’autocensurer.
La deuxième constante concerne les juges. Il y a les lois et il y a les juges qui appliquent les lois. Ca fait au moins ça de gagné : Contrairement à l’imprévisibilité des autorités marocaines, le comportement des juges est clair et ne supporte aucune ambiguïté. Dans les affaires de sacralité, si vous êtes poursuivis, vous êtes automatiquement condamnés. Le fait est que jusqu’à preuve du contraire, au Maroc de Mohammed VI comme au Maroc de Hassan II, jamais aucun juge n’oserait acquitter dans une affaire dont la famille royale est partie prenante. Cela ne s’est tout simplement jamais produit. Quitte à recourir parfois à des acrobaties judiciaires inimaginables. Dans l’affaire Tel Quel, il n’existe aucun texte de loi qui interdit des sondages d’opinion sur le roi du Maroc. En décembre 2006, un projet de loi avait bien été envisagé pour les interdire mais il a été abandonné. Que fait alors le juge dans pareille situation pour entériner l’interdiction administrative du journal ? Il ne craint pas le ridicule et motive son jugement comme suit : « c’eût été improductif d’invalider l’interdiction, puisque de toute façon, les exemplaires saisis avaient déjà été détruits ». Mais il y’a pire. Quand il s’agit du roi, les juges marocains oublient même le baba de leur mission à savoir juger avec humanité. En 2007, Ahmed Nasser a été condamné à trois ans pour avoir scandés des slogans visant le roi Mohammed VI. Il meurt en prison. Il avait 95 ans. Quatre-vingt-quinze ans. Ni sa sénilité avérée ni son état de santé paralytique n’étaient suffisants pour lui trouver grâce auprès du juge. Il a envoyé un vieillard en fin de vie mourir en prison. Sans pitié et sans cœur.
Chacun comprendra aisément que même avec le meilleur code pénal et le plus libéral des codes de presse du monde, les juges marocains continueront à prononcer systématiquement des peines pour délit d’opinion et délit de presse dès qu’il s’agit d’atteinte aux sacralités . Parce qu’ils ne jugent pas selon les textes de lois, mais selon les coutumes d’usage. Et surtout parce qu’ils ont peur . «Dès qu’il est question de la royauté, on ne rigole plus. La loi devient immédiatement hors sujet, et tous ceux qui sont supposés en garantir le respect n’obéissent plus qu’à une chose : la peur. Peur que quelqu’un, quelque part, puisse les accuser de complaisance envers un “ennemi” de la royauté – même présumé, même considéré tel pour des raisons stupides. » résume un éditorialiste marocain.
La troisième constante n’est pas la moins inquiétante car elle révèle une régression majeure dans la culture politique marocaine. Les récentes affaires de presse ont été révélatrices des lâchetés contemporaines. Quoiqu’en disent les observateurs, il faut se rendre à l’évidence : Hormis quelques associations marocaines et acteurs associatifs et hormis quelques journalistes et internautes, il existe probablement une large majorité de Marocains qui approuvent, comprennent et trouvent justes ces exactions. Quant à la classe politique censée soutenir la liberté d’expression, elle compte dans ses rangs plus de courtisans que de militants. Et ceci ne laisse rien présager de bon. Le roi Mohammed VI jouit d’une vraie popularité au Maroc si bien que quoi que soient les motifs de poursuites envers les journalistes, souvent arbitraires, et les condamnations, souvent sévères, ils ne suscitent pas de rejet et ne soulèvent pas grande indignation dans l’opinion publique. On épargnera ici au lecteur un rappel de l’histoire contemporaine du Maroc mais le fait est que durant les dernières années l’opposition politique a été laminée si bien que les seuls opposants aujourd’hui sont…. les journalistes. Naguère, on interdisait au Maroc des journaux pour avoir contesté en termes virulents les fondements du pouvoir et attaqué frontalement le roi. Aujourd’hui on les interdit pour un rien, une caricature ou un sondage dans l’indifférence générale. Naguère, il y avait au Maroc un relais politique fort, une classe politique solide, même contrôlée, qui se battait contre le pouvoir absolu. Aujourd’hui il y a au Maroc un pouvoir quasi-absolu et point de contre-pouvoir si ce n’est celui de la presse. Naguère, il y avait au Maroc une culture et conscience politiques vigilantes, aujourd’hui c’est à qui s’approchera le plus du pouvoir et ses hommes qui sont arrivés à convaincre les Marocains que le progrès économique est une « faveur » qui leur est accordée.
En écrivant cela, je suis conscient que cela va intriguer et troubler le lecteur. Bien sûr que les libertés ont beaucoup progressé durant le règne de Mohammed VI, son défunt père avait placé la barre si bas qu’il était facile de la franchir. Mais le fait est qu’on est resté sur les acquis des deux premières années du règne du roi et que depuis les libertés ont stagné. Le fait est qu’en contrepartie la culture politique a largement régressé : Pour beaucoup d’hommes politiques et acteurs de la société civile, et pour beaucoup de Marocains, en matière de libertés tout a été accompli en 1999-2002 et le mieux à faire aujourd’hui est de remettre son destin aux mains du roi et ses hommes. Quitte à fermer les yeux sur les exactions perpétrées à l’encontre des libertés d’opinion et d’expression. Nos voisins tunisiens en savent quelque chose sur ce modèle.
On dit parfois que poser la question, c’est déjà y répondre. Et en rappelant ces trois constantes, je n’entends pas esquiver la question « Que faut-il donc pour qu’une liberté réelle de la presse, puisse s’établir au Maroc » . Bien sûr changer les textes de loi, préciser les lignes rouges, est indispensable et capital ne serait-ce que pour limiter les peines de prison. Mais ça ne résoudra pas le problème. On l’a vu, on peut condamner aujourd’hui pour un délit qui n’est même pas prévu par la loi. Parce qu’il y a la loi et il y a ce maillon faible qui applique la loi et qui s’appelle la justice. Issus de la filiale droit de l’enseignement public, les juges ne sont pas intellectuellement et juridiquement mieux lotis que n’importe quel agent de l’autorité ou caïd du coin. Sans doute il faudra diversifier les voies d’accès à la fonction de juge au Maroc pour lui apporter plus de fraîcheur, un peu d’audace et peut-être plus d’indépendance.
Ces mesures « techniques » bien qu’indispensables ne résolvent pas le problème qui est bien plus profond et infiniment plus compliqué. D’une part, je le dis la mort dans l’âme, il ne me semble pas que la société marocaine est demandeuse de réformes pour garantir plus de liberté en tout cas c’est loin d’être son premier souci. D’autres part, je ne crois pas qu’il faut compter sur une initiative par le haut. Le roi Mohammed VI a certainement beaucoup de qualités mais il n’a aucunement la qualité de la fibre démocratique. En absence de force politique capable de porter ces aspirations je crains que le statu quo se maintienne pour encore des années.
La priorité aujourd’hui, me semble-t-il, est de stopper l’hémorragie de la culture politique. Sans culture politique, il n’y a point de liberté de la presse. Avec la conscience que durant les prochaines années, il y aurait encore des censures et interdictions, ne serait-ce que pour « réguler » le champ de liberté, et qu’il y aurait encore des autocensures, ne serait-ce que pour échapper à l’arbitraire. Avec la conscience que la transition démocratique entamée il y a plus de dix ans n’est pas prête de s’achever dans un horizon moyen. Il y a aujourd’hui un impératif de re-construire une culture démocratique. Avec la conscience qu’il faut faire œuvrer beaucoup de courage pour ne pas laisser vaciller la flamme de liberté d’expression et beaucoup de pédagogie pour expliquer qu’en matière de liberté d’expression tout n’a pas été accompli et qu’au contraire tout reste à faire.
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