Je ne veux ni refaire la guerre, ni partir en France
Et c'est à chaque fois, la même histoire : à chaque fois que je me dis enfin un peu de présent volé à trop de passé, je m'y retrouve coincé entre un Français qui ne veut pas partir et un ancien moudjahid qui ne veut pas se la fermer et un enquêteur qui a retrouvé de nouveaux ossements. Que m'importe un nouveau «qui tue qui ?» qui remonte le passé ou les aveux d'un ancien combattant devenu vieux meuble de la Nation ou les jacassements tristes de quelques vignerons déracinés ? Moi, j'ai les pieds bruns, les mains blanches, ma balle est un ballon et ma terre est à refaire et ma langue est pétrie par ma mère et j'ai l'âge de ma respiration pas celui de la révolution. Alors par Dieu, arrêtez ! Je veux juste respirer, voyager et me sentir vivant sans que cela soit une dette à payer. Je ne veux pas refaire la guerre mais seulement des enfants. Je ne veux voir le retour ni de la France, ni des martyrs, ni de la guerre, ni de la même histoire.
Je veux seulement voir revenir les meilleurs moments de chaque vie. Je veux ressentir l'immense amplitude du vivant et rendre la vie plus incandescente par mon intime vigilance. Je ne demande ni des excuses, ni des explications, ni de nouveaux témoignages ».
Par Kamel Daoud,
Le Quotidien d'Oran.