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Ce qui attend le prochain Premier ministre britannique

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  • Ce qui attend le prochain Premier ministre britannique

    Le prochain Premier ministre d'Elisabeth II aura été prévenu. Quelques jours avant les élections du 6 mai, à la suite d'une indiscrétion, la presse s'est fait l'écho du verdict effroyable prononcé, en privé, par le gouverneur de la Banque d'Angleterre, Mervyn King: le parti qui devra gouverner au lendemain du scrutin sera contraint à imposer une telle cure d'austérité qu'il sera condamné, par la suite, "à des décennies d'opposition".

    Jadis, la fière Angleterre commandait aux flots, aujourd'hui la voici qui prend l'eau de toutes parts.


    2010 ou l'élection qu'il ne fallait pas gagner? En tout cas, pas sans majorité absolue - une situation inédite depuis 1974* . Car les chantiers qui attendent le prochain occupant de Downing Street sont colossaux. Et l'on voit mal comment le futur chef de gouvernement, fragilisé avant même d'avoir été investi par la Chambre des communes, osera mettre en oeuvre les réformes nécessaires.

    Les caisses du royaume sont vides

    Pour l'essentiel, le sujet a été écarté durant la campagne, mais les marchés financiers vont vite se charger de remettre les pendules à l'heure en posant les questions qui fâchent: où faut-il tailler dans les dépenses publiques? Dans quelle condition l'Etat-providence britannique sortira-t-il de la purge qui va devoir lui être administrée? Jamais, en temps de paix, le royaume n'avait connu un déficit public si élevé. Avant que la campagne ne s'engage, seuls deux hommes avaient laissé échapper la froide vérité des chiffres. L'an dernier, Andrew Lansley, chargé de la santé dans l'opposition conservatrice, avait signalé que l'engagement de son parti de sanctuariser le budget de la santé publique et celui de l'aide à la coopération impliquaient que tous les autres ministères devraient voir leurs dépenses réduites d'au moins 10%. Il y a six semaines, c'était au tour du chancelier de l'Echiquier, Alistair Darling, de prédire des coupes "plus profondes et plus dures" dans la dépense publique que celles imposées par Margaret Thatcher dans les années 1980! Un institut indépendant, l'Institute for Fiscal Studies, estimait, lui, dans une étude publiée le mois dernier, que les ministères devraient amputer leurs budgets de 20%, simplement pour éliminer en quatre ans la part structurelle du déficit. L'archipel britannique est happé par une spirale de la dette : pour 4 livres qu'il dépense, le gouvernement doit en emprunter 1. Insoutenable.

    De fait, ces dix dernières années, la dépense publique a davantage augmenté au Royaume-Uni que dans n'importe quel autre grand pays développé. Aujourd'hui, le royaume doit trouver d'autres voies de croissance, pour inverser la courbe du chômage. La dépréciation de la livre sterling - 25% depuis 2007 - encouragée pour donner un coup de fouet aux exportations est à double tranchant: plus la devise baisse, plus la dette contractée envers les créditeurs étrangers croît. Par ailleurs, couper ne suffira pas. Il faudra aussi augmenter les impôts - un blasphème pour un éventuel gouvernement conservateur. "Tout cela va requérir une détermination en acier et le courage d'être impopulaire, au moins à court terme", prédit un expert, Nigel Lawson, qui fut chancelier de l'Echiquier de Margaret Thatcher, dans les années 1980. Mais comme avait coutume de répéter la Dame de fer: "Il n'y a pas d'alternative."

    Le système politique est en crise


    Pris ensemble, les deux grands partis n'ont cessé de perdre des voix depuis 1992. Jamais, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, le parti conservateur n'aura été en mesure d'accéder à Downing Street avec un si faible pourcentage des suffrages (36 %). Le "Je suis incroyablement fier du résultat et de la campagne que nous avons menée", lancé par David Cameron au lendemain du scrutin, n'en résonne que plus étrangement.

    Une pluie de scandales s'est abattue, ces derniers mois, sur Westminster. D'abord, l'affaire des notes de frais somptuaires des élus de la Chambre des communes, toutes couleurs politiques confondues, a choqué un pays attaché à la réputation de son Parlement. Ensuite, on a appris qu'une procédure de suspension était lancée par le Labour contre trois de ses anciens ministres, et non des moindres (Défense, Transports, Santé), pris en flagrant délit de vouloir monnayer leur entregent au profit d'intérêts privés. Enfin, la part prépondérante prise par les professionnels de la communication politique, qui verrouillent tout, aggrave le désenchantement. Même les rencontres électorales sur le terrain sont désormais organisées à la manière dont jadis Potemkine édifiait à la hâte des villages modèles, afin de satisfaire, sur son passage, la tsarine de toutes les Russies : on l'a vu quand Gordon Brown s'est fait gentiment tancer par une vieille militante. De retour dans sa voiture, il explose, en oubliant son minimicro : "C'est un désastre! Qui a amené cette femme ?" accuse-t-il. Le "désastre", en l'occurrence, vient non de la nature de l'échange - amical - mais de ce que le Premier ministre a été surpris par l'irruption brutale et non planifiée du pays réel dans son programme. Intolérable.

    L'hypercompétitivité des télévisions et quotidiens britanniques agit, chaque fois, comme un révélateur chimique: ce sont les médias qui mettent à nu ce dévoiement des moeurs politiques d'un milieu qui n'est même plus conscient de son propre cynisme.

    Au-delà de la crise morale, le résultat du scrutin du 6 mai a prouvé la vétusté du système électoral. La carte des circonscriptions est à revoir tant la représentation n'est plus équitable. Souvent contesté, le système du scrutin uninominal à un tour était défendu par ses partisans avec un argument de poids: par sa brutalité, il garantissait une majorité confortable et donc la stabilité du système. Le déclin des deux grands partis est tel que cette règle d'airain n'est plus valable. Ressurgissent, du coup, les critiques traditionnelles: ce mode de scrutin écrase les autres formations et réduit l'offre politique à un bipartisme d'autant moins attrayant que, dans leur course aux électeurs du centre, New Labour et New Conservatives ont singulièrement réduit leurs différences. Pourtant, ce mode de vote empêche l'émergence de nouveaux partis. L'écart entre les intentions de vote pour le parti libéral-démocrate de Nick Clegg (au-dessus de 30 %, selon les sondages) et le résultat final (23 % dans les urnes) prouve que le réflexe du vote "utile" l'emporte sur le libre choix démocratique.

    Le prochain Premier ministre sera- t-il l'artisan des indispensables réformes qu'attend le royaume? Ou ne sera-t-il qu'un homme de transition emporté par les prochaines élections? La réponse viendra vite. Jusqu'à présent, les gouvernements élus sur une base minoritaire n'ont jamais duré très longtemps.

    *Le précédent de 1974

    Au lendemain du 28 février 1974, les Britanniques se réveillent avec une Chambre des communes sans majorité absolue. Premier ministre sortant, le conservateur Edward Heath ouvre des tractations avec le parti libéral. C'est l'échec. Il cède la place au travailliste Harold Wilson, qui forme un cabinet minoritaire soutenu par les libéraux. Le 18 septembre, Wilson annonce de nouvelles élections le 10 octobre. Les travaillistes l'emportent avec une majorité de trois sièges.

    Par l'Express
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