Djoudi Attoumi. Ancien officier de l’aln en Kabylie 1956-1962 : « Les héros aussi sont des hommes... »
« Il vous appartient à vous, acteurs de la Révolution algérienne, de vous impliquer directement dans l’écriture de l’histoire. Si vous ne le faites pas, d’autres le feront à votre place. Alors, ne vous plaignez pas s’ils la détournent et la déforment ».
Mao Tse Toung à Djamila Bouhired
De quelle vie doit-on parler ? De celle du jeune doué promis à de brillantes études commerciales ? Du résistant ? Du moudjahid qui, à un âge où ses semblables ont d’autres projets, en s’employant à croquer la vie à belles dents, s’est résolu à entrer dans la bataille sans se poser de questions ? Du cadre gestionnaire ou de l’élu ? De l’écrivain qui parle de ses blessures à travers un conte plein de bruit et de fureur ? Comment toutes ces vies peuvent-elles tenir en un seul homme ? Djoudi Attoumi est un ancien officier de l’aln en Kabylie, de 1956 à 1962. Homme courtois à l’exquise sensibilité, il a bien voulu nous ouvrir son cœur. Personnage rassurant, à son contact et de sa malice bienveillante, on écoute ses aventures humaines édifiantes. Celle de ces humbles qui ont marqué leur époque sans le crier sur tous les toits. Observateur impassible sans cesse pétillant et prolixe, il passe en revue les principales escales de sa vie.
De sa naissance à Aït Oughlis en 1938, de son père Makhlouf employé à la rsta, de ses études commerciales à l’école Begué d’Alger, de son engagement, Djoudi nous parle avec beaucoup de sincérité. « A l’école, au cours d’une leçon d’histoire évoquant la bataille de la Macta, l’enseignant français nous avait appris que celle-ci avait été gagnée par l’Emir Abdelkader. J’ai applaudi des deux mains. Il m’a fait un signe de la main pour accéder à l’estrade et là il me gifla violemment. J’en ai gardé une image ineffaçable. A 15 ans, j’avais assisté à une réunion au foyer civique dont les travaux venaient d’être achevés, et où Moulay Merbah et Mezghena, dirigeants du ppa/mtld, avaient pris la parole. Nous étions déjà dans l’ambiance de la guerre. J’étais content, tout le monde commentait en cachette le grand événement. Enfant, j’étais marqué par une déchiruren, celle des massacres du 8 Mai 1945.
Engagé très jeune
« Le 1er novembre 1954, j’étais à Sidi Aïch. Le lendemain, je lisais dans le journal, en grosses manchettes, les attentats commis. Mon cousin était plongé dans la lecture. Je lui ai arraché le journal et je me suis exclamé : Enfin, le grand jour est arrivé ! J’avais 16 ans. J’ai rencontré quelques mois après à Sidi Aïch un groupe de moudjahidine. C’était la première fois et j’étais très impressionné, j’avais auparavant contacté cheikh Amar Chabane, le premier commissaire politique et Amar Boudiab. J’étais élève à l’école de commerce et je savais taper à la machine. Je me suis proposé de rejoindre l’organisation et étais disposé à commettre un attentat sur Bebert Roland un ‘‘territorial’’ condamné par l’aln, mais on m’avait dit d’attendre.
En mai 1956, je rencontre les chefs militaires Hamiti Hamou, Melikchi, Harani Mokrane et Djouadi Abdelhamid que je connaissais déjà. Un beau jour, je reçois un message verbal pour me dire qu’on avait besoin de moi en urgence. J’étais à Alger et j’ai rejoint le village où le commissaire politique m’a fait savoir qu’on avait besoin de moi au pc de la Wilaya III ; installé à Mezouara au piémont de l’Akfadou, j’ai présenté mes adieux à la famille. Mon grand-père m’a suivi jusqu’au seuil de la maison. Il m’a interpellé :‘‘Meurs en homme. Ne te fais pas prendre. Je ne veux pas que les soldats te ramènent au bout d’une corde comme une brebis. Il y va de l’honneur de la famille et de la tribu !’’ Je ne vous parle pas des effets fascinants lorsque je suis rentré au pc de la wilaya où j’ai trouvé Tahar Amirouchène, Salhi Hocine, anciens greffiers et Hadi Ouguergouz. Ça a été quelque chose d’unique.
On ne m’avait pas mis à l’épreuve. C’était exceptionnel. J’étais surtout impressionné par Tahar Amirouchène qui deviendra par la suite le bras droit de Amirouche. Il tenait le pc d’une main de fer. La première tâche : taper le procès-verbal du Congrès et de la Charte de la Soummam. On avait une ronéo. Il fallait confectionner plusieurs exemplaires et les distribuer. Un jour, j’ai senti une certaine fébrilité au sein de l’équipe, que se passe-t-il ? J’ai compris que quelque chose d’important allait arriver. C’était le commandant Amirouche : grand, droit, svelte, souriant, vivace.
C’est l’image que j’ai gardée de lui. Il nous a salués. C’était à l’occasion de son retour des Aurès en novembre 1956. Amirouche aimait lancer des boutades avec les djounoud, mais gardait une certaine distance avec les officiers, notamment Tahar qu’il préparait pour être son adjoint. » Djoudi aborde de front la mémoire des années de feu en égrenant les faits sans fard ni exagération, en étant attentif à l’essentiel. « Amirouche m’appelle pour me confier une mission. Acheminer un sac de jute rempli de 100 millions que je dois transporter jusque dans les Bibans, au village Moka, pour être ensuite dirigé vers les Aurès. »
Pas de mémoire sélective
Le cce avait chargé Amirouche de rétablir les choses dans cette région après la mort de Ben Boulaïd. « Le sac était volumineux avec des liasses de billets de 50 F. De nuit, j’ai traversé la plaine de Sidi Yahia à Semaouon où je me suis mêlé aux ramasseurs d’olives pour ne pas éveiller les soupçons. De là, j’ai joint Ighil Oumced, puis Taselamt, la zaouïa Boudaoud au douar Ighrem. Les choses sérieuses commençaient lorsqu’il s’est agi de traverser la route nationale, les rails et la Soummam en crue. On était au début de décembre et toujours accompagné par un agent de liaison. Pour traverser l’oued, j’ai mis le sac sur ma tête, le ceinturon et le pistolet dans une main, l’autre tenant la corde. L’eau m’arrivait au thorax et parfois je perdais pied. On a continué jusqu’à Ouizrane, la forêt de Boni puis Moka où j’ai terminé ma mission.
En décembre 1956, Amirouche avait pris le chemin de Tunisie. J’étais au pc sous les ordres du capitaine Oudek Arab. J’y ai découvert des héros comme le lieutenant Gharbi Salah, Salem Titouh, et Mira Abderrahmane qui revenait du Sahara où il pourchassait les messalistes. Au retour de Amirouche en mars 1957, j’ai réintégré le pc de wilaya dans l’Akfadou. Deux mois auparavant, on avait bombardé la région, le pc s’est retranché dans cette zone, après un bref passage dans le village d’Aït Ouabane. Dans le pc, il y avait Smaïl Amyoud, ancien medersien, Aïssani Mohamed Saïd, licencié en lettres françaises et élève du professeur Mandouze blessé et capturé lors de la mort d’Amirouche.
Amirouche, faisant référence à la bleuite, profondément affecté, avait déclaré comme a dit Staline, ‘‘s’il y a un traître parmi 100 communistes, il faut tuer les 100 communistes afin que le traître disparaisse avec et sauver ainsi la Révolution’’. Cette attitude tranchante le rattrapera plus tard et hantera bien des esprits. Parmi le groupe, il y avait le Dr Ahmed Benabid, médecin chef de la Wilaya III, son cousin Me Youcef, avocat dans les années 1940, vice-président de l’assemblée et qui avait écrit une lettre au général de Gaulle, expliquant son ralliement à la Révolution en 1958. Pour vous dire, Amirouche ne restait pas 2 ou 3 jours au pc, il était constamment sur le terrain.
Il y avait aussi parmi nous Ferhani Abdenour, Rachid Adjaoud, le pasteur Lester Griffith qui a été convaincu par Amirouche de la justesse de la cause qu’il est allé propager en Amérique. Ce qui explique peut-être les sympathies américaines pour la Révolution, notamment la famille Kennedy. Dans le pc, il y avait un émetteur radio, l’Algérie libre, émission animée par Abdelhafid Amokrane et Smaïl Amyoud et un service de presse qui publiait un bulletin intitulé : ‘‘Renaissance algérienne’’. Le pc était une véritable ruche. Y ont fait un passage, le colonel Si El Haouès et son adjoint Amor Driss, surnommé par les Français ‘‘Les yeux de panthère’’. Il a été capturé lors de la mort d’Amirouche et achevé à l’hôpital de Djelfa.
« Il vous appartient à vous, acteurs de la Révolution algérienne, de vous impliquer directement dans l’écriture de l’histoire. Si vous ne le faites pas, d’autres le feront à votre place. Alors, ne vous plaignez pas s’ils la détournent et la déforment ».
Mao Tse Toung à Djamila Bouhired
De quelle vie doit-on parler ? De celle du jeune doué promis à de brillantes études commerciales ? Du résistant ? Du moudjahid qui, à un âge où ses semblables ont d’autres projets, en s’employant à croquer la vie à belles dents, s’est résolu à entrer dans la bataille sans se poser de questions ? Du cadre gestionnaire ou de l’élu ? De l’écrivain qui parle de ses blessures à travers un conte plein de bruit et de fureur ? Comment toutes ces vies peuvent-elles tenir en un seul homme ? Djoudi Attoumi est un ancien officier de l’aln en Kabylie, de 1956 à 1962. Homme courtois à l’exquise sensibilité, il a bien voulu nous ouvrir son cœur. Personnage rassurant, à son contact et de sa malice bienveillante, on écoute ses aventures humaines édifiantes. Celle de ces humbles qui ont marqué leur époque sans le crier sur tous les toits. Observateur impassible sans cesse pétillant et prolixe, il passe en revue les principales escales de sa vie.
De sa naissance à Aït Oughlis en 1938, de son père Makhlouf employé à la rsta, de ses études commerciales à l’école Begué d’Alger, de son engagement, Djoudi nous parle avec beaucoup de sincérité. « A l’école, au cours d’une leçon d’histoire évoquant la bataille de la Macta, l’enseignant français nous avait appris que celle-ci avait été gagnée par l’Emir Abdelkader. J’ai applaudi des deux mains. Il m’a fait un signe de la main pour accéder à l’estrade et là il me gifla violemment. J’en ai gardé une image ineffaçable. A 15 ans, j’avais assisté à une réunion au foyer civique dont les travaux venaient d’être achevés, et où Moulay Merbah et Mezghena, dirigeants du ppa/mtld, avaient pris la parole. Nous étions déjà dans l’ambiance de la guerre. J’étais content, tout le monde commentait en cachette le grand événement. Enfant, j’étais marqué par une déchiruren, celle des massacres du 8 Mai 1945.
Engagé très jeune
« Le 1er novembre 1954, j’étais à Sidi Aïch. Le lendemain, je lisais dans le journal, en grosses manchettes, les attentats commis. Mon cousin était plongé dans la lecture. Je lui ai arraché le journal et je me suis exclamé : Enfin, le grand jour est arrivé ! J’avais 16 ans. J’ai rencontré quelques mois après à Sidi Aïch un groupe de moudjahidine. C’était la première fois et j’étais très impressionné, j’avais auparavant contacté cheikh Amar Chabane, le premier commissaire politique et Amar Boudiab. J’étais élève à l’école de commerce et je savais taper à la machine. Je me suis proposé de rejoindre l’organisation et étais disposé à commettre un attentat sur Bebert Roland un ‘‘territorial’’ condamné par l’aln, mais on m’avait dit d’attendre.
En mai 1956, je rencontre les chefs militaires Hamiti Hamou, Melikchi, Harani Mokrane et Djouadi Abdelhamid que je connaissais déjà. Un beau jour, je reçois un message verbal pour me dire qu’on avait besoin de moi en urgence. J’étais à Alger et j’ai rejoint le village où le commissaire politique m’a fait savoir qu’on avait besoin de moi au pc de la Wilaya III ; installé à Mezouara au piémont de l’Akfadou, j’ai présenté mes adieux à la famille. Mon grand-père m’a suivi jusqu’au seuil de la maison. Il m’a interpellé :‘‘Meurs en homme. Ne te fais pas prendre. Je ne veux pas que les soldats te ramènent au bout d’une corde comme une brebis. Il y va de l’honneur de la famille et de la tribu !’’ Je ne vous parle pas des effets fascinants lorsque je suis rentré au pc de la wilaya où j’ai trouvé Tahar Amirouchène, Salhi Hocine, anciens greffiers et Hadi Ouguergouz. Ça a été quelque chose d’unique.
On ne m’avait pas mis à l’épreuve. C’était exceptionnel. J’étais surtout impressionné par Tahar Amirouchène qui deviendra par la suite le bras droit de Amirouche. Il tenait le pc d’une main de fer. La première tâche : taper le procès-verbal du Congrès et de la Charte de la Soummam. On avait une ronéo. Il fallait confectionner plusieurs exemplaires et les distribuer. Un jour, j’ai senti une certaine fébrilité au sein de l’équipe, que se passe-t-il ? J’ai compris que quelque chose d’important allait arriver. C’était le commandant Amirouche : grand, droit, svelte, souriant, vivace.
C’est l’image que j’ai gardée de lui. Il nous a salués. C’était à l’occasion de son retour des Aurès en novembre 1956. Amirouche aimait lancer des boutades avec les djounoud, mais gardait une certaine distance avec les officiers, notamment Tahar qu’il préparait pour être son adjoint. » Djoudi aborde de front la mémoire des années de feu en égrenant les faits sans fard ni exagération, en étant attentif à l’essentiel. « Amirouche m’appelle pour me confier une mission. Acheminer un sac de jute rempli de 100 millions que je dois transporter jusque dans les Bibans, au village Moka, pour être ensuite dirigé vers les Aurès. »
Pas de mémoire sélective
Le cce avait chargé Amirouche de rétablir les choses dans cette région après la mort de Ben Boulaïd. « Le sac était volumineux avec des liasses de billets de 50 F. De nuit, j’ai traversé la plaine de Sidi Yahia à Semaouon où je me suis mêlé aux ramasseurs d’olives pour ne pas éveiller les soupçons. De là, j’ai joint Ighil Oumced, puis Taselamt, la zaouïa Boudaoud au douar Ighrem. Les choses sérieuses commençaient lorsqu’il s’est agi de traverser la route nationale, les rails et la Soummam en crue. On était au début de décembre et toujours accompagné par un agent de liaison. Pour traverser l’oued, j’ai mis le sac sur ma tête, le ceinturon et le pistolet dans une main, l’autre tenant la corde. L’eau m’arrivait au thorax et parfois je perdais pied. On a continué jusqu’à Ouizrane, la forêt de Boni puis Moka où j’ai terminé ma mission.
En décembre 1956, Amirouche avait pris le chemin de Tunisie. J’étais au pc sous les ordres du capitaine Oudek Arab. J’y ai découvert des héros comme le lieutenant Gharbi Salah, Salem Titouh, et Mira Abderrahmane qui revenait du Sahara où il pourchassait les messalistes. Au retour de Amirouche en mars 1957, j’ai réintégré le pc de wilaya dans l’Akfadou. Deux mois auparavant, on avait bombardé la région, le pc s’est retranché dans cette zone, après un bref passage dans le village d’Aït Ouabane. Dans le pc, il y avait Smaïl Amyoud, ancien medersien, Aïssani Mohamed Saïd, licencié en lettres françaises et élève du professeur Mandouze blessé et capturé lors de la mort d’Amirouche.
Amirouche, faisant référence à la bleuite, profondément affecté, avait déclaré comme a dit Staline, ‘‘s’il y a un traître parmi 100 communistes, il faut tuer les 100 communistes afin que le traître disparaisse avec et sauver ainsi la Révolution’’. Cette attitude tranchante le rattrapera plus tard et hantera bien des esprits. Parmi le groupe, il y avait le Dr Ahmed Benabid, médecin chef de la Wilaya III, son cousin Me Youcef, avocat dans les années 1940, vice-président de l’assemblée et qui avait écrit une lettre au général de Gaulle, expliquant son ralliement à la Révolution en 1958. Pour vous dire, Amirouche ne restait pas 2 ou 3 jours au pc, il était constamment sur le terrain.
Il y avait aussi parmi nous Ferhani Abdenour, Rachid Adjaoud, le pasteur Lester Griffith qui a été convaincu par Amirouche de la justesse de la cause qu’il est allé propager en Amérique. Ce qui explique peut-être les sympathies américaines pour la Révolution, notamment la famille Kennedy. Dans le pc, il y avait un émetteur radio, l’Algérie libre, émission animée par Abdelhafid Amokrane et Smaïl Amyoud et un service de presse qui publiait un bulletin intitulé : ‘‘Renaissance algérienne’’. Le pc était une véritable ruche. Y ont fait un passage, le colonel Si El Haouès et son adjoint Amor Driss, surnommé par les Français ‘‘Les yeux de panthère’’. Il a été capturé lors de la mort d’Amirouche et achevé à l’hôpital de Djelfa.
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