27/05/2010 à 11h:18 Par Frédéric Maury
Le Port autonome d'Abidjan a enregistré une hausse de 8,8% de son trafic en 2009.© Vincent Fournier pour J.A
Les lignes commerciales bougent, la géographie des escales se redessine. Épargné par la crise, le marché africain a le vent en poupe. Opérateurs à l’affût, nouvelles infrastructures… État des lieux du secteur.
Dans les ports africains, 2009 n’aura pas été une année sinistrée. Toujours confronté à des problèmes de lenteur, à des infrastructures parfois désuètes ou à des capacités insuffisantes, le secteur aura même connu plusieurs évolutions favorables. Des grands projets annoncés avant la sévère crise qui a frappé le transport maritime à la fin de 2008, plusieurs ont ainsi vu le jour. L’opérateur dubaïote DP World a notamment inauguré en début d’année son nouveau terminal djiboutien, à Doraleh, capable d’accueillir des bateaux de très grande capacité et situé à l’entrée du canal de Suez. En fin d’année, le port de Ngqura, à Port Elizabeth (Afrique du Sud), accueillait également son premier porte-conteneurs, après des années de développement sous la conduite de l’opérateur sud-africain Transnet. À eux deux, DP World et Transnet auront investi environ 1,5 milliard d’euros dans ces deux créations portuaires. Certes, de nombreux projets de création ou de modernisation, de Mombasa au Kenya à Enfidha en Tunisie, de Djen-Djen en Algérie à São Tomé, restent à mener à bien. Mais l’inquiétude qui a frappé les observateurs à la suite de l’effondrement de l’industrie maritime mondiale a-t-elle lieu d’être sur le continent ?
En réalité, la situation est contrastée selon les régions. L’Afrique occidentale, par exemple, aurait été largement protégée des courants contraires qui ont frappé l’industrie maritime. « De Dakar à Luanda, on s’en est plutôt bien sorti, souligne Yann Alix, professeur à l’École de management de Normandie et habitué des ports africains. Les exportations, pour l’essentiel du pétrole, des minerais, du café ou du coton, ont continué à progresser correctement, et les importations, principalement des biens de consommation et des matières premières agricoles, se sont maintenues, car la crise économique internationale a eu relativement peu d’impact en Afrique. » Ainsi, dans le golfe de Guinée, l’activité des ports africains a bien résisté. Le Port autonome d’Abidjan, l’un des piliers de la zone, a enregistré, selon les termes de son directeur général, « une année positive, avec un trafic global de 24 millions de tonnes, en croissance de 8,8 % par rapport à 2008 ». Dans le transport de conteneurs en particulier, activité largement affectée par la crise au niveau mondial, l’Afrique occidentale s’en est en effet plutôt bien sortie, certains ports, comme celui de Douala, affichant même une hausse des volumes en 2009.
Poids croissant du Nigeria
En Afrique australe, la situation est un peu différente. Selon Yann Alix, l’Afrique du Sud a connu « une chute des exportations [liée à une diminution des commandes passées par les pays touchés par la crise, NDLR] et, parallèlement, beaucoup moins d’importations en raison de la baisse du pouvoir d’achat local ». Le résultat de Port-Louis, à Maurice, a de son côté reculé au premier trimestre 2009 de 11 % par rapport à la même période de 2008. Idem en Afrique du Nord, où une diminution du trafic s’est fait sentir. Le tout jeune port de Tanger Med, qui tablait initialement sur un trafic de 1,6 million de tonnes, a revu ses objectifs à la baisse de près de 20 %. Dans leur ensemble, l’activité des ports marocains a fléchi de 5,9 %. Outre la morosité du contexte économique mondial, la récolte locale record de céréales explique aussi la baisse des importations.
Reste que, difficultés conjoncturelles ou pas, la mutation du secteur maritime africain se poursuivra, estiment les experts. Parmi les évolutions probables, certaines sont évidentes, comme l’importance croissante du Nigeria. D’autres sont plus subtiles, comme le poids grandissant d’un autre grand pôle économique, l’Éthiopie. « Le Nigeria absorbera beaucoup d’investissements d’infrastructures, du fait de son marché intérieur et de son dynamisme économique, souligne Dominique Lafont, directeur général de Bolloré Africa Logistics. Quant à l’Éthiopie, elle ne peut pas avoir qu’un seul corridor d’accès, d’autres se développeront. »
La géopolitique des lignes maritimes devrait par ailleurs continuer son évolution. Déjà, croissance phénoménale des échanges entre l’Afrique et l’Asie oblige, les routes directes entre les deux continents se sont multipliées. Jusqu’à Abidjan, les ports africains sont reliés à l’Asie en passant par l’Afrique du Sud : les deux géants maritimes chinois, Cosco et China Shipping, disposent désormais tous deux de lignes reliant le golfe de Guinée à l’Asie par la pointe australe de l’Afrique. Tout comme le singapourien Pacific International Lines. Et, pour les lignes reliant l’Asie au nord de l’Afrique, de l’Égypte au Sénégal, l’utilisation du canal de Suez est même parfois remise en question. Le nombre de bateaux transitant par le canal s’est effondré de 20 % en 2009, ce qui s’explique en partie par la peur de la piraterie qui sévit au large des côtes somaliennes. Confrontés aux risques d’attaque, nombre de navires évitent désormais la zone et notamment les plus vulnérables, les pétroliers. Plus long, le contournement de l’Afrique par le sud pour relier la Méditerranée n’en est pas forcément beaucoup plus cher, en raison du prix pour emprunter le canal de Suez, des surplus de salaires à verser aux équipages, des assurances dont le taux des polices a été multiplié par deux, mais aussi en raison de la baisse des cours du pétrole et des taux de fret.
À long terme, une chose est donc certaine : il est nécessaire de développer les capacités portuaires en Afrique australe, d’autant que le principal port, Durban, est surfréquenté. L’Afrique du Sud (avec notamment les débuts du port de Ngqura) et Maurice entendent ainsi augmenter respectivement d’un tiers et de moitié leur capacité en conteneurs dans les années à venir. Les travaux à Maputo (Mozambique), à Walvis Bay (Namibie) et même à Pointe-Noire (Congo) répondent également en partie à cette volonté d’offrir un hub aux navires venant d’Asie. « Aujourd’hui, rares sont les ports africains à pouvoir accueillir de grands navires, explique un négociant. Du coup, les lignes maritimes sont construites autour d’une succession de ports de taille moyenne. »
Le Port autonome d'Abidjan a enregistré une hausse de 8,8% de son trafic en 2009.© Vincent Fournier pour J.A
Les lignes commerciales bougent, la géographie des escales se redessine. Épargné par la crise, le marché africain a le vent en poupe. Opérateurs à l’affût, nouvelles infrastructures… État des lieux du secteur.
Dans les ports africains, 2009 n’aura pas été une année sinistrée. Toujours confronté à des problèmes de lenteur, à des infrastructures parfois désuètes ou à des capacités insuffisantes, le secteur aura même connu plusieurs évolutions favorables. Des grands projets annoncés avant la sévère crise qui a frappé le transport maritime à la fin de 2008, plusieurs ont ainsi vu le jour. L’opérateur dubaïote DP World a notamment inauguré en début d’année son nouveau terminal djiboutien, à Doraleh, capable d’accueillir des bateaux de très grande capacité et situé à l’entrée du canal de Suez. En fin d’année, le port de Ngqura, à Port Elizabeth (Afrique du Sud), accueillait également son premier porte-conteneurs, après des années de développement sous la conduite de l’opérateur sud-africain Transnet. À eux deux, DP World et Transnet auront investi environ 1,5 milliard d’euros dans ces deux créations portuaires. Certes, de nombreux projets de création ou de modernisation, de Mombasa au Kenya à Enfidha en Tunisie, de Djen-Djen en Algérie à São Tomé, restent à mener à bien. Mais l’inquiétude qui a frappé les observateurs à la suite de l’effondrement de l’industrie maritime mondiale a-t-elle lieu d’être sur le continent ?
En réalité, la situation est contrastée selon les régions. L’Afrique occidentale, par exemple, aurait été largement protégée des courants contraires qui ont frappé l’industrie maritime. « De Dakar à Luanda, on s’en est plutôt bien sorti, souligne Yann Alix, professeur à l’École de management de Normandie et habitué des ports africains. Les exportations, pour l’essentiel du pétrole, des minerais, du café ou du coton, ont continué à progresser correctement, et les importations, principalement des biens de consommation et des matières premières agricoles, se sont maintenues, car la crise économique internationale a eu relativement peu d’impact en Afrique. » Ainsi, dans le golfe de Guinée, l’activité des ports africains a bien résisté. Le Port autonome d’Abidjan, l’un des piliers de la zone, a enregistré, selon les termes de son directeur général, « une année positive, avec un trafic global de 24 millions de tonnes, en croissance de 8,8 % par rapport à 2008 ». Dans le transport de conteneurs en particulier, activité largement affectée par la crise au niveau mondial, l’Afrique occidentale s’en est en effet plutôt bien sortie, certains ports, comme celui de Douala, affichant même une hausse des volumes en 2009.
Poids croissant du Nigeria
En Afrique australe, la situation est un peu différente. Selon Yann Alix, l’Afrique du Sud a connu « une chute des exportations [liée à une diminution des commandes passées par les pays touchés par la crise, NDLR] et, parallèlement, beaucoup moins d’importations en raison de la baisse du pouvoir d’achat local ». Le résultat de Port-Louis, à Maurice, a de son côté reculé au premier trimestre 2009 de 11 % par rapport à la même période de 2008. Idem en Afrique du Nord, où une diminution du trafic s’est fait sentir. Le tout jeune port de Tanger Med, qui tablait initialement sur un trafic de 1,6 million de tonnes, a revu ses objectifs à la baisse de près de 20 %. Dans leur ensemble, l’activité des ports marocains a fléchi de 5,9 %. Outre la morosité du contexte économique mondial, la récolte locale record de céréales explique aussi la baisse des importations.
Reste que, difficultés conjoncturelles ou pas, la mutation du secteur maritime africain se poursuivra, estiment les experts. Parmi les évolutions probables, certaines sont évidentes, comme l’importance croissante du Nigeria. D’autres sont plus subtiles, comme le poids grandissant d’un autre grand pôle économique, l’Éthiopie. « Le Nigeria absorbera beaucoup d’investissements d’infrastructures, du fait de son marché intérieur et de son dynamisme économique, souligne Dominique Lafont, directeur général de Bolloré Africa Logistics. Quant à l’Éthiopie, elle ne peut pas avoir qu’un seul corridor d’accès, d’autres se développeront. »
La géopolitique des lignes maritimes devrait par ailleurs continuer son évolution. Déjà, croissance phénoménale des échanges entre l’Afrique et l’Asie oblige, les routes directes entre les deux continents se sont multipliées. Jusqu’à Abidjan, les ports africains sont reliés à l’Asie en passant par l’Afrique du Sud : les deux géants maritimes chinois, Cosco et China Shipping, disposent désormais tous deux de lignes reliant le golfe de Guinée à l’Asie par la pointe australe de l’Afrique. Tout comme le singapourien Pacific International Lines. Et, pour les lignes reliant l’Asie au nord de l’Afrique, de l’Égypte au Sénégal, l’utilisation du canal de Suez est même parfois remise en question. Le nombre de bateaux transitant par le canal s’est effondré de 20 % en 2009, ce qui s’explique en partie par la peur de la piraterie qui sévit au large des côtes somaliennes. Confrontés aux risques d’attaque, nombre de navires évitent désormais la zone et notamment les plus vulnérables, les pétroliers. Plus long, le contournement de l’Afrique par le sud pour relier la Méditerranée n’en est pas forcément beaucoup plus cher, en raison du prix pour emprunter le canal de Suez, des surplus de salaires à verser aux équipages, des assurances dont le taux des polices a été multiplié par deux, mais aussi en raison de la baisse des cours du pétrole et des taux de fret.
À long terme, une chose est donc certaine : il est nécessaire de développer les capacités portuaires en Afrique australe, d’autant que le principal port, Durban, est surfréquenté. L’Afrique du Sud (avec notamment les débuts du port de Ngqura) et Maurice entendent ainsi augmenter respectivement d’un tiers et de moitié leur capacité en conteneurs dans les années à venir. Les travaux à Maputo (Mozambique), à Walvis Bay (Namibie) et même à Pointe-Noire (Congo) répondent également en partie à cette volonté d’offrir un hub aux navires venant d’Asie. « Aujourd’hui, rares sont les ports africains à pouvoir accueillir de grands navires, explique un négociant. Du coup, les lignes maritimes sont construites autour d’une succession de ports de taille moyenne. »
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