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Maroc: Il faut le dire

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    Par Ahmed R. Benchemsi
    Il faut le dire (2)
    Ahmed R. Benchemsi
    (ALEX DUPEYRON)

    Dans les démocraties, ce sont les chefs d’Etat et leurs collaborateurs qui déclarent leurs patrimoines en premier,
    pour donner l’exemple. Chez nous : circulez, y a rien à voir !

    Une farce. Voilà, en deux mots, comment on peut qualifier la loi sur la déclaration obligatoire du patrimoine, récemment entrée en application. Trop court, comme qualificatif ? D’accord. En trois mots, alors : une farce grotesque. Voilà encore une vérité qu’il faut dire : alors que cette loi était censée lutter contre la corruption en instaurant la transparence… elle sert en fait à masquer l’opacité par un écran de confusion. Voyons cela de plus près.
    D’abord, qui est sensé réceptionner les déclarations de patrimoine ? Normalement, ce devrait être une instance unique et centralisatrice, dotée des moyens de contrôle nécessaires. Au Maroc… ça dépend des déclarants. Certains doivent déposer leurs dossiers à la Cour nationale des comptes, d’autres aux Cours régionales, d’autres encore auprès de diverses “commissions paritaires”… Dossiers numérisés, réseau Intranet, serveur central ? Des clous ! Concrètement, il s’agit de tonnes de papiers, destinées à être stockées dans des tonnes de cartons disséminés sur tout le territoire. A se demander si quelqu’un va les ouvrir un jour… Au fait, combien de gens sont ciblés par la loi ? Et sur ceux-là, combien l’ont appliquée, depuis la date butoir du 15 mai dernier ? Eh bien l’Etat, croyez-le ou pas, n’a fourni aucun chiffre. Vous riez ? Attendez, l’absurde ne fait que commencer.
    Penchons-nous à présent sur ce fameux formulaire de déclaration de patrimoine. Il se compose d’une dizaine de feuillets par déclarant : un pour les comptes en banque, un autre pour les propriétés foncières, un troisième pour les participations dans des entreprises, un quatrième pour les bijoux et objets de valeur, etc. Tenez-vous bien : si on a moins de 300 000 DH à déclarer sur chaque feuillet, la loi autorise à… ne rien déclarer du tout ! Autrement dit, on peut posséder un paquet de millions, à raison de 299 999 dirhams par catégorie… et déclarer, en toute légalité, un patrimoine nul ! Autre astuce, vieille comme le monde : on peut inscrire tous ses biens, même s’ils se chiffrent en milliards, au nom de son conjoint et de ses enfants majeurs. Et devinez quoi ? La loi n’oblige pas à déclarer ces biens-là ! Fantastique, hein ?!
    Ok, voyons maintenant les patrimoines déclarés. Qui en vérifiera l’exactitude ? Aucune administration… faute de personnel suffisant ! Pour rappel, cette loi est sensée s’appliquer à tous les élus et agents de l’Etat. Cela doit bien faire un petit million de dossiers. Pour vérifier tout ça, bonjour ! Comment font les pays sérieux qui ont voté des lois comparables ? Simple : les déclarations sont publiques, consultables par les citoyens et les médias. Quiconque a un doute sur la moralité de son élu ou de son chef d’arrondissement peut consulter son dossier et alerter les services concernés s’il y a suspicion de fraude, preuves éventuelles à l’appui – auquel cas une enquête officielle est ouverte pour confondre le fraudeur. Chez nous, les déclarations sont… secrètes !! (rappelons que le but officiel de la loi est la transparence.) Et quand bien même un fonctionnaire d’une Cour des comptes pousserait le zèle jusqu’à douter tout seul, et/ou effectuer des vérifications aléatoires… aucun texte ne l’autorise à mener une enquête de terrain pour étayer ses doutes. Et quand bien même un texte l’y autoriserait, il ne peut en aucun cas enquêter en dehors de sa juridiction. Il suffit donc, pour un élu de Casablanca, d’investir ses pots de vins à Marrakech, pour être sûr de ne jamais être démasqué !
    Maintenant, le pompon : plus le déclarant est haut placé, plus il est difficile de “faire le suivi” de sa déclaration (c’est l’expression exacte de la loi – ce qui, juridiquement, ne veut rien dire). Pour “suivre”, par exemple, la déclaration d’un juge (il y en a des milliers, dont beaucoup de corrompus, comme chacun sait), il faut réunir une commission spéciale formée du ministre de la Justice en personne, du premier président de la Cour suprême et d’autres hauts personnages qui ont, vraiment, autre chose à faire que de jouer aux flics. Pour les membres du gouvernement, c’est encore plus compliqué…
    Et pour plus haut ? Les collaborateurs et conseillers royaux, le roi lui-même ? Là, c’est très simple : la loi sur la déclaration de patrimoine ne les concerne pas. Dans les démocraties, ce sont les chefs d’Etat et leurs collaborateurs qui déclarent leurs fortunes en premier, pour donner l’exemple. Chez nous : circulez, y a rien à voir ! Tout bien réfléchi… cela donne l’exemple aussi. L’exemple de ce que l’Etat, en promulguant cette loi ridicule, cherche vraiment à faire : se moquer des Marocains. Bravo, c’est réussi.



    Telquel
    " Celui qui passe devant une glace sans se reconnaitre, est capable de se calomnier sans s'en apercevoir "
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