Algérie. Le mystère Khalifa
Parti de zéro, il a créé le premier groupe privé algérien. Ce golden boy qui a brassé des milliards à l’origine douteuse, avant de connaître une chute aussi vertigineuse que son ascension, doit aujourd’hui faire face à la justice de son pays.
La légende du plus célèbre homme d’affaires algérien démarre en 1998, peu de temps avant l’arrivée au pouvoir de Abdelaziz Bouteflika. Abdelmoumène Khalifa n’est encore qu’un parfait inconnu dans le petit monde des affaires d’Alger. Désargenté, ce pharmacien de 33 ans traîne son ennui dans l’officine familiale, sans panache et dans l’ombre de son père, Laroussi Khalifa, un ancien pharmacien du FLN promu ministre de l’Armement et des Liaisons générales sous Ben Bella, que Boumediene accusera d’avoir fomenté un coup d’Etat en le gratifiant de deux ans de prison.
Un milliardaire chez les socialistes
C’est cette année-là que Abdelmoumène décide de fonder une banque qui portera son nom, Khalifa Bank, qui compte pas moins de 74 agences. Mystérieusement, de nombreuses entreprises publiques reçoivent l’ordre d’y domicilier leurs comptes. Un an plus tard, le tout frais homme d’affaires monte une compagnie aérienne, la Khalifa Airways, dotée de 37 avions. Dans la foulée, il rachète une banque munichoise, la Erste Rosenheimer Privatbank, ainsi que la chaîne de télévision arabophone Arab News Network, ancienne propriété du frère du président syrien Hafez El-Assad. Il crée même une chaîne de télévision à son nom en France, la Khalifa TV. Son groupe devient insatiable. A Cannes, où il élit domicile quelques mois pendant l’année, il acquiert trois propriétés prestigieuses et tutoie les plus grandes vedettes internationales. Puis il se diversifie et lance une entreprise de location de voitures de luxe (devinez…la Khalifa Rent-a-car, bien-sûr !), s’offrant pas moins de 200 berlines (Maserati, Ferrari, Jaguar, Mercedes).
Au faîte de sa gloire, en 2002, celui qui semble sortir son argent d’une besace magique inépuisable emploie plus de 20 000 personnes dans le monde. En Algérie, Abdelmoumène Khalifa est une idole populaire. Dans son entourage, on retrouve les deux frères du président algérien : Abdelghani, le conseiller juridique de l’empire Khalifa, et, surtout, Saïd, surnommé le président-bis, actionnaire aux côtés du milliardaire. Quant à ses collaborateurs, ils sont tous issus de la nouvelle génération FLNiste. A cette époque, l’Algérie socialiste entre dans une ère révolutionnaire : virage à droite, ouverture des marchés, refonte de l’économie… Un vaste projet organisé autour du groupe Khalifa, première structure capitaliste de grande envergure dans l’histoire économique du pays.
Plus dure sera la chute…
Mais l’année 2003 sonne déjà la faillite : le golden boy a dilapidé, en un temps record, toutes ses richesses occultes et les capitaux de la Khalifa Bank. Ses sociétés s’écroulent comme un château de cartes, avec leur lot d’épargnants ruinés et d’entreprises publiques grugées. Ses protecteurs de la nomenklatura réussissent à retirer leur mise avant la débandade. Le Quotidien d’Oran écrit alors : “Le séisme Khalifa est peut-être la plus grande escroquerie de l’histoire de l’Algérie”. Car la prolifique manne d’argent provenait, entre autres, des fonds et garanties des grands organismes publics de l’Etat socialiste.
Abdelmoumène Khalifa part en cavale à l’étranger et disparaît pendant plusieurs années. Alger n’attend pas : en 2007, le businessman est condamné par contumace à la prison à perpétuité. Quelques mois plus tard, il est arrêté en Angleterre. Du côté du Palais d’El Mouradia, on ne parle plus que du “colis anglais” et du “kelb” traître de la nation. Les services de renseignements algériens affirment que Khalifa se serait procuré des dossiers compromettants, impliquant plusieurs personnalités du FLN que l’ex-homme d’affaires aurait manipulés pour obtenir de l’argent et bâtir son empire.
Ce 28 avril 2010, après avoir longtemps hésité, le Home office britannique a donné son feu vert pour l’extradition de l’ex-milliardaire. Deux jours avant cette décision, le quotidien The Guardian écrivait que la vie de Abdelmoumène Khalifa serait en danger en Algérie. Le quotidien algérien El Watan, quant à lui, évoque des “personnalités qui pourraient se voir inquiétées” suite à cette décision d’extradition, allusion à la caste militaro-économique née de l’argent de la rente gazière et qui détient le pouvoir en secret depuis un demi-siècle. Pour sa part, l’accusé crie au complot politique. Son extradition est actuellement en appel, retardant encore l’épilogue de cette aventure économique algérienne qui a mal tourné.
TELQUEL
Parti de zéro, il a créé le premier groupe privé algérien. Ce golden boy qui a brassé des milliards à l’origine douteuse, avant de connaître une chute aussi vertigineuse que son ascension, doit aujourd’hui faire face à la justice de son pays.
La légende du plus célèbre homme d’affaires algérien démarre en 1998, peu de temps avant l’arrivée au pouvoir de Abdelaziz Bouteflika. Abdelmoumène Khalifa n’est encore qu’un parfait inconnu dans le petit monde des affaires d’Alger. Désargenté, ce pharmacien de 33 ans traîne son ennui dans l’officine familiale, sans panache et dans l’ombre de son père, Laroussi Khalifa, un ancien pharmacien du FLN promu ministre de l’Armement et des Liaisons générales sous Ben Bella, que Boumediene accusera d’avoir fomenté un coup d’Etat en le gratifiant de deux ans de prison.
Un milliardaire chez les socialistes
C’est cette année-là que Abdelmoumène décide de fonder une banque qui portera son nom, Khalifa Bank, qui compte pas moins de 74 agences. Mystérieusement, de nombreuses entreprises publiques reçoivent l’ordre d’y domicilier leurs comptes. Un an plus tard, le tout frais homme d’affaires monte une compagnie aérienne, la Khalifa Airways, dotée de 37 avions. Dans la foulée, il rachète une banque munichoise, la Erste Rosenheimer Privatbank, ainsi que la chaîne de télévision arabophone Arab News Network, ancienne propriété du frère du président syrien Hafez El-Assad. Il crée même une chaîne de télévision à son nom en France, la Khalifa TV. Son groupe devient insatiable. A Cannes, où il élit domicile quelques mois pendant l’année, il acquiert trois propriétés prestigieuses et tutoie les plus grandes vedettes internationales. Puis il se diversifie et lance une entreprise de location de voitures de luxe (devinez…la Khalifa Rent-a-car, bien-sûr !), s’offrant pas moins de 200 berlines (Maserati, Ferrari, Jaguar, Mercedes).
Au faîte de sa gloire, en 2002, celui qui semble sortir son argent d’une besace magique inépuisable emploie plus de 20 000 personnes dans le monde. En Algérie, Abdelmoumène Khalifa est une idole populaire. Dans son entourage, on retrouve les deux frères du président algérien : Abdelghani, le conseiller juridique de l’empire Khalifa, et, surtout, Saïd, surnommé le président-bis, actionnaire aux côtés du milliardaire. Quant à ses collaborateurs, ils sont tous issus de la nouvelle génération FLNiste. A cette époque, l’Algérie socialiste entre dans une ère révolutionnaire : virage à droite, ouverture des marchés, refonte de l’économie… Un vaste projet organisé autour du groupe Khalifa, première structure capitaliste de grande envergure dans l’histoire économique du pays.
Plus dure sera la chute…
Mais l’année 2003 sonne déjà la faillite : le golden boy a dilapidé, en un temps record, toutes ses richesses occultes et les capitaux de la Khalifa Bank. Ses sociétés s’écroulent comme un château de cartes, avec leur lot d’épargnants ruinés et d’entreprises publiques grugées. Ses protecteurs de la nomenklatura réussissent à retirer leur mise avant la débandade. Le Quotidien d’Oran écrit alors : “Le séisme Khalifa est peut-être la plus grande escroquerie de l’histoire de l’Algérie”. Car la prolifique manne d’argent provenait, entre autres, des fonds et garanties des grands organismes publics de l’Etat socialiste.
Abdelmoumène Khalifa part en cavale à l’étranger et disparaît pendant plusieurs années. Alger n’attend pas : en 2007, le businessman est condamné par contumace à la prison à perpétuité. Quelques mois plus tard, il est arrêté en Angleterre. Du côté du Palais d’El Mouradia, on ne parle plus que du “colis anglais” et du “kelb” traître de la nation. Les services de renseignements algériens affirment que Khalifa se serait procuré des dossiers compromettants, impliquant plusieurs personnalités du FLN que l’ex-homme d’affaires aurait manipulés pour obtenir de l’argent et bâtir son empire.
Ce 28 avril 2010, après avoir longtemps hésité, le Home office britannique a donné son feu vert pour l’extradition de l’ex-milliardaire. Deux jours avant cette décision, le quotidien The Guardian écrivait que la vie de Abdelmoumène Khalifa serait en danger en Algérie. Le quotidien algérien El Watan, quant à lui, évoque des “personnalités qui pourraient se voir inquiétées” suite à cette décision d’extradition, allusion à la caste militaro-économique née de l’argent de la rente gazière et qui détient le pouvoir en secret depuis un demi-siècle. Pour sa part, l’accusé crie au complot politique. Son extradition est actuellement en appel, retardant encore l’épilogue de cette aventure économique algérienne qui a mal tourné.
TELQUEL
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