vendredi 11 juin 2010 - par Faysal Riad
L’anthropologie historique et l’histoire des idées ont depuis longtemps insisté sur l’importance des représentations sociales véhiculées notamment par les œuvres artistiques. Pour bien comprendre notre société, en plus des analyses scientifiques et œuvres artistiques plus ou moins subversives, une attention particulière peut être portée aussi aux discours plus conventionnels produits par nos idéologues « officiels », ainsi qu’aux paroles prononcées par les dirigeants, intellectuels et artistes à succès, qui présentent l’intérêt d’être caractéristiques d’une classe sociale, d’un milieu, ou plus largement d’une époque. Et lorsque ces œuvres commerciales sont matraquées sur toutes les ondes et encensées par tous les « faiseurs d’opinion », et lorsqu’elles connaissent de ce fait un certain succès auprès du grand public, leur analyse n’en devient que plus nécessaire…
On répète souvent dans les médias que le paysage musical français a su ces dernières années s’ouvrir aux autres cultures : on entendrait paraît-il de plus en plus de musiques étrangères, phénomène lié à la réalité de la « France diverse », ou « plurielle », qui tendrait à prouver entre autre que les médias français ont su s’ouvrir à la présence d’êtres venus d’ailleurs et soucieux de « s’intégrer à notre société ». Une nécessaire intégration qui pourrait, dit-on, passer aussi par la musique : nous serions tous frères, si en plus de supporter la même équipe de football, nous étions tous capables d’écouter les mêmes musiques.
« Diversité »
Mais de quelles musiques parle-t-on au juste ? Le thème de l’intégration étant presque systématiquement abordé dans les plateaux de télé lorsque ces derniers reçoivent un Faudel ou un Abd Al Malik, on peut s’interroger – dans la mesure où ce thème est solidaire de l’idée selon laquelle le métissage et l’ouverture culturels (quasi inexistants dans les médias) seraient promus et largement diffusés de nos jours – au sujet de l’intérêt, et surtout du sens, de ce type de rapprochement.
Le premier problème de ce joli discours réside dans le fait qu’englobant indistinctement dans le même ensemble des cultures étrangères, des cultures d’origine de certains immigrés et des cultures simplement françaises de Français non-blancs [1], il considère d’emblée comme étrangère une population, étrangerun public, qui dans les faits ne devraient pas l’être, et dont les seuls points communs sont de ne pas appartenir à la communauté majoritaire, c’est-à-dire la communauté blanche. Car aucun point commun ne peut pertinemment rapprocher ces artistes que les journalistes mettent dans un même panier : rappeurs, chanteurs de raï ou tout simplement de variétés françaises, si ce n’est l’origine des interprètes : Afrique sub-saharienne ou Maghreb. En quoi s’ « ouvrirait »-on d’un point de vue esthétique en recevant et en interrogeant un Français chantant en français des chansons françaises ?
En un sens donc, cette idéologie renvoyant les interprètes à leurs origines est biencommunautariste.
Second problème : grand amateur de musiques orientales qui ont bercé mon enfance, je n’ai pratiquement jamais entendu dans les médias français de chants traditionnels ou savants moyen-orientaux ; pas plus que je n’ai entendu de chaabi,de hawzi, de maalouf, de chant bédouin oranais, de chant saharien, de poésie chantée kabyle, de mezwed tunisien, d’art arabo-andalous marocain, de dabkélibanais, de chants palestiniens, de qudud halabi syrien, ni jamais rien de ce genre !
Jouant moi-même de la guitare, j’aime aussi certains grands guitaristes africains qui ont su révolutionner la pratique de cet instrument... Mais où puis-je donc me procurer ces enregistrements ? Où puis-je trouver des renseignements sur ces œuvres importantes témoignant de la qualité et de la richesse de cultures méprisées du grand public et susceptibles, selon l’idéologie officielle, de permettre une « revalorisation symbolique » de mes « repères identitaires », et de m’aider ainsi à « m’intégrer » dans ce pays où, soit dit en passant, je suis né [2] ?
Dans des espaces stigmatisés comme « communautaristes », justement, c’est-à-dire dans les quartiers de Barbès ou de Château Rouge...
Car ce que les médias considèrent comme des musiques étrangères, à l’égard desquels elles consentent généreusement à « s’ouvrir », ne sont la plupart du temps que des œuvres complètement aseptisées, c’est-à-dire débarrassées de tous les éléments esthétiques pouvant éventuellement les rattacher à une tradition étrangère [3].
L’imposture réside donc dans le fait que ces œuvres ne sont en réalité que de banales chansons de variétés occidentales, purement occidentales d’un point de vue esthétique, ayant pour seule particularité d’être interprétées par des non-blancs. Quelle « ouverture » à l’altérité y a-t-il donc, dès lors que ladite altérité est sommée, pour être acceptée, de se dénaturer afin de ressembler au maximum – voire de « s’assimiler » – à l’ensemble majoritaire ? [4]
Considérer comme étrangères des musiques au seul motif qu’elles sont interprétées par des non-blancs n’est au fond rien d’autre qu’une attitude raciste, puisque la nationalité française n’est pas du tout censée reposer sur la couleur de peau [5].
L’anthropologie historique et l’histoire des idées ont depuis longtemps insisté sur l’importance des représentations sociales véhiculées notamment par les œuvres artistiques. Pour bien comprendre notre société, en plus des analyses scientifiques et œuvres artistiques plus ou moins subversives, une attention particulière peut être portée aussi aux discours plus conventionnels produits par nos idéologues « officiels », ainsi qu’aux paroles prononcées par les dirigeants, intellectuels et artistes à succès, qui présentent l’intérêt d’être caractéristiques d’une classe sociale, d’un milieu, ou plus largement d’une époque. Et lorsque ces œuvres commerciales sont matraquées sur toutes les ondes et encensées par tous les « faiseurs d’opinion », et lorsqu’elles connaissent de ce fait un certain succès auprès du grand public, leur analyse n’en devient que plus nécessaire…
On répète souvent dans les médias que le paysage musical français a su ces dernières années s’ouvrir aux autres cultures : on entendrait paraît-il de plus en plus de musiques étrangères, phénomène lié à la réalité de la « France diverse », ou « plurielle », qui tendrait à prouver entre autre que les médias français ont su s’ouvrir à la présence d’êtres venus d’ailleurs et soucieux de « s’intégrer à notre société ». Une nécessaire intégration qui pourrait, dit-on, passer aussi par la musique : nous serions tous frères, si en plus de supporter la même équipe de football, nous étions tous capables d’écouter les mêmes musiques.
« Diversité »
Mais de quelles musiques parle-t-on au juste ? Le thème de l’intégration étant presque systématiquement abordé dans les plateaux de télé lorsque ces derniers reçoivent un Faudel ou un Abd Al Malik, on peut s’interroger – dans la mesure où ce thème est solidaire de l’idée selon laquelle le métissage et l’ouverture culturels (quasi inexistants dans les médias) seraient promus et largement diffusés de nos jours – au sujet de l’intérêt, et surtout du sens, de ce type de rapprochement.
Le premier problème de ce joli discours réside dans le fait qu’englobant indistinctement dans le même ensemble des cultures étrangères, des cultures d’origine de certains immigrés et des cultures simplement françaises de Français non-blancs [1], il considère d’emblée comme étrangère une population, étrangerun public, qui dans les faits ne devraient pas l’être, et dont les seuls points communs sont de ne pas appartenir à la communauté majoritaire, c’est-à-dire la communauté blanche. Car aucun point commun ne peut pertinemment rapprocher ces artistes que les journalistes mettent dans un même panier : rappeurs, chanteurs de raï ou tout simplement de variétés françaises, si ce n’est l’origine des interprètes : Afrique sub-saharienne ou Maghreb. En quoi s’ « ouvrirait »-on d’un point de vue esthétique en recevant et en interrogeant un Français chantant en français des chansons françaises ?
En un sens donc, cette idéologie renvoyant les interprètes à leurs origines est biencommunautariste.
Second problème : grand amateur de musiques orientales qui ont bercé mon enfance, je n’ai pratiquement jamais entendu dans les médias français de chants traditionnels ou savants moyen-orientaux ; pas plus que je n’ai entendu de chaabi,de hawzi, de maalouf, de chant bédouin oranais, de chant saharien, de poésie chantée kabyle, de mezwed tunisien, d’art arabo-andalous marocain, de dabkélibanais, de chants palestiniens, de qudud halabi syrien, ni jamais rien de ce genre !
Jouant moi-même de la guitare, j’aime aussi certains grands guitaristes africains qui ont su révolutionner la pratique de cet instrument... Mais où puis-je donc me procurer ces enregistrements ? Où puis-je trouver des renseignements sur ces œuvres importantes témoignant de la qualité et de la richesse de cultures méprisées du grand public et susceptibles, selon l’idéologie officielle, de permettre une « revalorisation symbolique » de mes « repères identitaires », et de m’aider ainsi à « m’intégrer » dans ce pays où, soit dit en passant, je suis né [2] ?
Dans des espaces stigmatisés comme « communautaristes », justement, c’est-à-dire dans les quartiers de Barbès ou de Château Rouge...
Car ce que les médias considèrent comme des musiques étrangères, à l’égard desquels elles consentent généreusement à « s’ouvrir », ne sont la plupart du temps que des œuvres complètement aseptisées, c’est-à-dire débarrassées de tous les éléments esthétiques pouvant éventuellement les rattacher à une tradition étrangère [3].
L’imposture réside donc dans le fait que ces œuvres ne sont en réalité que de banales chansons de variétés occidentales, purement occidentales d’un point de vue esthétique, ayant pour seule particularité d’être interprétées par des non-blancs. Quelle « ouverture » à l’altérité y a-t-il donc, dès lors que ladite altérité est sommée, pour être acceptée, de se dénaturer afin de ressembler au maximum – voire de « s’assimiler » – à l’ensemble majoritaire ? [4]
Considérer comme étrangères des musiques au seul motif qu’elles sont interprétées par des non-blancs n’est au fond rien d’autre qu’une attitude raciste, puisque la nationalité française n’est pas du tout censée reposer sur la couleur de peau [5].
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