''Les hommes sont libres''
La meilleure façon de rendre hommage à Mouloud Mammeri, dont nous commémorons l'anniversaire de la disparition cette semaine, est de l'entendre parler. Nous reproduisons le dernier entretien que notre romancier a accordé à un journal marocain lors de son dernier séjour dans ce pays voisin.
Le Matin du Sahara Magazine : Quels sont les rapports que peut prendre le problème de la spécificité et de l’universalité pour la littérature maghrébine d’expression française ?
Mouloud Mammeri : J’avoue que je suis très satisfait d’évoquer ce problème car j’avais l’habitude, quand j’étais jeune, de ne vivre ce problème qu’à partir du jugement des autres. C’était les autres qui nous jugeaient alors qu’on était le sujet et la matière. Pour les autres notre présence était transitoire, ludique, secondaire et exotique. On n’a jamais été les véritables sujets des problèmes posés.
Mon expérience personnelle avec ce sujet a commencé lorsque j’étais au lycée à Rabat. Dès lors j’étais très catastrophé par la tournure générale de l’enseignement que je recevais. Il est certes que j’avais de bons professeurs, mais il y avait toujours une perspective qui me gênait du moment que je me suis rendu compte qu’il était question de tout le monde sauf de nous, les Maghrébins. On était des étrangers dans l’enseignement qu’on recevait. Et quand on est jeune, cette expérience laisse une trace car elle a fini par créer en nous cette réaction de se sentir péjorativement jugé.
Puisque vous parliez d’une expérience vécue, peut-on évoquer avec vous un cas précis et qui a un rapport étroit avec la problématique posée ?
Quand j’étais en troisième, nous avions à expliquer un texte en latin, qui s’appelait La Guerre de Jugurtha ; et c’est alors que j’ai fait l’admiration de mon professeur. Car quand il nous donnait quinze lignes à préparer je lui rendais cinquante. Chose qui a poussé ce professeur à se demander le pourquoi de cela.
Ces questions se sont encore posées, quand on était passé de Salluste à Virgile car avec les textes de Virgile je ne faisais que le nombre de lignes qu’on me demandait.
Alors un matin, notre professeur de latin s’amène triomphant et s’adresse à la salle en ces termes : «J’ai enfin compris pourquoi Mammeri écrivait trois fois plus pour La Guerre de Jugurtha, car Jugurtha est l’ancêtre des Maghrébins».
J’ai donné cet exemple pour faire saisir comment le problème des rapports entre la spécificité et l’universalité pouvait se poser pour les gens de ma génération.
Se définir par rapport aux autres
Sur le plan théorique, le problème se pose de la façon suivante : Etre soi, c’est être au monde, mais sous quel visage ! Et c’est là que réside le problème, car on est obligé de se définir par rapport à soi-même mais aussi par rapport aux autres. D’autant qu’on est pris dans une espèce de dilemme, car ou bien on est spécifique, mais le risque apparaît tout de suite car être spécifique c’est se définir par quoi on ne ressemble pas aux autres. C’est ainsi que le risque réapparaît de nouveau quand on va s’enfermer dans une espèce de définition de nous-mêmes, et qui peut aussi affirmer qu’on est incapable d’agir par notre spécificité. Cela condamne notre spécificité à un usage purement solipsiste et qui rate l’expérience des autres.
La deuxième solution consiste à être universel, et c’est le revers de la médaille car on risque de renoncer à soi sous le prétexte de ressembler aux autres.
Devant ce problème, je ne me présente pas en totale innocence car je l’ai vécu depuis longtemps sans pouvoir le résoudre dans une espèce de totale objectivité.
La meilleure façon de rendre hommage à Mouloud Mammeri, dont nous commémorons l'anniversaire de la disparition cette semaine, est de l'entendre parler. Nous reproduisons le dernier entretien que notre romancier a accordé à un journal marocain lors de son dernier séjour dans ce pays voisin.
Le Matin du Sahara Magazine : Quels sont les rapports que peut prendre le problème de la spécificité et de l’universalité pour la littérature maghrébine d’expression française ?
Mouloud Mammeri : J’avoue que je suis très satisfait d’évoquer ce problème car j’avais l’habitude, quand j’étais jeune, de ne vivre ce problème qu’à partir du jugement des autres. C’était les autres qui nous jugeaient alors qu’on était le sujet et la matière. Pour les autres notre présence était transitoire, ludique, secondaire et exotique. On n’a jamais été les véritables sujets des problèmes posés.
Mon expérience personnelle avec ce sujet a commencé lorsque j’étais au lycée à Rabat. Dès lors j’étais très catastrophé par la tournure générale de l’enseignement que je recevais. Il est certes que j’avais de bons professeurs, mais il y avait toujours une perspective qui me gênait du moment que je me suis rendu compte qu’il était question de tout le monde sauf de nous, les Maghrébins. On était des étrangers dans l’enseignement qu’on recevait. Et quand on est jeune, cette expérience laisse une trace car elle a fini par créer en nous cette réaction de se sentir péjorativement jugé.
Puisque vous parliez d’une expérience vécue, peut-on évoquer avec vous un cas précis et qui a un rapport étroit avec la problématique posée ?
Quand j’étais en troisième, nous avions à expliquer un texte en latin, qui s’appelait La Guerre de Jugurtha ; et c’est alors que j’ai fait l’admiration de mon professeur. Car quand il nous donnait quinze lignes à préparer je lui rendais cinquante. Chose qui a poussé ce professeur à se demander le pourquoi de cela.
Ces questions se sont encore posées, quand on était passé de Salluste à Virgile car avec les textes de Virgile je ne faisais que le nombre de lignes qu’on me demandait.
Alors un matin, notre professeur de latin s’amène triomphant et s’adresse à la salle en ces termes : «J’ai enfin compris pourquoi Mammeri écrivait trois fois plus pour La Guerre de Jugurtha, car Jugurtha est l’ancêtre des Maghrébins».
J’ai donné cet exemple pour faire saisir comment le problème des rapports entre la spécificité et l’universalité pouvait se poser pour les gens de ma génération.
Se définir par rapport aux autres
Sur le plan théorique, le problème se pose de la façon suivante : Etre soi, c’est être au monde, mais sous quel visage ! Et c’est là que réside le problème, car on est obligé de se définir par rapport à soi-même mais aussi par rapport aux autres. D’autant qu’on est pris dans une espèce de dilemme, car ou bien on est spécifique, mais le risque apparaît tout de suite car être spécifique c’est se définir par quoi on ne ressemble pas aux autres. C’est ainsi que le risque réapparaît de nouveau quand on va s’enfermer dans une espèce de définition de nous-mêmes, et qui peut aussi affirmer qu’on est incapable d’agir par notre spécificité. Cela condamne notre spécificité à un usage purement solipsiste et qui rate l’expérience des autres.
La deuxième solution consiste à être universel, et c’est le revers de la médaille car on risque de renoncer à soi sous le prétexte de ressembler aux autres.
Devant ce problème, je ne me présente pas en totale innocence car je l’ai vécu depuis longtemps sans pouvoir le résoudre dans une espèce de totale objectivité.
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