Inlassablement les "folles " d'Alger, ces mères de familles viennent demander qu'on leurs rendent leurs disparus, enfants, maris, frère à jamais disparus dans la tourmente.
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Elles sont là, malgré la pluie. Certaines sont venues à pied, souvent de loin. La plupart portent le foulard islamique, parfois le niqab, masque sur le nez et la bouche. Beaucoup ne parlent que l'arabe. Toutes sont fatiguées, pourtant, elles ont tenu à faire le déplacement, ce mercredi 1er mars.
"Nous n'avons pas peur. On veut nous faire taire, mais on ne renoncera jamais !", disent-elles en brandissant photos et pancartes sur lesquelles elles ont écrit : "Rendez-nous nos enfants !" Voilà sept, dix ou douze ans que les "folles d'Alger" ont vu leur fils, mari ou frère disparaître. Et qu'elles se rassemblent chaque mercredi matin, sur la place Addis-Abeba, dans l'indifférence générale. Aujourd'hui, leur douleur est proche de la haine. Il y a vingt-quatre heures, les textes destinés à la mise en application de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale - adoptée par référendum le 29 septembre 2005, à l'initiative du président Bouteflika - sont parus au Journal officiel.
Vérité et justice ? Il n'en est pas question pour clore les "années de sang" de la décennie 1990, ses 150 000 morts et ses milliers de "disparus". Les ordonnances et décrets présidentiels promulgués prévoient l'extinction des poursuites contre les ex-terroristes ; l'interdiction d'engager des actions judiciaires contre les forces de sécurité de l'époque (officieusement tenues pour responsables de la majorité des disparitions) ; le versement d'indemnités financières aux familles des "disparus" ; et enfin des peines de prison contre ceux qui tenteraient "d'instrumentaliser les blessures de la tragédie nationale".
"ENTERRER LES DOSSIERS"
Incapables de faire leur deuil, puisqu'elles ignorent le sort de leurs proches, beaucoup de familles se raccrochent à l'idée qu'ils sont détenus dans des prisons secrètes en Algérie. "Quelqu'un de confiance m'a assuré le mois dernier que mon mari était vivant et qu'il allait bientôt être libéré", raconte une jeune femme. "Morts ou vivants, on les veut !", affirme une autre, indignée de savoir que, pour prétendre à une indemnité financière, il lui faudra au préalable réclamer un acte de décès : "C'est du chantage ! On veut nous faire admettre que nos disparus sont morts, de façon à enterrer les dossiers."
Fondatrices de SOS-Disparus, mère et grand-mère d'un jeune "disparu", Nacéra Dutour et Fatima Yous font partie du "noyau dur" des familles qui ne renonceront jamais à leur combat, alors que tant d'autres ont baissé les bras. "Les textes (d'application de la Charte) sont un scandale. Ceux qui ont massacré sont libres, et nous, on nous demande de tourner la page sans connaître la vérité !", martèle Mme Dutour, le visage défait.
Safia Fahassi, épouse d'un journaliste disparu, n'est pas surprise, elle. "Je savais que les gens qui sont derrière ces disparitions se protégeraient hermétiquement. Je m'attendais aussi à l'interdiction qui nous est faite de recourir à la justice. Mais tôt ou tard, la vérité éclatera. Regardez ce qui arrive à la France, quarante ans plus tard, avec la guerre d'Algérie...", dit-elle d'une voix presque sereine.
Fondateur et président de l'association Somoud, qui regroupe les victimes du terrorisme, Ali Merabet est révolté. Il y a dix ans, ses deux frères ont été enlevés non par les forces de sécurité mais par les islamistes. Il ne se sent pourtant pas logé à meilleure enseigne que les victimes de "l'autre bord" et dénonce cette "amnistie verticale", qui "vient d'en haut et ne touche finalement personne".
Comme nombre d'Algériens, en particulier les journalistes et les défenseurs des droits de l'homme, l'avocat Amine Sidhoum se dit inquiet devant la menace qui plane, désormais, sur quiconque s'avisera "d'instrumentaliser la tragédie nationale" ou de "ternir l'image de l'Algérie".
Que signifie ce concept flou, souvent interprété comme la volonté de verrouiller un peu plus encore la liberté d'expression ? "On tente d'effacer de la mémoire des Algériens ce qui s'est passé pendant plus de dix ans. Mais peut-on empêcher tout un peuple de parler de son histoire ?", s'interroge l'avocat.
Par le Monde
Une mère s'évanouit dans le village de Mahelma après qu'elle ait reconnu le portrait de son fils tué par les fondamentalistes islamiques le 16 novembre 1994.
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Elles sont là, malgré la pluie. Certaines sont venues à pied, souvent de loin. La plupart portent le foulard islamique, parfois le niqab, masque sur le nez et la bouche. Beaucoup ne parlent que l'arabe. Toutes sont fatiguées, pourtant, elles ont tenu à faire le déplacement, ce mercredi 1er mars.
"Nous n'avons pas peur. On veut nous faire taire, mais on ne renoncera jamais !", disent-elles en brandissant photos et pancartes sur lesquelles elles ont écrit : "Rendez-nous nos enfants !" Voilà sept, dix ou douze ans que les "folles d'Alger" ont vu leur fils, mari ou frère disparaître. Et qu'elles se rassemblent chaque mercredi matin, sur la place Addis-Abeba, dans l'indifférence générale. Aujourd'hui, leur douleur est proche de la haine. Il y a vingt-quatre heures, les textes destinés à la mise en application de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale - adoptée par référendum le 29 septembre 2005, à l'initiative du président Bouteflika - sont parus au Journal officiel.
Vérité et justice ? Il n'en est pas question pour clore les "années de sang" de la décennie 1990, ses 150 000 morts et ses milliers de "disparus". Les ordonnances et décrets présidentiels promulgués prévoient l'extinction des poursuites contre les ex-terroristes ; l'interdiction d'engager des actions judiciaires contre les forces de sécurité de l'époque (officieusement tenues pour responsables de la majorité des disparitions) ; le versement d'indemnités financières aux familles des "disparus" ; et enfin des peines de prison contre ceux qui tenteraient "d'instrumentaliser les blessures de la tragédie nationale".
"ENTERRER LES DOSSIERS"
Incapables de faire leur deuil, puisqu'elles ignorent le sort de leurs proches, beaucoup de familles se raccrochent à l'idée qu'ils sont détenus dans des prisons secrètes en Algérie. "Quelqu'un de confiance m'a assuré le mois dernier que mon mari était vivant et qu'il allait bientôt être libéré", raconte une jeune femme. "Morts ou vivants, on les veut !", affirme une autre, indignée de savoir que, pour prétendre à une indemnité financière, il lui faudra au préalable réclamer un acte de décès : "C'est du chantage ! On veut nous faire admettre que nos disparus sont morts, de façon à enterrer les dossiers."
Fondatrices de SOS-Disparus, mère et grand-mère d'un jeune "disparu", Nacéra Dutour et Fatima Yous font partie du "noyau dur" des familles qui ne renonceront jamais à leur combat, alors que tant d'autres ont baissé les bras. "Les textes (d'application de la Charte) sont un scandale. Ceux qui ont massacré sont libres, et nous, on nous demande de tourner la page sans connaître la vérité !", martèle Mme Dutour, le visage défait.
Safia Fahassi, épouse d'un journaliste disparu, n'est pas surprise, elle. "Je savais que les gens qui sont derrière ces disparitions se protégeraient hermétiquement. Je m'attendais aussi à l'interdiction qui nous est faite de recourir à la justice. Mais tôt ou tard, la vérité éclatera. Regardez ce qui arrive à la France, quarante ans plus tard, avec la guerre d'Algérie...", dit-elle d'une voix presque sereine.
Fondateur et président de l'association Somoud, qui regroupe les victimes du terrorisme, Ali Merabet est révolté. Il y a dix ans, ses deux frères ont été enlevés non par les forces de sécurité mais par les islamistes. Il ne se sent pourtant pas logé à meilleure enseigne que les victimes de "l'autre bord" et dénonce cette "amnistie verticale", qui "vient d'en haut et ne touche finalement personne".
Comme nombre d'Algériens, en particulier les journalistes et les défenseurs des droits de l'homme, l'avocat Amine Sidhoum se dit inquiet devant la menace qui plane, désormais, sur quiconque s'avisera "d'instrumentaliser la tragédie nationale" ou de "ternir l'image de l'Algérie".
Que signifie ce concept flou, souvent interprété comme la volonté de verrouiller un peu plus encore la liberté d'expression ? "On tente d'effacer de la mémoire des Algériens ce qui s'est passé pendant plus de dix ans. Mais peut-on empêcher tout un peuple de parler de son histoire ?", s'interroge l'avocat.
Par le Monde
Une mère s'évanouit dans le village de Mahelma après qu'elle ait reconnu le portrait de son fils tué par les fondamentalistes islamiques le 16 novembre 1994.
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