WANG XUEFEI
En mai 2008, quittant Imintanout, je devais me diriger vers deux nouveaux chantiers de notre compagnie : l'un se trouvait près de Taza, et l'autre, près de Guercif. Notre chauffeur marocain Saïd (un homme impressionnant qui pouvait conduire dans les virages en tenant un tajine de sa main gauche et le volant de l'autre) m'a accompagné à la gare de Marrakech. Comme je devais d'abord me rendre à Taza et qu'il n'y avait pas de voie ferrée reliant Marrakech et Fès, je devais faire un grand détour en passant par Casablanca, Rabat, Kénitra et Meknès avant d'arriver finalement à destination. Un voyage de dix heures! Dans mon compartiment de train, deux jeunes femmes se rendaient aussi à Taza, et durant une grande partie du voyage, elles ont parlé de cet endroit avec les autres Marocains, de sorte que j'ai pu avoir une bonne idée de la ville où je me rendais, avant même d'y arriver. À Fès, quand nous avons dû prendre la correspondance pour Taza, ces jeunes femmes m'ont aussi beaucoup aidé; sans elles, j'aurais sûrement manqué le train.
Le confort de Taza
J'avais été muté pour devenir l'interprète du chantier de Guercif, mais je devais d'abord passer quelque temps à Taza pour préparer le chantier. Mon travail n'était pas aussi dur qu'à Imintanout où nous travaillions de 7 h à 19 h. À Taza, je travaillais tous les jours jusqu'à 16 h; je préparais le plan d'implantation du chantier et je négociais avec nos partenaires de coopération technique, les sous-traitants et les fournisseurs. Étant donné qu'une vingtaine de collègues chinois allaient arriver au début de juin, le chef ingénieur et moi devions louer des appartements et installer à temps les bureaux et les logements à leur intention. Après que le plan d'implantation du chantier a été approuvé, notre chef ingénieur a dû se rendre tous les jours sur le terrain avec l'équipe de lever topographique, de sorte que j'ai dû faire tout seul le travail d'installation.
Deux ingénieurs en chef, l'autre interprète du chantier et moi-même habitions un appartement calme dans la banlieue de Taza. Cette petite ville tranquille est située sur une colline. Ses bâtiments n'ont pas la couleur rousse de ceux de Marrakech, ni le blanc immaculé de ceux de Rabat; ils sont d'un blanc un peu jaune. Sous le doux soleil de mai, la ville était agréable. Chaque jour, après avoir fait les achats, j'aimais me promener du bas de la ville jusqu'à la médina, en haut de la colline. Le soir, je jouais au majong sur Internet avec mes collègues.
Aider un collègue à nouer le foulard saharien
Un jour, la fille de la sympathique propriétaire de l'appartement nous a offert un délicieux plat de couscous et a parlé des lois sur les baux avec l'autre interprète, mon collègue Li. Après cette visite, j'en ai profité pour dire à mon collègue, particulièrement timide, que les Marocaines des villes étaient plus ouvertes qu'avant.
Plus tard en mai, je suis allé à Oujda, une ville tout près de la frontière avec l'Algérie, pour y acheter des oreillers, des couvertures et de la vaisselle. Quel plaisir ce fut alors de voir une partie de la finale du Championnat d'Europe de football entre les clubs Manchester United et Chelsea sur les télévisions du supermarché. Par surcroît, Ronaldo a marqué le premier but du match juste au moment où je le regardais. En Chine, le football avait été très important pour moi; je regardais les matchs à la télé tous les week-ends. Mais au Maroc, dans les chantiers, c'était un plaisir que je n'avais pas. Puis, ce mois agréable à Taza a pris fin; il était temps de déménager à Guercif. Comme j'allais être le seul traducteur de ce chantier, je prévoyais être extrêmement occupé.
La chaleur de Guercif
La ville de Guercif se trouve dans la partie la plus chaude du Maroc; en été, la température y atteint souvent 40 °C. Le propriétaire de notre appartement, M. Houari, était un sexagénaire très sympathique; d'ailleurs, j'ai trouvé tous les gens de cette ville particulièrement chaleureux. M. Houari nous invitait souvent à dîner chez lui, et quand nous déchargions des marchandises lourdes de notre pick-up, il demandait à son fils de nous aider. Bien plus, quand nous avions besoin d'aller acheter des légumes et que nous n'avions pas de voiture disponible, il offrait de nous y conduire avec sa Mercedes. Après quatre mois dans son appartement, nous avons tous dû emménager dans les installations de logement de notre chantier.
Il était un peu triste, mais il a continué à nous visiter au chantier. Je crois que lorsque l'autoroute a été ouverte à la circulation, cet homme a dû se sentir très fier, puisqu'il a en quelque sorte participé à sa construction.
Au travail, la vie n'était pas toujours facile. Pour assurer l'approvisionnement des matériaux de remblai et un dépôt, nous devions louer des terrains. Malheureusement, certains Marocains de la campagne sont très conservateurs et ne voulaient pas louer le leur, ce qui compliquait notre travail. Cependant, cette autoroute était importante, car elle allait relier les pays du Maghreb. C'est ainsi que les officiels marocains nous ont beaucoup aidés en nous montrant comment effectuer les procédures de demande de terrain et en convainquant les habitants de nous louer leur terrain. Sans l'aide de ces officiels, nos travaux n'auraient même pas pu commencer.
Au début des travaux, les employés et le matériel venant de Chine ont tardé à arriver; l'avancement des travaux a donc été retardé. Nous devions chercher des fournisseurs, acheter des engins de toutes sortes, dont des camions, et attirer des sous-traitants. Ayant déjà travaillé dans un autre chantier, je connaissais le Maroc plus que mes collègues; de plus, j'avais des amis marocains. Dans le domaine de la construction, j'étais nouveau, mais pour la vie et le travail au Maroc, j'avais une certaine expérience. D'ailleurs, j'avais même un prénom arabe : Amin. J'ai donc appelé des amis, des coopérants et des fournisseurs de mon ancien chantier. Durant les négociations de contrats, j'ai même suggéré d'ajouter des clauses qui permettraient d'éviter certains problèmes que nous avions connus au chantier d'Imintanout. De cette façon, lorsque les activités ont commencé avec nos partenaires marocains, le travail a été plus facile.
Un délicieux couscous préparé par la fille de la propriétaire
Un autre ramadan
Durant le dernier mois que j'ai passé au Maroc, il y a eu un autre ramadan, comme peu de temps après mon arrivée. Cette fois-là, j'ai fait le jeûne comme un musulman. Au chantier, j'ai même souligné en réunion que, pendant la journée, il ne fallait pas manger, boire ou fumer devant un Marocain.
Un jour, pendant ce ramadan, je suis allé à Meknès pour visiter une usine d'autobus avec notre chauffeur marocain. Le directeur du projet m'avait demandé de récupérer une pièce importante dans un autre chantier chinois qui se trouvait à 90 km de Meknès. Sur la route du retour, alors que le soir allait tomber et que nous nous trouvions à Ifrane, une belle petite ville dans la forêt, j'ai demandé au chauffeur de s'arrêter pour dîner; il avait déjà conduit plus de 300 km sans rien boire ni manger. En mangeant des kefta (boulettes de viande hachée grillée), des frites et de la harira (soupe marocaine traditionnelle que l'on prend pendant le ramadan), nous avons échangé sur ce qui était notre plus grand intérêt du moment : moi, la date de mes vacances en Chine, et lui, travailler dur et gagner de l'argent pour épouser la fille qu'il aimait.
Puis, un jour, comme il fallait s'y attendre, ce fut la fin de mon séjour au Maroc. De ce séjour, j'éprouve deux regrets. Le premier, c'est de n'avoir pas pu me rendre à Tanger pour marcher sur les traces d'Ibn Battouta (un Marocain venu en Chine au XIVe siècle). Le deuxième a trait à une famille française amie qui m'avait souvent invité à manger : je regrette de n'avoir pas eu l'occasion, avant de quitter le Maroc, d'inviter leur fils Sébastien à goûter la cuisine de notre chantier.
Malgré ces regrets, la veille de mon départ, j'ai bien dû boucler ma valise. Elle contenait des bouteilles d'essence de rose, des articles en bois d'Essaouira, un fragment de fossile, un foulard arabe, un manteau en cuir... Cette valise était pleine à craquer, mais cela n'était pas le plus important; c'était mon souvenir de tant de belles amitiés. Le 28 septembre 2008, j'ai pris l'avion pour Beijing. Aujourd'hui, quand je regarde mes photos du Maroc, je me dis que je ne pourrai jamais oublier mes amis et ma vie dans ce pays charmant. Un jour, Inch'Allah, j'aimerais y retourner pour revoir mes amis et conduire sur les autoroutes que nous avons construites.
Un des engins qu'il a fallu acheter
french.china
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