Marsa Maroc gagnerait à être adossée à un transporteur maritime
Jeudi, 20 Mai 2010
Le secteur portuaire marocain vit une mutation profonde et accélérée. Mais il n’est pas acquis que cette transformation soit bénéfique pour le Maroc. Des questions portant sur l’existence de stratégie portuaire, sur la place de Marsa Maroc dans le changement, sur la régulation à long terme se posent actuellement avec acuité. Najib Cherfaoui, expert en matière portuaire nous explique sa vision en partant de l’analyse de la situation actuelle.
Est-ce qu’il y a une logique portuaire au Maroc ?
Actuellement, la logique portuaire au Maroc est dictée par la logique de l’ignorance.
En effet, de 1960 à 2008, en raison de l’ignorance des choses de la mer et en l’absence totale de culture portuaire, ceux qui président aux destinées des ports du Maroc commettent une série d’erreurs à répétitions, non seulement scientifiques et techniques mais aussi de gestion. Ils engloutissent, en pure perte, des sommes colossales, avec évaporation d’un savoir faire millénaire.
Plus précisément, à partir de 1960, le système portuaire plonge dans un profond traumatisme, causé par l’incompétence. Cette incompétence écrase le fabuleux héritage accumulé par le pays : c’est ce que nous avons appelé le « traumatisme de 1960 ».
Il y a d’abord le démantèlement sauvage du régime des concessions, pourtant en vigueur depuis le milieu du XVIIIème siècle.
Ensuite, par incompétence, des ouvrages d’une valeur inestimable tombent en ruines ou disparaissent ; ainsi le radio phare de Casablanca (1984), le téléphérique de Sidi Ifni (1973) ou bien encore la plate forme Nord du wharf de Laâyoune (1976). Les premiers tétrapodes fabriqués au monde, pièces uniques, ayant une immense valeur historique, sont abandonnés dans l’indifférence générale depuis 1989.
L’absence de qualification fait des ravages dans la conception des ports. Les dysfonctionnements sont multiples, répétitifs et de nature très variée : tâtonnement autour du zéro hydrographique (Port de oued R’mel), zone de mouillage non définie (Port de Safi), entrée bloquée (port de Chmaala et port de Sables d’Or), ouverture du port placée dans la mauvaise direction (Port de Jorf Lasfar), postes rouliers mal orientés face aux vents dominants (Port de Nador), hangars avec des portes trop basses pour les élévateurs à fourche (Port de Tanger), portique acheté, réceptionné et jamais utilisé (Port de Casablanca), terminal à conteneurs revêtu de façon inappropriée (Port d’Agadir), appontement non conforme au profil d’une tranche importante de tankers (Port de Mohammedia), cercle d’évitage dangereux (Port d’Al Hoceima), ensablement du plan d’eau abrité (Port de Tan Tan), capitainerie mal positionnée (Port de Kénitra), chenal d’accès mouvant (baie de Dakhla).
Mais, il y a plus préoccupant : à force de produire des erreurs, on finit par s’y habituer jusqu’à l’abrutissement, c'est-à-dire au point d’en faire un critère de normalité et même d’excellence. Il s’ensuit alors un analphabétisme portuaire, source d’innombrables fautes « prévisibles », notamment de 1980 à nos jours. La plus stupéfiante est commise au port d’Asilah, la plus incroyable au port de Sables d’Or (Rabat), la plus tragique au port de Martil (Tétouan), la plus médicale au port de Larache et la plus stupide au port de Chmaala (2007). En raison de l’ensablement, plusieurs ports connaissent de graves difficultés d’exploitation, ainsi Laâyoune (1987), Tan Tan (1986) et Sidi Ifni (1996). D’autres ports ne seront jamais utilisés, comme Boujdour (1982), Asilah (1988), Tarfaya (1984), le nouveau port de Dakhla (2001) ou bien encore Saïdia (2002), pour ne citer que ceux là, car la liste est longue. Les pertes sont saisissantes et considérables ; si, tout de même, on cherche à évaluer le préjudice social et le coût humain, on trouve en dollars un chiffre qui donne le vertige, avec plus de neuf zéros à droite. Dans le sillage de cette spirale d’erreurs, la mise en œuvre du port de oued R’mel (2008), composante du projet « Tanger Méditerranée », n’échappe pas à cette règle et se caractérise, à son tour, par une série de maladresses, d’improvisations, d’égarements et de flottements tout à fait inquiétants.
La régulation ou la gestion régulée semble hésitante et reste effacée alors que le secteur portuaire se prépare à une transformation radicale avec l’apparition de grosses infrastructures ?
Pour parler de régulation ou de gestion régulée il faut disposer d’un règlement d’exploitation pour chaque port, car il constitue une grille de lecture évolutive et anticipative de l’avenir.
Pour comprendre l’ampleur du mal, il faut remonter à 1923 : la Convention et le Statut sur le régime international des ports maritimes de commerce faits à Genève le 9 décembre 1923, et ratifiée par le Maroc par le Dahir de 2 janvier 1974, stipule dans son article 4 que toutes les informations concernant les ports de commerce et utiles aux navires, particulièrement de nationalité étrangère, doivent être officiellement publiées.
Le dernier règlement d’exploitation publié dans le Journal Officiel date de 1952 (port d’Agadir). Aucun règlement d’exploitation ne sera plus jamais officiellement publié. L’unique raison est l’absence totale de culture portuaire.
Pour réguler, on s’en remet donc à l’improvisation et aux tâtonnements au grès des crises et des urgences. D’où l’effacement actuel face aux impératifs maritimes du XXIème siècle.
Le développement portuaire se fait sans une visibilité sur le business plan des acteurs publics, nous citons Marsa Maroc. Cela ne risque t-il pas de pénaliser cet acteur qui se prépare paraît-il à une privatisation prochaine ?
L’insuffisance de visibilité de Marsa Maroc est un cas typique de pénalisation causée par l’ignorance des choses de la mer.
Pour comprendre de quoi il retourne, il faut au remonter au début du XXème siècle.
En 1915, le banquier Rothschild confie à l’armateur « la Compagnie Transatlantique » le soin de créer et de gérer « La Manutention Marocaine » (MM). Ainsi dès 1916, la MM prend en charge la concession du transbordement dans le port de Casablanca. La donnée essentielle à retenir, c’est que la MM est la filiale d’un armateur. En 1962, on commet l’erreur de substituer à la MM un manutentionnaire non associé à un armateur : c’est la Régie des Exploitations Industrielles Manutention Marocaine (REI MM) pour une période transitoire d’une année.
On se maintient dans l’erreur avec la création l’année suivante (1963) d’un successeur non adossé à un armateur : c’est la Régie d’Aconage du Port de Casablanca (RAPC). Au début, limitée à Casablanca, cette régie voit ses prérogatives s’étendre aux principaux ports du pays : Agadir (1966), Mohammedia (1967), Tanger (1967), Safi (1967), Kénitra (1984) et Nador (1984).
En 1980, la RAPC frôle la faillite. En échange d’un prêt, la Banque Mondiale exige le regroupement des caisses portuaires en un guichet unique. En décembre 1984, l'Office d’Exploitation des Ports (ODEP) est ainsi substitué à la RAPC. Mais, on persiste dans l’erreur car l’ODEP ne possède aucun ancrage maritime.
En 2003 l’Union Européenne accorde un don de 95 millions d’euros, à condition de l’utiliser rapidement pour la mise à niveau des transports. On saute sur l’occasion et, à la hâte, on réactive le dossier portuaire. On sépare donc l’ODEP en deux caisses indépendantes. La première, étatique, collectera les droits de port, c’est l’Agence Nationale des Ports (ANP). La seconde, de droit privé, percevra les taxes de manutention, c’est Marsa Maroc (MM). Mais, là encore, on commet l’erreur de ne pas adjoindre à Marsa Maroc un armateur. En un siècle, on est donc passé de la MM (Manutention Marocaine) judicieusement alliée de l’armateur banquier Rothschild à la MM (Marsa Maroc) paresseusement adossée à un monopole étatique.
Ainsi, le manutentionnaire Marsa Maroc n’arrive pas à comprendre qu’en l’absence de monopole, il ne peut survivre que s’il est adossé à un armateur ; car l’armateur ne se limite pas à agir seulement sur le navire. À son image de marin, il associe celle d’un entrepreneur capable de garantir toutes les prestations de transport, du lieu de production au lieu de consommation, y compris la manutention.
Autrement dit, Marsa Maroc devra dorénavant, à la fois, ajuster son business plan et restructurer son capital selon une logique maritime.
Vous avez appelé à la création d’une grande instance pour définir la stratégie et le développement du secteur portuaire sur le long terme. Personne ne semble intéressé par cette proposition. Pouvez-vous, selon votre vision, décliner trois axes majeurs pour la mise en place de cette stratégie ?
En interrogeant le passé de nos ports, nous découvrons une Histoire à la fois fascinante et mouvementée. Mais il y a plus important : elle nous révèle les invariants de l’évolution.
En six siècles, de 1260 à 1860, le système portuaire marocain subit cinq traumatismes récurrents, tous de natures très différentes. Chaque épreuve fait apparaître une résilience nouvelle, c'est à dire une remarquable capacité à résister, à se réparer, à rebondir et à se surpasser. Après chaque agression, le système retrouve ce qui a été écrasé, cherche comment ça été écrasé, reconstruit là dessus, et remonte superbement à la surface : la résilience est un caractère permanent.
Un cycle de cent ans sépare au minimum le choc et le rétablissement de notre système portuaire : c’est l’invariant commun à toutes ses résiliences.
En conséquence, suite au traumatisme de 1960, la prochaine émergence ne devrait pas intervenir avant au moins 2060. Cependant, il existe une stratégie pour la ramener à l’horizon 2020.
Cette stratégie se compose de trois axes majeurs :
- Identifier et répertorier les fautes : c’est l’un des objets de notre livre « Résiliences, Système portuaire du Maroc ».
- Les responsables doivent changer de comportement : c'est-à-dire qu’ils doivent reconnaître publiquement les fautes commises.
- Rattraper le retard : les responsables doivent corriger les erreurs selon les instructions prescrites dans notre livre « Résiliences, Système portuaire du Maroc » et en instituant un « Cluster Maritime » qui jouera le rôle de Conseil national portuaire et maritime.
Autrement dit, les responsables actuels devront avoir le courage de faire le bilan de ce qu'ils laisseront aux générations suivantes, et de leur redonner des marges de manœuvre. Ils devront ensuite exposer la lecture qu'ils font de l'avenir et expliquer que, si notre système portuaire est plein de richesses et de promesses, il est aussi menacé d’exclusion par les mouvements du monde. Ils devront oser avouer qu'ils ont perdu beaucoup de temps, et on prendra bien soin d’écarter ceux qui, depuis trop longtemps, masquent l'écart entre nos ambitions et nos résultats.
Jeudi, 20 Mai 2010
Le secteur portuaire marocain vit une mutation profonde et accélérée. Mais il n’est pas acquis que cette transformation soit bénéfique pour le Maroc. Des questions portant sur l’existence de stratégie portuaire, sur la place de Marsa Maroc dans le changement, sur la régulation à long terme se posent actuellement avec acuité. Najib Cherfaoui, expert en matière portuaire nous explique sa vision en partant de l’analyse de la situation actuelle.
Est-ce qu’il y a une logique portuaire au Maroc ?
Actuellement, la logique portuaire au Maroc est dictée par la logique de l’ignorance.
En effet, de 1960 à 2008, en raison de l’ignorance des choses de la mer et en l’absence totale de culture portuaire, ceux qui président aux destinées des ports du Maroc commettent une série d’erreurs à répétitions, non seulement scientifiques et techniques mais aussi de gestion. Ils engloutissent, en pure perte, des sommes colossales, avec évaporation d’un savoir faire millénaire.
Plus précisément, à partir de 1960, le système portuaire plonge dans un profond traumatisme, causé par l’incompétence. Cette incompétence écrase le fabuleux héritage accumulé par le pays : c’est ce que nous avons appelé le « traumatisme de 1960 ».
Il y a d’abord le démantèlement sauvage du régime des concessions, pourtant en vigueur depuis le milieu du XVIIIème siècle.
Ensuite, par incompétence, des ouvrages d’une valeur inestimable tombent en ruines ou disparaissent ; ainsi le radio phare de Casablanca (1984), le téléphérique de Sidi Ifni (1973) ou bien encore la plate forme Nord du wharf de Laâyoune (1976). Les premiers tétrapodes fabriqués au monde, pièces uniques, ayant une immense valeur historique, sont abandonnés dans l’indifférence générale depuis 1989.
L’absence de qualification fait des ravages dans la conception des ports. Les dysfonctionnements sont multiples, répétitifs et de nature très variée : tâtonnement autour du zéro hydrographique (Port de oued R’mel), zone de mouillage non définie (Port de Safi), entrée bloquée (port de Chmaala et port de Sables d’Or), ouverture du port placée dans la mauvaise direction (Port de Jorf Lasfar), postes rouliers mal orientés face aux vents dominants (Port de Nador), hangars avec des portes trop basses pour les élévateurs à fourche (Port de Tanger), portique acheté, réceptionné et jamais utilisé (Port de Casablanca), terminal à conteneurs revêtu de façon inappropriée (Port d’Agadir), appontement non conforme au profil d’une tranche importante de tankers (Port de Mohammedia), cercle d’évitage dangereux (Port d’Al Hoceima), ensablement du plan d’eau abrité (Port de Tan Tan), capitainerie mal positionnée (Port de Kénitra), chenal d’accès mouvant (baie de Dakhla).
Mais, il y a plus préoccupant : à force de produire des erreurs, on finit par s’y habituer jusqu’à l’abrutissement, c'est-à-dire au point d’en faire un critère de normalité et même d’excellence. Il s’ensuit alors un analphabétisme portuaire, source d’innombrables fautes « prévisibles », notamment de 1980 à nos jours. La plus stupéfiante est commise au port d’Asilah, la plus incroyable au port de Sables d’Or (Rabat), la plus tragique au port de Martil (Tétouan), la plus médicale au port de Larache et la plus stupide au port de Chmaala (2007). En raison de l’ensablement, plusieurs ports connaissent de graves difficultés d’exploitation, ainsi Laâyoune (1987), Tan Tan (1986) et Sidi Ifni (1996). D’autres ports ne seront jamais utilisés, comme Boujdour (1982), Asilah (1988), Tarfaya (1984), le nouveau port de Dakhla (2001) ou bien encore Saïdia (2002), pour ne citer que ceux là, car la liste est longue. Les pertes sont saisissantes et considérables ; si, tout de même, on cherche à évaluer le préjudice social et le coût humain, on trouve en dollars un chiffre qui donne le vertige, avec plus de neuf zéros à droite. Dans le sillage de cette spirale d’erreurs, la mise en œuvre du port de oued R’mel (2008), composante du projet « Tanger Méditerranée », n’échappe pas à cette règle et se caractérise, à son tour, par une série de maladresses, d’improvisations, d’égarements et de flottements tout à fait inquiétants.
La régulation ou la gestion régulée semble hésitante et reste effacée alors que le secteur portuaire se prépare à une transformation radicale avec l’apparition de grosses infrastructures ?
Pour parler de régulation ou de gestion régulée il faut disposer d’un règlement d’exploitation pour chaque port, car il constitue une grille de lecture évolutive et anticipative de l’avenir.
Pour comprendre l’ampleur du mal, il faut remonter à 1923 : la Convention et le Statut sur le régime international des ports maritimes de commerce faits à Genève le 9 décembre 1923, et ratifiée par le Maroc par le Dahir de 2 janvier 1974, stipule dans son article 4 que toutes les informations concernant les ports de commerce et utiles aux navires, particulièrement de nationalité étrangère, doivent être officiellement publiées.
Le dernier règlement d’exploitation publié dans le Journal Officiel date de 1952 (port d’Agadir). Aucun règlement d’exploitation ne sera plus jamais officiellement publié. L’unique raison est l’absence totale de culture portuaire.
Pour réguler, on s’en remet donc à l’improvisation et aux tâtonnements au grès des crises et des urgences. D’où l’effacement actuel face aux impératifs maritimes du XXIème siècle.
Le développement portuaire se fait sans une visibilité sur le business plan des acteurs publics, nous citons Marsa Maroc. Cela ne risque t-il pas de pénaliser cet acteur qui se prépare paraît-il à une privatisation prochaine ?
L’insuffisance de visibilité de Marsa Maroc est un cas typique de pénalisation causée par l’ignorance des choses de la mer.
Pour comprendre de quoi il retourne, il faut au remonter au début du XXème siècle.
En 1915, le banquier Rothschild confie à l’armateur « la Compagnie Transatlantique » le soin de créer et de gérer « La Manutention Marocaine » (MM). Ainsi dès 1916, la MM prend en charge la concession du transbordement dans le port de Casablanca. La donnée essentielle à retenir, c’est que la MM est la filiale d’un armateur. En 1962, on commet l’erreur de substituer à la MM un manutentionnaire non associé à un armateur : c’est la Régie des Exploitations Industrielles Manutention Marocaine (REI MM) pour une période transitoire d’une année.
On se maintient dans l’erreur avec la création l’année suivante (1963) d’un successeur non adossé à un armateur : c’est la Régie d’Aconage du Port de Casablanca (RAPC). Au début, limitée à Casablanca, cette régie voit ses prérogatives s’étendre aux principaux ports du pays : Agadir (1966), Mohammedia (1967), Tanger (1967), Safi (1967), Kénitra (1984) et Nador (1984).
En 1980, la RAPC frôle la faillite. En échange d’un prêt, la Banque Mondiale exige le regroupement des caisses portuaires en un guichet unique. En décembre 1984, l'Office d’Exploitation des Ports (ODEP) est ainsi substitué à la RAPC. Mais, on persiste dans l’erreur car l’ODEP ne possède aucun ancrage maritime.
En 2003 l’Union Européenne accorde un don de 95 millions d’euros, à condition de l’utiliser rapidement pour la mise à niveau des transports. On saute sur l’occasion et, à la hâte, on réactive le dossier portuaire. On sépare donc l’ODEP en deux caisses indépendantes. La première, étatique, collectera les droits de port, c’est l’Agence Nationale des Ports (ANP). La seconde, de droit privé, percevra les taxes de manutention, c’est Marsa Maroc (MM). Mais, là encore, on commet l’erreur de ne pas adjoindre à Marsa Maroc un armateur. En un siècle, on est donc passé de la MM (Manutention Marocaine) judicieusement alliée de l’armateur banquier Rothschild à la MM (Marsa Maroc) paresseusement adossée à un monopole étatique.
Ainsi, le manutentionnaire Marsa Maroc n’arrive pas à comprendre qu’en l’absence de monopole, il ne peut survivre que s’il est adossé à un armateur ; car l’armateur ne se limite pas à agir seulement sur le navire. À son image de marin, il associe celle d’un entrepreneur capable de garantir toutes les prestations de transport, du lieu de production au lieu de consommation, y compris la manutention.
Autrement dit, Marsa Maroc devra dorénavant, à la fois, ajuster son business plan et restructurer son capital selon une logique maritime.
Vous avez appelé à la création d’une grande instance pour définir la stratégie et le développement du secteur portuaire sur le long terme. Personne ne semble intéressé par cette proposition. Pouvez-vous, selon votre vision, décliner trois axes majeurs pour la mise en place de cette stratégie ?
En interrogeant le passé de nos ports, nous découvrons une Histoire à la fois fascinante et mouvementée. Mais il y a plus important : elle nous révèle les invariants de l’évolution.
En six siècles, de 1260 à 1860, le système portuaire marocain subit cinq traumatismes récurrents, tous de natures très différentes. Chaque épreuve fait apparaître une résilience nouvelle, c'est à dire une remarquable capacité à résister, à se réparer, à rebondir et à se surpasser. Après chaque agression, le système retrouve ce qui a été écrasé, cherche comment ça été écrasé, reconstruit là dessus, et remonte superbement à la surface : la résilience est un caractère permanent.
Un cycle de cent ans sépare au minimum le choc et le rétablissement de notre système portuaire : c’est l’invariant commun à toutes ses résiliences.
En conséquence, suite au traumatisme de 1960, la prochaine émergence ne devrait pas intervenir avant au moins 2060. Cependant, il existe une stratégie pour la ramener à l’horizon 2020.
Cette stratégie se compose de trois axes majeurs :
- Identifier et répertorier les fautes : c’est l’un des objets de notre livre « Résiliences, Système portuaire du Maroc ».
- Les responsables doivent changer de comportement : c'est-à-dire qu’ils doivent reconnaître publiquement les fautes commises.
- Rattraper le retard : les responsables doivent corriger les erreurs selon les instructions prescrites dans notre livre « Résiliences, Système portuaire du Maroc » et en instituant un « Cluster Maritime » qui jouera le rôle de Conseil national portuaire et maritime.
Autrement dit, les responsables actuels devront avoir le courage de faire le bilan de ce qu'ils laisseront aux générations suivantes, et de leur redonner des marges de manœuvre. Ils devront ensuite exposer la lecture qu'ils font de l'avenir et expliquer que, si notre système portuaire est plein de richesses et de promesses, il est aussi menacé d’exclusion par les mouvements du monde. Ils devront oser avouer qu'ils ont perdu beaucoup de temps, et on prendra bien soin d’écarter ceux qui, depuis trop longtemps, masquent l'écart entre nos ambitions et nos résultats.
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