Annonce

Réduire
Aucune annonce.

Ali Haroun :Il n'y a jamais eu d'ordre de vengeance

Réduire
X
 
  • Filtre
  • Heure
  • Afficher
Tout nettoyer
nouveaux messages

  • Ali Haroun :Il n'y a jamais eu d'ordre de vengeance

    Contrairement au pouvoir qui en fait son fond de commerce "les ennemis d'hier", Ali Haroun évoque la question sans tabou : "Un pardon général. Quasiment une amnistie de droit, les accords étant un accord bilatéral avec toute sa portée juridique."

    Interview Réalisée Par Notre Correspondant A Paris : S. Raouf

    Ex-ministre dans le gouvernement Ghozali, ex-membre du Haut Comité d’Etat, Ali Haroun est une singularité dans le paysage politique algérien. Il est l’un des rares à s’être saisi de la plume pour faire oeuvre d’histoire.

    Publié en 1986 chez Le Seuil, sa «Wilaya 7» constitue l’une des meilleures références sur la Fédération de France dont il a été l’un des responsables. «L’été de la discorde» (Casbah) est un témoignage - de l’intérieur - de la session du CNRA de Tripoli, l’un des «lubrifiants» qui ont attisé le feu de l’été 1962. Et nourri dans la durée la crise algérienne. Me Haroun vient d’approfondir ce tournant conflictuel par un nouveau livre (*). Un état des lieux de l’Algérie au seuil de l’indépendance. Membre du CNRA et, à ce titre, responsable de la révolution, l’ancien membre de la «présidence collégiale» parle de la question des harkis.

    Le Quotidien d’Oran: De multiples lectures sont faites pour expliquer le drame des harkis au printemps et à l’été 1962. L’une d’elles accrédite l’idée d’une liquidation systématique ordonnée par le FLN ou la direction de la révolution.

    Ali Haroun: Je m’inscris en faux contre une telle affirmation. Le drame des harkis n’a pas été le fait d’une politique délibérée de vengeance et de règlements de compte. Jamais un ordre de vengeance n’a été donné par le FLN. J’ai été membre du Conseil national de la révolution algérienne. Je peux attester que rien de tel n’a été décidé au sein des instances de la révolution. Bien au contraire !

    Q.O.: C’est-à-dire...

    A.H.: Des wilayas se sont exprimées de la manière la plus claire qui soit. La wilaya IV a interdit de toucher à un harki sous forme d’un ordre en bonne et due forme. Mohamed Teguia le rapporte dans son «Histoire de la wilaya IV». Tout aussi précis, l’ordre rendu public par Mohand Oulhadj dans la wilaya III. Le journal Le Monde en a fait état dans une de ses éditions du printemps-été 1962. Des vengeances et des tueries en série, il y en a eu, c’est certain. Personne ne le conteste. Mais les imputer à une directive générale du FLN, c’est pas du tout conforme à la vérité. Je peux vous affirmer qu’au niveau du FLN, il n’y a jamais eu d’ordre ou d’instruction appelant à en découdre avec les harkis. Si cette décision existe, qu’on me la montre !

    Q.O.: Moins tranchants, d’autres acteurs en France estiment que, s’il n’a pas donné un ordre de cette nature, le FLN a laissé faire.

    A.H.: Il n’y a plus de FLN à ce moment-là. Le mouvement a explosé le 6 juin 1962 au soir de la session inachevée du CNRA à Tripoli. Pendant la période incriminée (1), il n’y a plus de direction du FLN capable de donner des ordres applicables sur l’ensemble du territoire national et même dans ses représentations à l’étranger. Dès lors, toute une série d’initiatives et d’attitudes sont prises à l’échelon de base ou individuel. Il est regrettable que l’on amalgame entre le FLN du temps de la guerre et ce qu’il en reste au plus fort de la période trouble.

    Q.O.: Les harkas activant depuis le début du conflit, est-ce que la direction de la révolution s’est penchée sur leur sort à la veille de l’indépendance ?

    A.H.: On n’en a pas parlé spécialement. Lors de la session du CNRA d’avant Tripoli et pendant celle de Tripoli, nous avons discuté des négociations d’Evian, puis des accords. Il était entendu que toute personne qui avait activé d’un côté ou de l’autre pendant la guerre d’Algérie ne pouvait être poursuivie. Pour quelque raison que ce soit.

    Les négociateurs français l’avaient demandé, nous l’avions accepté. C’était clair et logique. Quand une guerre se dénoue, on n’en poursuit pas les acteurs.

    Q.O.: Une amnistie de fait ?

    A.H.: Un pardon général. Quasiment une amnistie de droit, les accords étant un accord bilatéral avec toute sa portée juridique.

    Q.O.: Au vu des récits et des témoignages, le moment le plus dramatique pour les harkis coïncide avec la crise de l’été 1962. Vous l’expliquez dans vos deux livres: la période est marquée par un émiettement de la direction de la révolution. Le sort des harkis a-t-il été évoqué par un des acteurs en présence (état-major de l’ALN, le BP du FLN en gestation, le GPRA, les wilayas).

    A.H.: A ce moment, nous ne savons plus où donner de la tête. Nous sommes tellement préoccupés par une somme de périls: l’effritement du FLN et l’affrontement inter-wilayas entre frères d’armes. Entre août et la mi-septembre, le bilan humain a atteint près d’un millier de morts.

    Q.O.: Drame, massacre, abandon: littérature historienne, films, pièces de théâtre et témoignages autobiographiques déclinent, sous différents qualificatifs, la situation vécue par les harkis entre mars et septembre 1962. Qu’y voyez-vous ?

    A.H.: Je pense que le qualificatif «massacre» au singulier n’est pas opportun. Il signifie une situation née d’un acte délibéré. La communication de Sylvie Thénault a montré combien la formule «le massacre» n’était pas appropriée à la situation telle qu’elle s’était déroulée. Elle a choisi de parler de «massacres» au pluriel: massacres qui sont le fait de zones particulières, de tribus, etc.

    Personnellement, je parle plutôt de tueries. Tueries qui ont été rendues d’autant plus inévitables que le FLN en tant qu’autorité n’existe pas au moment des faits.

    Il n’est plus en situation d’agir et de donner des ordres à la moindre alerte venant d’un harki.

    Q.O.: La crise de l’été 1962 dénouée avec les conséquences que l’on sait, la situation sécuritaire se normalise.

    Les années passent sans que le sort des harkis ne revienne dans le débat public. Tabou ? Sujet gênant ? Interdit imposé par ce qu’on appelle «la famille révolutionnaire» ?

    A.H.: Pendant de nombreuses années, il était de bon ton de se réclamer de l’épopée révolutionnaire, d’en faire valoir les pages. Tout ce qui était lié, à un titre ou à un autre, au colonialisme n’était pas le bienvenu dans le débat public. Il n’était pas opportun d’en parler ou même d’essayer de le défendre.

    Avec le temps qui passe, une telle attitude n’a plus cours. Quarante ans après les faits, on devrait aborder cette question avec moins de passion et plus de recul. La majorité des harkis - on l’a dit ce matin - n’a pas rejoint l’armée française par conviction. Elle y a été enrôlée.

    Q.O.: Moins par conviction que par force ?

    A.H.: Absolument. La force économique d’abord. La plupart des enrôlés n’avaient pas de quoi nourrir leurs familles. Ils étaient payés à la région. A mon sens, un grand nombre a rejoint pour ces raisons-là. D’autres l’ont fait pour des raisons tribales. Les membres de la Harka du Bachagha Boualem n’ont pas rejoint par conviction patriotique - ils n’avaient jamais vu un Français dans les parages - mais par fidélité tribale à leur chef. On ne peut pas mettre tous les harkis dans une situation identique. Les motivations de choix sont multiples.

    Q.O.: La polémique ne perdant pas de son acuité quarante-cinq ans après les faits, que faire ?

    A.H.: On devrait dépassionner le débat. C’est mon opinion personnelle. Le problème se pose moins pour les harkis - le plus jeune doit avoir 70 ans - que pour leurs enfants. A mes yeux, il faut reconsidérer autrement le débat pour deux raisons au moins. La première: on n’est jamais responsable des faits et gestes de ses parents. Deuxième raison: aujourd’hui, les enfants de harkis se sentent rejetés. Ils sont assis entre deux chaises, n’ont plus de référents et sont, hélas !, une proie facile pour l’intégrisme. Ils devraient pouvoir se rattacher. Le gouvernement algérien devrait regarder le problème avec moins de passion, plus de recul. Le gouvernement français devrait traiter les enfants de harkis avec plus d’égards. Des deux côtés de la Méditerranée, on devrait agir avec plus d’objectivité pour retirer cette écharde qui constitue un véritable piège. Et, surtout, pour trouver une solution acceptable et humaine.

    Q.O.: Au regard de l’environnement algérien, toute évocation d’une solution dans ce sens suscite courroux et passions. Du moins dans certains pans de la société. Les chefs fondateurs du nationalisme algérien en parlent peu. Vous avez côtoyé l’un d’eux, Mohamed Boudiaf. Avez-vous discuté des harkis avec lui ?

    A.H.: Un vrai nationaliste, un vrai résistant, un vrai maquisard n’a pas peur des réalités. Il n’a aucun complexe à l’égard des questions épineuses. Quand il s’agit de réunir tous les enfants d’Algérie, il fera l’effort qu’il faudra. En l’occurrence, il n’a de leçons à recevoir de personne. Les plus extrémistes, ceux qui ont commis le plus de mal à l’égard des harkis, ce sont les résistants de la 25e heure. Ceux qu’on appelle les «Marsiens»
    (2).
    Dernière modification par TAHAR23, 07 mars 2006, 06h24.
    Quand le chat n'est pas là, les souris dansent
Chargement...
X