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un livre temoignage sur Srebreniça

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  • un livre temoignage sur Srebreniça

    "Vivre et mourir pour Srebrenica", Editions Riveneuve, Paris, Juillet 2010.

    ''Vivre et mourir pour Srebrenica''


    Mihrija Feković-Kulović, l'auteur
    Née en 1964 et diplômée d’économie de l’Université de Sarajevo, dans la Yougoslavie d’alors, Mihrija Feković-Kulović partage sa vie entre la Bosnie-Herzégovine et la Suisse où elle a été aide-soignante dans une maison de retraite à Lausanne. Elle livre ici son troisième roman, fruit de trois ans d’entretiens avec les témoins et de recherches historiques scrupuleuses.


    Le 11 juillet 2010 par Mihrija Feković-Kulović

    11 juillet 1995 : la petite ville bosniaque de Srebrenica, pourtant en zone protégée par l’Onu, tombe aux mains du général serbe Ratko Mladić, accusé aujourd’hui de génocide, de complicité de génocide, de crimes contre l’humanité et de violations des lois et coutumes de la guerre par le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY).

    En 2009, le Parlement européen vote à une écrasante majorité le 11 juillet date anniversaire à la mémoire du génocide de Srebrenica. Zejna, Azra, Dika, Mujo, Ibiš et quelques autres ont pourtant survécu à l’enfer et ont pu se réfugier en Suisse.

    L’auteur les a rencontrés à Genève dans un programme de théâtre documentaire orchestré par le dramaturge Antoine Jaccoud. C’est là qu’est né le projet du livre, en retissant le vécu de ces quatorze survivants de Srebrenica sur le canevas de l’Histoire.


    Le petit garçon, mardi 11 juillet

    DU VILLAGE DE ŽEDANJSKO, on peut voir les blindés des tchetniks attaquer Zeleni Jadar. Il n’y a que le lit de la rivière qui sépare le village des lignes de front. Les défenseurs tiennent un des versants et les tchetniks l’autre. À plusieurs reprises, le petit garçon a grimpé la colline avec ses copains et a pu observer la progression des chars, des véhicules blindés et de l’infanterie.
    Cet enfant est déjà grand, il a presque onze ans et sa mère ne le tient plus enfermé dans la cave comme elle l’avait fait pendant trois ans. D’ailleurs, ces derniers jours, leur village n’a pas subi d’attaques. Il n’y a rien à craindre, mais il est parfois pris de tremblements. Ce n’est pas la première fois qu’il observe les tchetniks sur les lignes de front, mais jamais il n’en a vu autant, jamais il n’a vu autant d’armement lourd.
    « Cela ne présage rien de bon », entend-il dire des adultes à tout moment ; mais comme cela fait trois ans qu’il les entend répéter la même chose, il ne prête plus guère attention à ce qu’ils disent.
    Tantôt, il les entend affirmer qu’on peut défendre Srebrenica, et quelques heures plus tard que c’est impossible. La seule chose dont il est sûr, c’est que les adultes aiment bien faire les importants et donner des leçons aux autres. D’ailleurs, ce ne sont pas eux qui défendent la ville et ils ne peuvent donc pas savoir si oui ou non on peut la défendre. Il n’y a que les jeunes gens du village qui peuvent le dire, eux qui se rendent chaque jour à Srebrenica pour prêter main forte aux combattants. Le petit garçon a un grand frère qui en est ; aussi peut-il se vanter devant les autres que son frère se bat contre les tchetniks.
    Parfois, ses copains lui disent qu’il n’est qu’un menteur, car tout le monde au village sait bien que son frère n’a pas de fusil ; pourtant, ils l’envient tous d’avoir un grand frère si courageux.
    Depuis que l’offensive a commencé, Husika, le chef des sentinelles du village, va chaque jour à la ville pour voir ce qui se passe et, quand il revient, il raconte aux adultes ce qu’il a vu. Il n’est pas permis au petit garçon ni à ses copains d’écouter ce que raconte Husika ; aussi doivent-ils se faufiler en cachette dans la masse des adultes. Ils sont très curieux et, en outre, ils pensent qu’il est tout à fait normal qu’ils soient au courant, eux aussi, de ce qui se passe. De toute façon, tôt ou tard, ils parviendront à l’être car, c’est bien connu, les adultes ne savent pas garder un secret.
    Comme les villageois qui font cercle autour de Husika ne posent aucune question, le garçonnet comprend qu’il se passe quelque chose d’anormal. Et comme personne ne leur ordonne, ni à lui ni à ses copains, de filer à la maison, en prétendant que ces histoires-là ne sont pas pour les oreilles des enfants, ils prennent place dans le cercle autour du chef des sentinelles, avec les adultes.
    Husika est un homme de trente ans, de grande taille, un peu grassouillet ; il a une voix forte et passe pour un vaillant combattant. Aujourd’hui il est tout autre, il est pâle comme un linge et ne parvient pas à proférer une parole.
    Il n’y a que lorsqu’une femme a l’idée de lui apporter un verre d’eau, qu’il se met à parler, mais tout bas :
    « Srebrenica est tombée. Il y a deux heures.

    — Quoi ? Quoi ? », s’écrient les villageois et il doit répéter la même chose plusieurs fois.
    Les femmes et les enfants doivent se rendre à Potocari, tandis que les hommes et les jeunes gens doivent prendre le chemin de la forêt. Le point de rassemblement est à Buljim.
    Ce qui fait plaisir au petit garçon, c’est que les garçons de son âge doivent se joindre aux hommes. Sa maman ne va pas être contente de devoir aller toute seule à Potocari car, comme toutes les mamans, elle aime jouer les chefs à la maison et donner des ordres aux hommes ; mais cette fois, le petit garçon a la permission de prendre le chemin de la forêt avec ceux du sexe fort. D’ailleurs, tout le monde dit qu’il a bien grandi depuis un an.
    Tous les habitants du village courent de tous les côtés car, pour finir, Husika a dit qu’il faut se mettre en route immédiatement. Même si, dès la veille, maman a préparé tout ce dont ils ont besoin, il n’en reste pas moins qu’elle est préoccupée, se tord les doigts et pleure à tout moment. Papa doit remonter une fois de plus jusqu’aux lignes de front pour ramener le grand frère. Quand il revient sans lui, maman se fâche très fort contre lui.
    « Nous ne pouvons pas partir sans lui », gémit-elle et elle exige qu’il retourne encore une fois jusqu’aux lignes de front ; elle se moque bien de ce que les tchetniks soient partout. Il faut qu’il lui retrouve son enfant.
    Le père la calme. Il lui dit que son fils est un adulte et qu’il sait se débrouiller tout seul. Il parvient en quelque sorte à la convaincre et le petit garçon se met en route avec tout le village de Žedanjsko.
    Tous ceux qui fuient font le chemin ensemble jusqu’à Gornji Potocari, et ensuite ils se séparent, comme l’a dit Husika.
    Non loin de Gornji Potocari, le frère du petit garçon les rejoint. La mère pousse un cri et se pend à son cou. Puis tout le monde s’embrasse, pleure et se console.
    Le père s’approche du petit garçon et lui caresse la tête.
    « Nous deux, ton frère et moi, nous montons par la forêt, et maman et toi, vous descendez à Potocari.

    — Comment ça ? Il faut que je prenne le chemin de la forêt, moi aussi, je suis déjà grand.

    — Non, fiston, tu n’es encore qu’un petit garçon et tu dois aller avec ta maman.

    — Moi, je crois que je ferais mieux d’aller avec vous », insiste-t-il encore une fois. Mais quand il voit des larmes couler sur le visage de son père – c’est la première fois qu’il le voit pleurer – il prend la main que lui tend sa mère.
    « Tu es le seul de nous trois qui survivra sûrement, lui dit son frère en l’attirant dans ses bras. Nous nous reverrons, si Dieu le veut, dans deux jours », ajoute-t-il et il s’approche de sa maman pour l’embrasser.
    « Si Dieu le veut », dit la mère en larmes et, lorsqu’ils prennent tous les deux à droite, elle leur crie :
    « Pressez le pas ! Ne restez pas en arrière ! »

    Azra, le même jour

    LA JEUNE FEMME DE SULJO, portant son fils d’un an et demi dans ses bras, non seulement ne prend pas la peine de frapper à la porte de la maison de son père, mais elle se précipite à l’intérieur comme une furie en s’écriant :
    « Papa ! Maman ! Allez, vite, en route ! Tout le monde fuit !

    — Moi, je ne vais nulle part », répond le vieil homme calmement. Il fume une cigarette roulée dans du papier journal. « Si j’étais plus jeune, je suivrais les hommes dans la forêt, mais tel que je suis, je préfère rester dans ma maison.

    — Mais qu’est-ce que tu racontes, papa ? Les vieux eux aussi descendent vers Potocari, comme les femmes et les enfants. Il y a même quelques hommes jeunes. Où crois-tu qu’ils aillent sinon à la base du bataillon hollandais ? Maman, dis-lui quelque chose, toi ; pourquoi tu ne dis rien ?

    — L’essentiel pour nous, c’est que nos fils soient partis rejoindre les autres sur cette colline ; quant à nous qui sommes vieux, peu importe », répond la vieille femme dont la petite tête fine est couverte d’un foulard.
    « Et toi aussi, tu dois tout faire pour sauver cet enfant et non pas risquer ta vie à cause de nous, qui ne sommes que des vieillards. Pendant deux heures, j’ai essayé de le persuader que nous devions descendre, mais rien n’y a fait, il ne veut rien entendre. Et s’il peut bien attendre les tchetniks chez nous, alors je les attendrai moi aussi, avec lui.



    ps: Extrait du récit "Vivre et mourir pour Srebrenica", Editions Riveneuve, Paris, Juillet 2010.









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    Dernière modification par Sioux foughali, 24 juillet 2010, 11h48.
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