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A propos des Mémoires de Saïd Sadi

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  • A propos des Mémoires de Saïd Sadi

    Par Sekfali Zineddine*
    Le livre du docteur Saïd Sadi et les vives polémiques qu’il a suscitées m’inspirent, comme à beaucoup de gens, deux séries de réflexions.
    La première est que nous avons une bizarre manie : nous voyons partout des traîtres et crions facilement à la trahison. Et ce n’est pas tout : la paranoïa de la conspiration et de la subversion est une maladie fort répandue chez nous. Ceci explique peut-être cela. En effet, des hommes aussi illustres que l’émir Abdelkader, El- Mokrani, Messali Hadj, Ben Badis, Ferhat Abbas, Abane Ramdane et bien d’autres encore, ont tous été, à un moment ou un autre de l’actualité politique du pays, traînés dans la boue, sous les accusations les plus outrancières, dont celle de trahison…

    Rappelons que trahir son pays c’est selon la loi, soit entretenir des intelligences avec une puissance ennemie pour l’amener à commettre des actes hostiles ou une agression contre son propre pays, soit livrer à un Etat étranger tout ou partie du territoire national, ou des équipements, matériels et appareils affectés à la défense nationale, soit lui fournir des renseignements, soit commettre des actes de sabotage. Je ne connais pas d’infraction contre son propre pays et contre ses concitoyens plus grave que le crime de trahison. Aussi il est recommandé, avant de lancer de telles accusations, de savoir de quoi on parle. Même Boudiaf, de retour au pays pour aider à résoudre la crise politique dans laquelle le pays venait de plonger, fut dénoncé comme «franc-maçon» par des détracteurs qui, probablement, ignorent tout de la «francmaçonnerie », ou la prennent pour une secte religieuse. Mais ces derniers temps, la calomnie et le dénigrement ont atteint des sommets. On a ouvert les placards à cadavres, les dossiers les plus sulfureux et la fameuse boîte de Pandore… Des survivants déterrent des morts. Tout le monde y passe : colonels de Wilaya, officiers de tous grades, responsables politico- militaires, morts au maquis ou ailleurs, pendant la lutte de libération nationale ou après… Des noms connus sont jetés en pâture. Ce qui est en tout cas sûr, c’est que les quelques personnes citées plus haut font d’ores et déjà partie de l’histoire de l’Algérie soit comme de valeureux combattants, soit comme des politiques de grande qualité. Ils incarnent la nation algérienne tout entière. Ils n’appartiennent à aucun groupe ethnique ni à aucune région du pays. Ils sont représentatifs chacun à sa manière d’une certaine idée de l’Algérie. En Algérie comme partout ailleurs, la nation ne saurait se réduire à une multitude moutonnière constituée d’individus lambdas, sans référents culturels ou historiques. La seconde série de réflexions qui vient à l’esprit est que l’ouvrage du Dr Sadi, ainsi que les commentaires auxquels il a donné lieu nous ont plongés dans les secrets les mieux gardés et les plus lourds de la guerre de Libération nationale… Ils ont fait ressortir de l’oubli des évènements troubles et ont levé le voile sur certains aspects sombres d’un passé qui nous est commun. Même si beaucoup de gens se doutaient qu’il régnait en ces temps-là, «à l’intérieur comme à l’extérieur, chez les politiques comme chez les militaires», de graves désaccords et d’implacables inimitiés, certaines révélations nous surprennent encore. Ces révélations sont aussi choquantes qu’intolérables. Quand, en effet, le pouvoir devient l’enjeu principal, il n’y a plus entre les protagonistes, challengers et outsiders de ce pouvoir, que des luttes sans merci, qui dès lors qu’elles opposent des frères d’armes, se concluent immanquablement en fratricides. Ce n’est pas nouveau : depuis que l’un des deux fils d’Adam a tué son unique frère, fait attesté par la Thora, les Evangiles et le Saint Coran, l’histoire universelle de l’humanité est jalonnée d’horribles fratricides. Mais il fallait bien, après plus de quarante années de récits légendaires et épiques, qu’advienne le retour fracassant de la vérité toute nue. Si les informations inédites qui fourmillent dans ce livre et les répliques paraissent avoir créé chez certains une sorte de malaise, elles ont le grand mérite de relancer l’écriture de l’histoire. Ce travail que l’historien est habilité à effectuer ne peut se faire que sur la base de sources précises telles que les documents et les témoignages. Quand le passé étudié n’est pas éloigné, ce qui est le cas de notre guerre de Libération nationale, et alors surtout que ses effets se font encore ressentir, l’historien peut faire appel, mais avec les précautions d’usage, aux témoignages oraux. Ce travail de recherche, de récolement, d’authentification, de recoupement, d’analyse et d’évaluation, les historiens d’ici ou d’ailleurs le font de façon méthodique et avec l’attitude critique que permet la distanciation par rapport aux évènements rapportés dans les documents ou dans les témoignages. Voici l’exemple d’un même fait qui peut être rapporté de quatre manières différentes et donner lieu à quatre versions distinctes. Il y a d’abord la vérité factuelle, celle qui rapporte la réalité nue : telle personne a été mise à mort tel jour, à tel endroit… Il y a ensuite la version officielle donnée par celui qui a ordonné ou donné la mort : tel jour, telle personne a été exécutée pour trahison… Il y a aussi le témoignage des rescapés et des survivants qui estiment que l’exécution a été décidée sur la base d’un simple soupçon… Il y a enfin le compte-rendu de victoire des services spéciaux ennemis qui se félicitent de ce que la manipulation qu’ils ont montée ait réussi. CQFD. A chacun sa vérité (Pirandello). Les mémoires individuelles sont donc subjectives parce qu’elles sont partielles : celui qui rapporte un évènement n’en connaît forcément pas tous les tenants et les aboutissants. Elles sont parfois partiales : notre mémoire évacue les mauvais souvenirs et ne retient que ce qui nous valorise. Par contre, l’historien se doit d’être objectif. En aucune manière, on écrit l’histoire à coups de réquisitoires ou de plaidoyers «pro domo», ou de pamphlets dénonçant des adversaires politiques, qu’ils soient déclarés ou supposés. Comme l’a si judicieusement observé André Malraux : «Il n’y a pas de grand livre contre.» Il est cependant bien vrai que la politique a de tout temps frayé avec l’histoire. Les exemples d’hommes politiques et d’hommes du pouvoir employant des chroniqueurs ou des historiens organiques, pour légitimer leur pouvoir et laisser une trace dans l’histoire, sont nombreux. Il n’est pas rare non plus de voir leurs adversaires utiliser eux aussi l’histoire pour précisément les délégitimer et les évacuer des livres d’histoire. Dans un cas comme dans l’autre, l’histoire est instrumentalisée à des fins politiques, au profit d’une personne, d’un groupe de personnes plus ou moins nombreuses, d’une ethnie, d’une région, d’une idéologie, d’un projet politique… L’histoire cesse alors d’être une science, pour devenir un champ de batailles, où les historiens n’ont rien à faire. L’historien n’a pas en effet à prendre parti pour les uns ou les autres ; il ne lui appartient ni de condamner, ni d’absoudre, ni de réhabiliter… Il n’a pas non plus à éluder les questions, à occulter des évènements réels. On ne lui demande pas de justifier l’intolérable. Par contre, il a l’obligation d’exposer les faits, sans parti-pris. Il lui faut souligner les atrocités de la guerre de guérilla ainsi que la sauvagerie et la perversité de la guerre contre-révolutionnaire. Il faut également rappeler que même la réalité factuelle la plus horrible a souvent pour origine des motifs purs ou sincères. Lorsque le mal est expliqué, il devient supportable. Grâce à l’histoire, les survivants et les nouvelles générations pourront continuer à s’incliner avec respect devant la mémoire des martyrs, et prier pour le repos des âmes de ceux qui ont été suppliciés par leurs compagnons. En guise de conclusion, je dirais que les mémoires, parce qu’elles sont personnelles et subjectives, peuvent diviser et opposer, alors que l’histoire qui est commune et objective, doit rassembler et unir.
    S. Z.
    *Ancien ministre.
    le soir d'algerie
    Ce n’est pas parce qu’on a des idées fondées sur la religion qu’on est terroriste, et ce n’est pas parce qu’on se prétend moderniste ou démocrate qu’on ne l’est pas. Mahiou FFS assassiné le 4/11/1994
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