Les Trois Routes
Bien que plus courtes, les voies d’évasion les plus dangereuses restent les chemins menant de Tindouf à Mahbass et Haouza. Aux postes d’observations et patrouilles, installés par le Polisario et l’armée algérienne, s’ajoutent les champs de mine qui parsèment toute la ceinture de sécurité, héritage de la guerre des sables. Pour contourner le risque, les évadés empruntent les pistes des patrouilles de la Minurso, ces forces onusiennes censées superviser et veiller au respect du cessez-le feu. Ou alors ils font appel aux services des « pros » du Sahara. Ces passeurs, véritables renards du désert sont des experts en contrebande et trafics en tout genre entre le Maroc, la Mauritanie et l’Algérie. La voie la plus sécurisée, autrement plus longue, reste celle via la Mauritanie, où la population de Tindouf a le droit de circuler avec une autorisation. Une fois sur place, certains n’hésitent pas à s’adresser au consulat marocain le plus proche et sont illico pris en charge.
Evasion : mode d’emploi
Agés de 20 à 30 ans, tous ont eu une bonne raison pour quitter Tindouf. Au risque de leur vie, mais aussi dans l’espoir d’une vie meilleure. Ils racontent à actuel leurs mésaventures et le récit de leur échappée.
Mohamed Ould Saïloume Oulda Nafaâ, 21 ans, chômeur
Je suis issu du camp d’Aousserd, j’ai à peine atteint le collège et j’ai décidé de partir par pur dégoût. Avec un cousin, nous sommes sortis des camps à pied à destination de Haouza. En chemin, nous avons rencontré un éleveur de chameaux qui disposait d’une Land Rover et à qui il aura suffi de dire que nos étions perdus pour qu’il propose de nous embarquer. Arrivés près de la ceinture de sécurité, nous sommes descendus et avons repris notre marche à pied. à la vue de soldats marocains, nous avons commencé à les héler et c’est eux qui sont venus nous chercher. Le tout a duré plus de six heures. Aujourd’hui, j’hésite à reprendre mes études, mais j’y pense. Bien que si je m’écoutais, je chercherais plutôt un travail.
Abderabbou Boujemaâ, 29 ans, bricoleur
Avec mon seul brevet, je savais que je n’avais plus d’avenir à Tindouf. Nous étions trois proches à prendre la décision de partir. Nous sommes entrés via la Mauritanie, vers laquelle nous étions en droit d’aller moyennant autorisation, dans trois voitures séparées. Mais les quinze jours de route nous ont épuisés. Nous ne connaissions pas les routes et zones à éviter. Le risque de rouler sur des champs de mine était réel. Mais tout cela est derrière moi, bien que ma famille, encore dans les camps, me manque. Mais nous arrivons à garder le contact par téléphone.
Mohamed Kouri Fatehm, 25 ans, maçon
Je suis né dans le camp de Laâyoune à Lahmada dans une famille de six frères et sœurs, encore là-bas. Dans les camps, j’ai eu droit à si peu, y compris en matière d’éducation, puisque je n’ai pas pu passer le cap du primaire. Pour survivre, je travaillais en tant que maçon, si tant est qu’on peut parler de constructions à Tindouf. Je suis revenu au Maroc cela fait quinze jours, mais il m’aura fallu deux mois de réflexion pour que je me décide. Tout le bien que les ralliés nous disaient du Maroc, par téléphone notamment, n’avait d’égal que la peur d’être pris en captivité sur le chemin du retour. Avec quatre de mes amis, nous nous sommes cependant encouragés mutuellement et, ensemble, nous avons embarqué de jour dans une Mercedes et sommes partis. Il nous aura fallu moins de 3 heures pour arriver de Rabouni au Sud-Est algérien au point d’accès Mahbass, puis la ville de Gluimim, où nous pouvions enfin souffler. Entre-temps, et avec la chaleur, nous devions aussi supporter la peur des unités mobiles du Polisario et des gardes-frontières algériens. Le plus important pour moi aujourd’hui est que je puisse me reposer mais je rêve de me lancer dans la construction. Cette fois, en tant que promoteur.
Bachri Salek, 23 ans, chômeur
Moi, ce sont les images diffusées à la télévision régionale de Laâyoune qui m’ont convaincu de partir. J’étais tout seul à prendre la route vers l’accès de Mahbess et je n’ai mis que cinq jours à bord d’une vieille Land Rover. J’ai roulé de jour et de nuit et je me disais que ce serait soit le Maroc, soit la mort. Cela fait un mois que je suis rentré. Je n’ai pour l’heure aucune visibilité. Je voudrais partir à Dakhla pour lancer une affaire. Mon seul capital est le logement qui m’a été accordé, mais je ne peux ni le vendre ni le céder.
Ahmadou Bamba Hafed, 29 ans, journaliste
J’ai commencé à travailler dès l’âge de 16 ans en tant que journaliste à Radio Polisario. Licencié en journalisme en 2002 (Lybie), avec un stage de 6 mois à la radio nationale algérienne, je n’ai cessé depuis de gravir les échelons, de directeur de la station de radio régionale du camp de Dakhla de Tindouf à correspondant spécial, chargé de couvrir tous les événements parlementaires et gouvernementaux du Front Polisario, puis spécialiste des événements à caractère « national » et des médias marocains. Une expérience qui m’a permis de m’approcher des dirigeants du Front, mais aussi de suivre la décadence dans laquelle sont tombés la plupart d’entre eux. Le déclic est venu à l’issue de l’un des rounds de négociation entre le Maroc et le Front.
A la question concernant une quelconque perspective de solution au conflit, un haut responsable du Front, partie prenante aux négociations, m’a répondu que ses perspectives à lui étaient assurées, dans la mesure où il avait la nationalité américaine, « le reste n’est que théâtre et autres bénéfices », m’a-t-il avoué. A elle seule, cette phrase résume tout notre vécu dans les camps. Vous aviez d’une part des dirigeants, du moins certains parmi eux, qui ne cherchaient que leur bien-être personnel et une population qui vit un véritable enfer. Si les aides internationales étaient bien gérées et distribuées équitablement aux concernés, je pense qu’aucun réfugié ne serait revenu au Maroc. Mais c’est loin d’être le cas.
Autre déclic : le retour d’Ahmeddou Ould Souilem, le tout nouvel ambassadeur du Maroc à Madrid, une personne que j’ai en grande estime. J’ai donc décidé de partir en soufflant l’idée à quinze de mes proches. Après avoir obtenu une autorisation du ministère des Territoires occupés et de la Communauté, nous nous sommes dirigés vers la Mauritanie via Rabouni. Auparavant, je me suis arrangé pour nous débrouiller avec une voiture officielle du Polisario, histoire de donner un peu de piquant à notre aventure. Sur notre route, nous longions la ceinture de sécurité, dans l’espoir de trouver un accès ou d’être repérés par l’armée marocaine. Mais ce sont surtout les patrouilles du Polisario qui nous poursuivaient et nous sommaient de nous éloigner du mur. Nos manœuvres ont duré plus de trois jours jusqu’à ce que nous ayons atteint l’accès de Guergaâte. Aujourd’hui, je me suis fixé comme objectif de dénoncer la direction du Polisario et ses pratiques mafieuses. Peut-être en créant une association dédiée.
Laâyoune TV, l’arme de séduction massive
La bâtisse, élégante sans être imposante, ne paie pas de mine de l’extérieur. Y pénétrer, c’est découvrir une véritable fabrique à idées… et programmes télévisés. Nous sommes bien à Laâyoune TV, la chaîne régionale sur laquelle personne n’aurait misé au moment de son lancement en 2005. Aujourd’hui, non seulement elle remplit son cahier des charges, en diffusant pendant trois heures par jour (bientôt portées à cinq) une information et des programmes de proximité destinés aux trois régions composant le Sahara, mais aussi aux camps de Tindouf, « mais c’est à travers elle qu’on a découvert ce que Laâyoune et les autres villes du Sud étaient devenues. Et cela n’a pas manqué de nous séduire », nous dit Moulay Ahmed Bachir, rallié depuis le 13 avril.
Ceci, grâce à des bureaux installés dans les plus grandes villes du Sud (Dakhla, Smara…), une équipe de 70 journalistes, techniciens et administrateurs, et une vision portée par son directeur général, Mohamed Laghdaf Eddah : « être une voix libre pour tous les Sahraouis et valoriser la culture de la région et son dialectal, le hassani ». Et ça plaît. A telle enseigne que le Polisario a répliqué en créant sa propre chaîne de télévision en mai dernier, à l’aide de financements italiens. Présentée comme le premier jalon du projet d’autonomie des provinces du Sud, la chaîne, filiale à 100% de la SNRT, est aussi un exemple d’égalité entre tous les citoyens. La preuve : le principe de double solde, valable dans toutes les fonctions publiques au Sud, ne s’applique pas à Laâyoune TV.
Tarik Qattab
Bien que plus courtes, les voies d’évasion les plus dangereuses restent les chemins menant de Tindouf à Mahbass et Haouza. Aux postes d’observations et patrouilles, installés par le Polisario et l’armée algérienne, s’ajoutent les champs de mine qui parsèment toute la ceinture de sécurité, héritage de la guerre des sables. Pour contourner le risque, les évadés empruntent les pistes des patrouilles de la Minurso, ces forces onusiennes censées superviser et veiller au respect du cessez-le feu. Ou alors ils font appel aux services des « pros » du Sahara. Ces passeurs, véritables renards du désert sont des experts en contrebande et trafics en tout genre entre le Maroc, la Mauritanie et l’Algérie. La voie la plus sécurisée, autrement plus longue, reste celle via la Mauritanie, où la population de Tindouf a le droit de circuler avec une autorisation. Une fois sur place, certains n’hésitent pas à s’adresser au consulat marocain le plus proche et sont illico pris en charge.
Evasion : mode d’emploi
Agés de 20 à 30 ans, tous ont eu une bonne raison pour quitter Tindouf. Au risque de leur vie, mais aussi dans l’espoir d’une vie meilleure. Ils racontent à actuel leurs mésaventures et le récit de leur échappée.
Mohamed Ould Saïloume Oulda Nafaâ, 21 ans, chômeur
Je suis issu du camp d’Aousserd, j’ai à peine atteint le collège et j’ai décidé de partir par pur dégoût. Avec un cousin, nous sommes sortis des camps à pied à destination de Haouza. En chemin, nous avons rencontré un éleveur de chameaux qui disposait d’une Land Rover et à qui il aura suffi de dire que nos étions perdus pour qu’il propose de nous embarquer. Arrivés près de la ceinture de sécurité, nous sommes descendus et avons repris notre marche à pied. à la vue de soldats marocains, nous avons commencé à les héler et c’est eux qui sont venus nous chercher. Le tout a duré plus de six heures. Aujourd’hui, j’hésite à reprendre mes études, mais j’y pense. Bien que si je m’écoutais, je chercherais plutôt un travail.
Abderabbou Boujemaâ, 29 ans, bricoleur
Avec mon seul brevet, je savais que je n’avais plus d’avenir à Tindouf. Nous étions trois proches à prendre la décision de partir. Nous sommes entrés via la Mauritanie, vers laquelle nous étions en droit d’aller moyennant autorisation, dans trois voitures séparées. Mais les quinze jours de route nous ont épuisés. Nous ne connaissions pas les routes et zones à éviter. Le risque de rouler sur des champs de mine était réel. Mais tout cela est derrière moi, bien que ma famille, encore dans les camps, me manque. Mais nous arrivons à garder le contact par téléphone.
Mohamed Kouri Fatehm, 25 ans, maçon
Je suis né dans le camp de Laâyoune à Lahmada dans une famille de six frères et sœurs, encore là-bas. Dans les camps, j’ai eu droit à si peu, y compris en matière d’éducation, puisque je n’ai pas pu passer le cap du primaire. Pour survivre, je travaillais en tant que maçon, si tant est qu’on peut parler de constructions à Tindouf. Je suis revenu au Maroc cela fait quinze jours, mais il m’aura fallu deux mois de réflexion pour que je me décide. Tout le bien que les ralliés nous disaient du Maroc, par téléphone notamment, n’avait d’égal que la peur d’être pris en captivité sur le chemin du retour. Avec quatre de mes amis, nous nous sommes cependant encouragés mutuellement et, ensemble, nous avons embarqué de jour dans une Mercedes et sommes partis. Il nous aura fallu moins de 3 heures pour arriver de Rabouni au Sud-Est algérien au point d’accès Mahbass, puis la ville de Gluimim, où nous pouvions enfin souffler. Entre-temps, et avec la chaleur, nous devions aussi supporter la peur des unités mobiles du Polisario et des gardes-frontières algériens. Le plus important pour moi aujourd’hui est que je puisse me reposer mais je rêve de me lancer dans la construction. Cette fois, en tant que promoteur.
Bachri Salek, 23 ans, chômeur
Moi, ce sont les images diffusées à la télévision régionale de Laâyoune qui m’ont convaincu de partir. J’étais tout seul à prendre la route vers l’accès de Mahbess et je n’ai mis que cinq jours à bord d’une vieille Land Rover. J’ai roulé de jour et de nuit et je me disais que ce serait soit le Maroc, soit la mort. Cela fait un mois que je suis rentré. Je n’ai pour l’heure aucune visibilité. Je voudrais partir à Dakhla pour lancer une affaire. Mon seul capital est le logement qui m’a été accordé, mais je ne peux ni le vendre ni le céder.
Ahmadou Bamba Hafed, 29 ans, journaliste
J’ai commencé à travailler dès l’âge de 16 ans en tant que journaliste à Radio Polisario. Licencié en journalisme en 2002 (Lybie), avec un stage de 6 mois à la radio nationale algérienne, je n’ai cessé depuis de gravir les échelons, de directeur de la station de radio régionale du camp de Dakhla de Tindouf à correspondant spécial, chargé de couvrir tous les événements parlementaires et gouvernementaux du Front Polisario, puis spécialiste des événements à caractère « national » et des médias marocains. Une expérience qui m’a permis de m’approcher des dirigeants du Front, mais aussi de suivre la décadence dans laquelle sont tombés la plupart d’entre eux. Le déclic est venu à l’issue de l’un des rounds de négociation entre le Maroc et le Front.
A la question concernant une quelconque perspective de solution au conflit, un haut responsable du Front, partie prenante aux négociations, m’a répondu que ses perspectives à lui étaient assurées, dans la mesure où il avait la nationalité américaine, « le reste n’est que théâtre et autres bénéfices », m’a-t-il avoué. A elle seule, cette phrase résume tout notre vécu dans les camps. Vous aviez d’une part des dirigeants, du moins certains parmi eux, qui ne cherchaient que leur bien-être personnel et une population qui vit un véritable enfer. Si les aides internationales étaient bien gérées et distribuées équitablement aux concernés, je pense qu’aucun réfugié ne serait revenu au Maroc. Mais c’est loin d’être le cas.
Autre déclic : le retour d’Ahmeddou Ould Souilem, le tout nouvel ambassadeur du Maroc à Madrid, une personne que j’ai en grande estime. J’ai donc décidé de partir en soufflant l’idée à quinze de mes proches. Après avoir obtenu une autorisation du ministère des Territoires occupés et de la Communauté, nous nous sommes dirigés vers la Mauritanie via Rabouni. Auparavant, je me suis arrangé pour nous débrouiller avec une voiture officielle du Polisario, histoire de donner un peu de piquant à notre aventure. Sur notre route, nous longions la ceinture de sécurité, dans l’espoir de trouver un accès ou d’être repérés par l’armée marocaine. Mais ce sont surtout les patrouilles du Polisario qui nous poursuivaient et nous sommaient de nous éloigner du mur. Nos manœuvres ont duré plus de trois jours jusqu’à ce que nous ayons atteint l’accès de Guergaâte. Aujourd’hui, je me suis fixé comme objectif de dénoncer la direction du Polisario et ses pratiques mafieuses. Peut-être en créant une association dédiée.
Laâyoune TV, l’arme de séduction massive
La bâtisse, élégante sans être imposante, ne paie pas de mine de l’extérieur. Y pénétrer, c’est découvrir une véritable fabrique à idées… et programmes télévisés. Nous sommes bien à Laâyoune TV, la chaîne régionale sur laquelle personne n’aurait misé au moment de son lancement en 2005. Aujourd’hui, non seulement elle remplit son cahier des charges, en diffusant pendant trois heures par jour (bientôt portées à cinq) une information et des programmes de proximité destinés aux trois régions composant le Sahara, mais aussi aux camps de Tindouf, « mais c’est à travers elle qu’on a découvert ce que Laâyoune et les autres villes du Sud étaient devenues. Et cela n’a pas manqué de nous séduire », nous dit Moulay Ahmed Bachir, rallié depuis le 13 avril.
Ceci, grâce à des bureaux installés dans les plus grandes villes du Sud (Dakhla, Smara…), une équipe de 70 journalistes, techniciens et administrateurs, et une vision portée par son directeur général, Mohamed Laghdaf Eddah : « être une voix libre pour tous les Sahraouis et valoriser la culture de la région et son dialectal, le hassani ». Et ça plaît. A telle enseigne que le Polisario a répliqué en créant sa propre chaîne de télévision en mai dernier, à l’aide de financements italiens. Présentée comme le premier jalon du projet d’autonomie des provinces du Sud, la chaîne, filiale à 100% de la SNRT, est aussi un exemple d’égalité entre tous les citoyens. La preuve : le principe de double solde, valable dans toutes les fonctions publiques au Sud, ne s’applique pas à Laâyoune TV.
Tarik Qattab
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