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Un roi de rupture

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  • Un roi de rupture

    Le souverain, lors de l'inauguration de la station balnéaire de Saïdia (Nord-Est), en juin 2009. © AIC Press
    Lorsqu’il était monté sur le trône, en juillet 1999, on avait assuré avec une malveillance sournoise que Mohammed VI « n’aimait pas le job ». Depuis, chacun a pu constater à loisir que le job en question, il l’exerce sans embarras ni partage.
    Le roi règne et gouverne. Il y a une Constitution, des règles, des procédures, qui sont respectées. Mais, dans la pratique, tout procède de Sa Majesté et rien n’est fait sans sa bénédiction. Jouissant d’une immense popularité, ne souffrant d’aucune contestation de la part des grandes forces politiques, Mohammed VI donne l’impression d’avoir des pouvoirs plus étendus que feu son père Hassan II. Ce qui n’est pas rien.
    Seulement voilà : comment les exerce-t-il ? Comment travaille-t-il ? Avec qui ? Dans la cohorte des conseillers qui peuplent la cour, qui fait quoi ? Là-dessus, personne n’a envie de se confier. Discret, secret, le roi donne l’exemple en évitant tout contact avec les journalistes. On en est donc réduit à des bribes d’informations ou à des supputations hasardeuses. Dans la presse, on se rattrape en publiant des « cover stories » sur… Hassan II. On monte également en épingle tel ou tel personnage de l’entourage royal qui paraît plus « visible» que les autres, quitte à lui prêter une influence disproportionnée.
    Ce faisant, on passe à côté de l’essentiel. Comme cet original qui, ayant perdu ses clés, les cherche fébrilement sous le réverbère parce que c’est le seul endroit éclairé… Pour avoir quelque chance de saisir la singularité du nouveau règne et, surtout, la conception que le successeur de Hassan II se fait de la politique, on nous permettra de nous en tenir à des faits d’évidence qui sont plus parlants que les insondables mystères du Palais.
    Du nomadisme royal
    Mohammed est le 23e héritier de la dynastie alaouite. Comme ses « glorieux ancêtres », il assume des charges inhérentes à la mission du sultan ou du roi du Maroc. Il est un « roi itinérant ». On disait de Moulay Hassan (1836-1894) que son trône était la selle de son cheval. Il sillonnait le pays pour s’assurer de la loyauté des tribus et cités. Aujourd’hui que le royaume est apaisé, le nomadisme royal doit répondre à d’autres préoccupations. En se rendant fréquemment dans le Sud ou l’Est, le roi a à cœur d’accélérer la mise à niveau de régions longtemps laissées à l’abandon. Maître d’œuvre des grands chantiers, il tient à contrôler l’avancée des travaux et à résoudre sans attendre les problèmes qui surgissent. Bref, on peut dire que les chantiers sont ce qu’était la siba (« rébellion ») pour ses ancêtres et sollicitent une égale diligence.
    En plaçant les infrastructures au sommet de ses priorités, « M6 » mobilise les ministères concernés (Travaux publics, Transports, Industrie, Habitat…), dont les titulaires traitent en direct avec le Palais. Et lorsque les instructions royales ne sont pas suivies rapidement d’effets, la réaction ne traîne pas. On l’a vu avec le plan d’éradication des bidonvilles, qui n’a pas atteint ses objectifs. Le ministère de l’Intérieur a été appelé à la rescousse du ministère de l’Habitat.
    Dans sa conduite des affaires de l’État, Mohammed VI ne s’inspire pas seulement de ses lointains ancêtres, il s’évertue à préserver l’héritage immédiat de son père. Sur les plans institutionnel et politique, le Maroc vit dans le cadre mis en place par Hassan II à la fin de son règne. C’est toujours la Constitution adoptée en 1996 par tous les partis qui est en vigueur. Si des réformes sont envisagées, notamment pour renforcer les prérogatives du Parlement et du gouvernement, elles ne sauraient remettre en cause le statut du roi, Commandeur des croyants, clé de voûte du système marocain.
    Sauvegarder le « compromis historique »
    C’est encore le dispositif politique élaboré patiemment par Hassan II, avec le concours du Mouvement national – Istiqlal et Union socialiste des forces populaires (USFP), notamment – et qui a donné lieu au « gouvernement d’alternance » dirigé par le socialiste Abder*rahmane Youssoufi de 1998 à 2002, qui est en place. Mohammed VI ne se contente pas de le maintenir, il fait tout pour le sauvegarder. On l’a bien vu lorsque le congrès de l’USFP, en novembre 2008 avait sommé son premier secrétaire, Abdelouahed Radi, de se retirer du gouvernement pour se consacrer au parti.
    Une telle perspective risquait alors d’entraîner l’effondrement de la majorité, d’autant que les socialistes caressaient l’idée du retour dans l’opposition, voire d’une alliance avec les islamistes. Radi a donc été invité à rester en poste (officiellement pour mener à bien la réforme de la justice…). Et il n’obéira à l’injonction de ses amis que quatorze mois plus tard. Entre-temps, les esprits s’étaient apaisés et, pour que nul n’en doute, le socialiste Driss Lachgar, champion du retour à l’opposition, dirige depuis le remaniement de janvier 2010 le ministère des Relations avec le Parlement… M6 a fait très fort. Bravo l’artiste !
    Pas question, donc, de toucher au « compromis historique », conclu entre la monarchie et le Mouvement national, grâce auquel le royaume peut s’atteler à l’œuvre de modernisation accélérée, qui est le grand dessein du nouveau règne. Les partis classiques constituent-ils pour autant un rempart contre la montée de l’islamisme, jugée source de régression et d’obscurantisme ? Au Palais, on en doute. L’Istiqlal, qui se considère comme un parti fondamentaliste, a des affinités avec l’islamisme. En s’acoquinant avec le Parti de la justice et du développement (PJD), la gauche se donne l’illusion de retrouver l’implantation populaire qui lui fait défaut.
    Militants de la modernisation
    C’est sans doute pour faire face au péril islamiste que Fouad Ali El Himma a créé le Parti Authenticité et Modernité (PAM). « L’ami du roi » ne pouvait agir qu’avec la bénédiction royale. Il n’en a pas fallu plus pour qu’on y voie une réédition des « partis de l’administration » de naguère. Contresens sur toute la ligne. Hier, sous Hassan II, on créait des partis pour faire pièce aux puissantes formations incommodes, soupçonnées de ne pas jouer le jeu des institutions. Aujourd’hui, nul ne conteste lesdites institutions, et c’est à cause de la défausse de partis trop faibles devant l’islamisme que le PAM a vu le jour. Le nouveau parti ne peut compter que sur ses propres forces. Rien à voir avec le Front de défense des institutions constitutionnelles (FDIC), créé dans les années 1960 par Ahmed Réda Guédira, ni avec ses multiples succédanés. Il devra ses succès électoraux à ses combats remportés à la loyale, sous peine de remettre en question le « compromis historique » auquel, on l’a vu, Mohammed VI tient tant.
    Mais c’est peut-être à travers certaines réformes d’envergure portant sur des domaines sensibles que l’on saisit le mieux l’empreinte du nouveau règne et la marque « M6 ».
    Qu’il s’agisse des droits de l’homme, de la corruption, de la diaspora ou encore de la régionalisation, le roi a pris des initiatives inédites, en rupture avec les traditions enracinées. Autre trait distinctif, la conduite de ces réformes est confiée à des hommes (et des femmes) qui ont fait leurs classes politiques en prison ou en exil. Ce fut le cas de l’Instance équité et réconciliation (IER), dirigée par Driss Benzekri qui, après sa disparition en 2007, a été remplacé à la tête du Conseil consultatif des droits de l’homme (CCDH) par un autre ancien prisonnier politique, Ahmed Herzenni.
    On retrouve le même profil pour le Conseil de la communauté marocaine à l’étranger (CCME) avec Driss El Yazami, ou encore pour la lutte contre la corruption avec Abdesselam Aboudrar, président de l’Instance centrale pour la prévention de la corruption (ICPC). Dernière illustration de ce phénomène qui n’est pas banal : Omar Azzimane, chargé de la régionalisation, qui concerne le Sahara et l’ensemble du royaume. Ancien ambassadeur, ancien ministre, il a également à son actif la création de l’Organisation marocaine des droits de l’homme (OMDH).
    À croire qu’au Palais, sous Mohammed VI, on s’est persuadé que la modernisation de l’ancien empire chérifien requiert davantage des militants que des courtisans.


    JeuneAfrique
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