bonjour! je viens de trouver cet article et je voudrais en discuter.
Pour les journalistes algériens, le temps de la liberté et de l'insolence est révolu
LE MONDE | 09.03.06 | 13h43 • Mis à jour le 09.03.06 | 14h17
ALGER ENVOYÉE SPÉCIALE
irecteur de la publication d'El Khabar, le plus fort tirage de la presse algérienne (500 000 exemplaires, langue arabe), Ali Djerri a un programme bien rôdé ; son collègue Omar Belhouchet, directeur d'El Watan, (140 000 exemplaires, langue française), aussi. Le dimanche, ils sont chez le juge d'instruction. Le mardi, au tribunal. Le mercredi, devant la cour d'appel. L'un et l'autre sont à bout de nerfs. Ils ne sont pas les seuls. Les directeurs de journaux algériens passent à présent la moitié de leur temps au palais de justice, parfois à 500 kilomètres de chez eux. "C'est du harcèlement", disent plusieurs d'entre eux.
OAS_AD('Middle1');Longtemps, la presse algérienne a été tenue pour la plus libre du Maghreb, peut-être même du monde arabe. Il n'est plus sûr qu'elle mérite cette appellation aujourd'hui, tant le pouvoir paraît décidée à la "normaliser". Le désamour entre le président, Abdelaziz Bouteflika, et les journalistes algériens ne date pas d'hier. Dans un premier temps, le chef de l'Etat s'est refusé - parfois stoïquement - à porter plainte pour insultes ou diffamation. Il s'y était engagé en arrivant au pouvoir. A partir d'avril 2004, début de son second mandat, changement de cap. Le terrain a été préparé dès 2001. Cette année-là, le délit d'offense au chef de l'Etat et de diffamation envers les institutions commis par la presse est introduit dans le code pénal. Désormais, toute offense au président de la République, à l'armée et à la justice, notamment, peut valoir à son auteur une peine de trois à douze mois de prison ferme et une lourde amende. Pas besoin d'une plainte : le parquet s'autosaisit. "Sitôt reconduit, le président Bouteflika s'est mis à régler ses comptes. Il a fait payer aux journalistes leur campagne hostile à sa réélection", explique l'avocat Khaled Bourayou.
Pour ce spécialiste du droit de la presse, "être journaliste, aujourd'hui en Algérie, c'est exercer un métier à haut risque pénal, et surtout, c'est se voir traiter comme un simple délinquant".
Pour la seule année 2005, plus d'une centaine d'affaires de presse ont ainsi été enregistrées. Dix-huit journalistes ont été condamnés à des peines de prison ferme et attendent l'issue de leur pourvoi en cassation. Parmi eux, le caricaturiste Ali Dilem, qui ne rate jamais l'occasion de brocarder le président Bouteflika, et les généraux algériens, lesquels sont systématiquement présentés comme des mafieux. " Les juges ne veulent pas comprendre qu'une caricature ou un billet d'humeur croque une personnalité, désavoue l'événement ou le ridiculise, regrette Me Bourayou. Un jour, l'un d'eux m'a dit au tribunal : "Maître, vous plaidez l'ironie, mais j'ai six dictionnaires chez moi. Je les ai tous consultés. L'ironie, c'est du sarcasme, et cela mérite une sanction !""
Trois journalistes sont actuellement sous les verrous, dont l'ex-directeur du Matin, Mohammed Benchicou, qui purge une peine de deux ans, officiellement pour une affaire de bons de caisse. Le mois dernier, un journaliste d'El Khabar a fait un mois de prison pour avoir dénoncé la corruption d'un élu local. Il ne s'est pas pourvu en cassation, sachant pertinemment que c'était cause perdue. Avocats et journalistes sont unanimes à se plaindre de " l'instrumentalisation grandissante" de la justice en Algérie. " Je ne suis pas du genre à considérer que les journalistes sont au-dessus de la mêlée, et j'accepte tout à fait de rendre des comptes, mais les juges ont clairement la volonté de nous casser", raconte d'un air las Omar Belhouchet.
"L'ENNEMI" À ABATTRE
" La justice en Algérie, indique de son côté Ali Djerri, c'est un prolongement du pouvoir. Etre journaliste, c'est déjà en soi une faute grave. Toutes les plaintes sont recevables. Et, automatiquement, il y a condamnation". Pour sa part, Me Bourayou avoue "ne plus gagner une seule affaire de diffamation" depuis deux ans.
L'arsenal juridique dont disposent les magistrats est, il est vrai, impressionnant. A l'inverse de leurs confrères français, les journalistes algériens n'ont pas le droit d'invoquer la bonne foi. Pas le droit non plus à "l'exception de vérité". En matière de diffamation, la prescription n'est pas de trois mois mais de trois ans. La plainte de la victime n'est pas exigée. Et le retrait de la plainte de la partie civile n'arrête pas les poursuites. " Rien ne protège la liberté d'expression et les conditions de l'activité journalistique en Algérie", constate Me Bourayou pour qui les journalistes algériens ne sont rien d'autre, aux yeux du pouvoir, que " l'ennemi" à abattre.
Par ses excès, la presse algérienne n'est-elle pas responsable de ce qui lui arrive aujourd'hui ? Même s'ils admettent " des dérives et un manque d'expérience", les journalistes soulignent que cela ne justifie nullement des peines d'emprisonnement. Et les directeurs d'El Watan et d'El Khabar disent répliquer " par un professionnalisme grandissant à la répression grandissante du pouvoir", ce qui est exact. Mais leurs moyens restent dramatiquement inégaux face à ceux du pouvoir.
La difficulté majeure à laquelle se heurte la presse est l'absence d'interlocuteurs. Aux questions des journalistes, il n'est opposé que le silence. " Nous n'avons pas d'accès à l'information. Jamais de confirmation. Jamais de démenti. Seulement le mépris", dénonce Ali Djerri.
A quoi sert la presse algérienne ? A tout et à rien. C'est son drame. Elle est appelée à jouer tous les rôles à la fois : partis politiques, opposition, intercesseur entre la société civile et le pouvoir. Mais avec quel effet ? "Le pouvoir nous laisse écrire ce qu'il veut, et ensuite, lui fait ce qu'il veut !" souligne, lucide, le directeur d'El Khabar. Pendant les années de guerre civile, les journalistes de la presse privée sont montés en première ligne pour combattre le terrorisme. Mais ils ont aussi souvent servi de caution au régime, par leurs positions " éradicatrices" (hostiles aux islamistes).
Aujourd'hui, le "système" algérien n'a plus besoin d'eux. Les médias audiovisuels publics lui suffisent. " On tâtonne, on fait des efforts, mais, en face de nous, on a un pouvoir qui nous pousse à l'extrême et à la faute, se désespère Ali Djerri. Avant de parler de moralisation des journalistes, le pouvoir devrait penser à moraliser ses propres pratiques."
Florence Beaugé
Article paru dans l'édition du 10.03.06
LE MONDE | 09.03.06 | 13h43 • Mis à jour le 09.03.06 | 14h17
ALGER ENVOYÉE SPÉCIALE
irecteur de la publication d'El Khabar, le plus fort tirage de la presse algérienne (500 000 exemplaires, langue arabe), Ali Djerri a un programme bien rôdé ; son collègue Omar Belhouchet, directeur d'El Watan, (140 000 exemplaires, langue française), aussi. Le dimanche, ils sont chez le juge d'instruction. Le mardi, au tribunal. Le mercredi, devant la cour d'appel. L'un et l'autre sont à bout de nerfs. Ils ne sont pas les seuls. Les directeurs de journaux algériens passent à présent la moitié de leur temps au palais de justice, parfois à 500 kilomètres de chez eux. "C'est du harcèlement", disent plusieurs d'entre eux.
OAS_AD('Middle1');Longtemps, la presse algérienne a été tenue pour la plus libre du Maghreb, peut-être même du monde arabe. Il n'est plus sûr qu'elle mérite cette appellation aujourd'hui, tant le pouvoir paraît décidée à la "normaliser". Le désamour entre le président, Abdelaziz Bouteflika, et les journalistes algériens ne date pas d'hier. Dans un premier temps, le chef de l'Etat s'est refusé - parfois stoïquement - à porter plainte pour insultes ou diffamation. Il s'y était engagé en arrivant au pouvoir. A partir d'avril 2004, début de son second mandat, changement de cap. Le terrain a été préparé dès 2001. Cette année-là, le délit d'offense au chef de l'Etat et de diffamation envers les institutions commis par la presse est introduit dans le code pénal. Désormais, toute offense au président de la République, à l'armée et à la justice, notamment, peut valoir à son auteur une peine de trois à douze mois de prison ferme et une lourde amende. Pas besoin d'une plainte : le parquet s'autosaisit. "Sitôt reconduit, le président Bouteflika s'est mis à régler ses comptes. Il a fait payer aux journalistes leur campagne hostile à sa réélection", explique l'avocat Khaled Bourayou.
Pour ce spécialiste du droit de la presse, "être journaliste, aujourd'hui en Algérie, c'est exercer un métier à haut risque pénal, et surtout, c'est se voir traiter comme un simple délinquant".
Pour la seule année 2005, plus d'une centaine d'affaires de presse ont ainsi été enregistrées. Dix-huit journalistes ont été condamnés à des peines de prison ferme et attendent l'issue de leur pourvoi en cassation. Parmi eux, le caricaturiste Ali Dilem, qui ne rate jamais l'occasion de brocarder le président Bouteflika, et les généraux algériens, lesquels sont systématiquement présentés comme des mafieux. " Les juges ne veulent pas comprendre qu'une caricature ou un billet d'humeur croque une personnalité, désavoue l'événement ou le ridiculise, regrette Me Bourayou. Un jour, l'un d'eux m'a dit au tribunal : "Maître, vous plaidez l'ironie, mais j'ai six dictionnaires chez moi. Je les ai tous consultés. L'ironie, c'est du sarcasme, et cela mérite une sanction !""
Trois journalistes sont actuellement sous les verrous, dont l'ex-directeur du Matin, Mohammed Benchicou, qui purge une peine de deux ans, officiellement pour une affaire de bons de caisse. Le mois dernier, un journaliste d'El Khabar a fait un mois de prison pour avoir dénoncé la corruption d'un élu local. Il ne s'est pas pourvu en cassation, sachant pertinemment que c'était cause perdue. Avocats et journalistes sont unanimes à se plaindre de " l'instrumentalisation grandissante" de la justice en Algérie. " Je ne suis pas du genre à considérer que les journalistes sont au-dessus de la mêlée, et j'accepte tout à fait de rendre des comptes, mais les juges ont clairement la volonté de nous casser", raconte d'un air las Omar Belhouchet.
"L'ENNEMI" À ABATTRE
" La justice en Algérie, indique de son côté Ali Djerri, c'est un prolongement du pouvoir. Etre journaliste, c'est déjà en soi une faute grave. Toutes les plaintes sont recevables. Et, automatiquement, il y a condamnation". Pour sa part, Me Bourayou avoue "ne plus gagner une seule affaire de diffamation" depuis deux ans.
L'arsenal juridique dont disposent les magistrats est, il est vrai, impressionnant. A l'inverse de leurs confrères français, les journalistes algériens n'ont pas le droit d'invoquer la bonne foi. Pas le droit non plus à "l'exception de vérité". En matière de diffamation, la prescription n'est pas de trois mois mais de trois ans. La plainte de la victime n'est pas exigée. Et le retrait de la plainte de la partie civile n'arrête pas les poursuites. " Rien ne protège la liberté d'expression et les conditions de l'activité journalistique en Algérie", constate Me Bourayou pour qui les journalistes algériens ne sont rien d'autre, aux yeux du pouvoir, que " l'ennemi" à abattre.
Par ses excès, la presse algérienne n'est-elle pas responsable de ce qui lui arrive aujourd'hui ? Même s'ils admettent " des dérives et un manque d'expérience", les journalistes soulignent que cela ne justifie nullement des peines d'emprisonnement. Et les directeurs d'El Watan et d'El Khabar disent répliquer " par un professionnalisme grandissant à la répression grandissante du pouvoir", ce qui est exact. Mais leurs moyens restent dramatiquement inégaux face à ceux du pouvoir.
La difficulté majeure à laquelle se heurte la presse est l'absence d'interlocuteurs. Aux questions des journalistes, il n'est opposé que le silence. " Nous n'avons pas d'accès à l'information. Jamais de confirmation. Jamais de démenti. Seulement le mépris", dénonce Ali Djerri.
A quoi sert la presse algérienne ? A tout et à rien. C'est son drame. Elle est appelée à jouer tous les rôles à la fois : partis politiques, opposition, intercesseur entre la société civile et le pouvoir. Mais avec quel effet ? "Le pouvoir nous laisse écrire ce qu'il veut, et ensuite, lui fait ce qu'il veut !" souligne, lucide, le directeur d'El Khabar. Pendant les années de guerre civile, les journalistes de la presse privée sont montés en première ligne pour combattre le terrorisme. Mais ils ont aussi souvent servi de caution au régime, par leurs positions " éradicatrices" (hostiles aux islamistes).
Aujourd'hui, le "système" algérien n'a plus besoin d'eux. Les médias audiovisuels publics lui suffisent. " On tâtonne, on fait des efforts, mais, en face de nous, on a un pouvoir qui nous pousse à l'extrême et à la faute, se désespère Ali Djerri. Avant de parler de moralisation des journalistes, le pouvoir devrait penser à moraliser ses propres pratiques."
Florence Beaugé
Article paru dans l'édition du 10.03.06
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