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La France et son islam, vus d'ailleurs

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    La France et son islam, vus d'ailleurs
    LE MONDE | 10.03.06 | 14h09 • Mis à jour le 10.03.06 | 14h38


    ssoufflement de l'islamisme politique plutôt que radicalisation : c'est la conclusion d'une enquête de plusieurs mois menée auprès des musulmans de France par l'International Crisis Group (ICG), institut de recherche basé à Bruxelles qui se consacre à la prévention des conflits. Rendue publique vendredi 10 mars à Paris, cette étude, "La France face à ses musulmans : émeutes, jihadisme et dépolitisation", a été dirigée par Robert Malley, ancien conseiller spécial du président Bill Clinton pour le conflit israélo-palestinien, et par le chercheur suisse Patrick Haenni, spécialiste de l'islam. Elle est la première d'une série que l'ICG, think tank indépendant financé par diverses fondations comme celle du philanthrope George Soros, va consacrer à l'islamisme en Europe.
    L'essoufflement des islamistes. Le document prend à rebours un certain nombre d'idées reçues. Le phénomène le plus inquiétant, estime-t-il, est "la dépolitisation des jeunes musulmans, bien plus que leur prétendue recommunautarisation sur des bases radicales". L'essoufflement de l'islamisme politique en France provoque "un dangereux vide politique (...) surtout au sein de la jeunesse désoeuvrée des banlieues". Les auteurs en veulent pour preuve les émeutes d'octobre-novembre 2005 : "Les islamistes n'ont pas joué leur rôle attendu d'agents de contrôle social, illustrant bien qu'ils n'encadrent ni les émeutes ni les quartiers." Les émeutiers ne se sentaient représentés ni par les religieux, ni par les partis politiques. La flambée de l'automne serait donc le révélateur d'une "crise de la représentation politique des populations musulmanes et des cités".L'International Crisis Group s'intéresse en particulier à l'évolution de l'Union des organisations islamiques de France (UOIF), proche des Frères musulmans, dont il souligne la "neutralisation" et qui tient "un discours toujours plus orienté vers les classes moyennes et éduquées". La base musulmane lui reproche pêle-mêle ses liens supposés avec Nicolas Sarkozy, le profil bas adopté lors du vote de la loi sur le voile et, récemment, pendant l'affaire des caricatures de Mahomet. L'UOIF se serait "enfermée dans une culture blédarde", c'est-à-dire tournée vers les pays d'origine, ne prenant pas en compte la composante beur.

    L'influence des associations musulmanes dans les quartiers est, selon les auteurs, en perte de vitesse. Ils citent un entretien de l'intellectuel Tariq Ramadan au site musulman égyptien islam***********, dans lequel ce dernier avoue, à propos des émeutes de cet automne : "Nous sommes tous déconnectés. Les organisations islamiques, comme moi-même et mes discours, n'atteignent pas les banlieues et leurs populations déclassées. Il y a une rupture claire et personne ne peut prétendre représenter les populations des banlieues."

    Les auteurs tiennent à nuancer le processus de réislamisation, "non seulement parce qu'il ne touche qu'une minorité de la population musulmane de l'Hexagone, mais également parce que, quand il a lieu, c'est la plupart du temps de façon peu encadrée, souvent "bricolée" de manière individuelle ou dans le cadre d'une culture de jeunes qui doit bien peu aux directives des imams".

    Le salafisme. Le désinvestissement des associations du type UOIF ou Union des jeunes musulmans (UJM) dans les quartiers bénéficierait principalement à la mouvance salafiste. "Le salafisme profite ainsi directement de la crise du militantisme associatif des mouvements de jeunes musulmans, en misant sur un propos sans ambiguïtés, qui contraste avec ce qui est souvent perçu comme la langue de bois de la mouvance islamiste, souligne le rapport. Il bénéficie aussi de l'usure du Tabligh, ce groupe missionnaire quiétiste qui a été le principal acteur du processus de réislamisation dans les quartiers."

    Le salafisme fonctionnerait sur le mode du repli sur l'individu davantage que sur la communauté. "Contrairement au Tabligh et aux mouvements appartenant au courant de l'islamisme politique, le salafisme n'a ni structures, ni prédicateurs nationaux et ne s'inscrit pas dans une stratégie communautariste. L'encadrement des quartiers l'intéresse peu et se limite à quelques crèches, régulièrement fermées par les autorités. Le repli du salafisme se fait donc moins sur la communauté que sur l'individu, au mieux sur la bande, repensée comme un réseau de "purs" structuré autour de la mosquée de quartier et de la boucherie halal, du snack ou de la boutique de téléphonie tenue par les frères salafistes."

    Le basculement vers le "salafisme jihadiste" et la violence s'opère plus par le biais du politique que du religieux. "La radicalisation est une expérience avant tout politique, qui peut trouver une formalisation théologique, mais celle-ci n'intervient qu'a posteriori. Elle sert rarement de déclencheur."

    Le communautarisme. Le "communautarisme musulman" correspond davantage à un fantasme qu'à une réalité, affirment les chercheurs. L'augmentation du nombre des mariages mixtes (près de 30 % chez les femmes d'origine algérienne) en est un signe.

    Les quelques listes politiques constituées, à l'occasion d'élections, sur une base ethnique ou communautaire ont "tourné au fiasco". Ainsi, les musulmans se révèlent "bien plus individualistes que prévu". Les auteurs mettent plutôt en cause la responsabilité des politiques dans la création de ghettos urbains : les élus ont encouragé une "ethnicisation de l'espace urbain" par le biais des politiques d'attribution de logements sociaux. Le rapport dénonce "un communautarisme républicain, qui s'inscrit dans la tradition française de ghettoïsation sociale et d'instrumentalisation clientéliste des élites religieuses".

    La politique dans les quartiers. Les auteurs prennent leurs distances avec la méthode d'inspiration anglo-saxonne dite de religion building, cherchant à promouvoir un "islam modéré et contrôlable". Selon eux, elle risque fort de se montrer inopérante, les grandes mosquées et les institutions musulmanes n'ayant que peu de prise sur les banlieues. La solution passe plutôt, plaident les chercheurs, par une redynamisation du politique. Les partis politiques français pourraient ainsi développer une "bienveillance distante" à l'égard des mouvements exerçant une fonction tribunicienne dans les quartiers (du type Motivé-e-s ou Indigènes de la République). Ils devraient aussi ouvrir davantage leurs structures militantes aux composantes issues de l'immigration.

    L'ICG dresse une liste de recommandations. Parmi celles-ci : "Reconstruire des formes de médiation non autoritaire entre les autorités et la population, par exemple en redynamisant l'animation sociale et repensant la police de proximité" ; "revoir l'allocation de logement social en veillant au brassage ethnique" ; "définir clairement les attributions du Conseil français du culte musulman comme organe de gestion du culte, et non comme organe représentatif des musulmans de France" ; "freiner les politiques de nature clientéliste et communautaire à tous les niveaux de l'Etat".


    Xavier Ternisien

    Article paru dans l'édition du 11.03.06
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