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Maroc : Bienvenue à Little China

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  • Maroc : Bienvenue à Little China

    C’est désormais un fait : les Chinois forment l’une des plus importantes communautés étrangères du pays. Qui sont-ils ?
    Et quels rapports entretiennent-ils avec la population locale ?


    Derb Omar, en fin de matinée. L’agitation du plus grand quartier commerçant de Casablanca bat son plein. Venus des quatre coins du pays, les camions chargent et déchargent leurs marchandises. Dans les échoppes et “kissariate”, les négociations entre vendeurs et acheteurs s’animent. N’importe quel quidam qui se retrouve perdu dans le
    poumon économique du Maroc est frappé par un phénomène : les commerçants chinois sont partout.


    A Derb Omar, quartier commerçant de Casablanca, la greffe chinoise semble avoir bien pris. (AIC PRESS)

    Il y a cinq ans encore, les marchands de l’Empire du milieu étaient cantonnés dans une seule galerie, dite “kissariate chinois”. Aujourd’hui éparpillés dans Derb Omar, ils possèdent plus d’une centaine de magasins. Dans ces boutiques aux allures de minuscules hangars, il y en a pour tous les goûts : tissus, chaussures, vêtements, etc. Pas de fioritures ou d’accroches marketing sur les devantures, la marchandise se vend en gros à des prix défiant toute concurrence.

    Nuançons toutefois : tous les Chinois du Maroc ne sont pas commerçants. “Beaucoup travaillent dans la pêche, les télécommunications, l’électronique et les BTP”, explique Françoise Nicolas, économiste à l’IFRI (Institut français des relations internationales). Certaines multinationales chinoises, comme ZTE ou Huawei, se sont implantées au Maroc et emploient des centaines d’ingénieurs chinois expatriés.

    En 2004, les Chinois n’étaient que 500 dans tout le royaume. Aujourd’hui, l’ambassade de Chine au Maroc en recense 3000, présents essentiellement à Casablanca, Agadir, Rabat, Meknès et Marrakech. Leur nombre s’est donc multiplié par 6 en cinq ans, dépassant ainsi la communauté juive marocaine, pourtant millénaire. Cette présence accrue s’accompagne petit à petit de changements socioculturels importants. A Derb Omar, premier port d’arrivée des Chinois, leur intégration dans la société semble bien amorcée.

    Le street nécessaire

    “Fhemtini ?” (tu m’a compris ?). Gêné par son fort accent, Yan ponctue chacune de ses phrases de cette question. Arrivé au Maroc en 2004, il est l’un des premiers commerçants chinois de Derb Omar. “Quand j’ai ouvert mon magasin, mes premiers clients n’avaient jamais eu de chaussures de sport. Elles étaient au-dessus de leurs moyens. Avec mes baskets à 40 dirhams, j’attirais ceux qui n’avaient porté que des sandales en plastique”, se souvient Yan.

    Celui qui se targue d’avoir démocratisé la chaussure de sport est aussi la coqueluche du quartier. Tout le monde le connaît dans le coin et l’apostrophe : “Othmane labass ?”. Othmane, c’est comme cela que Yan se fait appeler. “J’ai choisi un prénom marocain pour mieux me fondre dans la masse”. Nombreux sont ceux qui choisissent de se faire appeler Fatima, Adil ou Mustapha. “Pour mieux s’intégrer dans une société qui leur est étrangère, les Chinois adoptent souvent un prénom courant dans la société qui les accueille. C’est même devenu la particularité de la diaspora chinoise”, souligne Sun Wei, chargé du service politique au sein de l’ambassade de Chine au Maroc.

    Quant à la langue, Yan parle parfaitement la darija, qu’il maîtrise mieux que le français. Comme lui, la majorité des commerçants chinois de Derb Omar s’expriment en darija ou, du moins, utilisent ses rudiments au quotidien. “A force de communiquer par signes avec nos employés marocains, nous avons fini par apprendre leur langue et eux la nôtre”, explique Yan. Il a d’ailleurs développé un langage codé avec ses collègues et amis marocains, assez incompréhensible pour les non-initiés. Par exemple, pour désigner un voleur, mot que Yan ne comprend pas, ses amis marocains disent “Ali Baba”. “Et lorsque l’on utilise les verbes français, ils sont toujours à l’infinitif. On parle comme Tarzan”, décrit, amusé, Mehdi, responsable salle d’un restaurant chinois.

    Opération discrétion

    Pour réussir à infiltrer la communauté chinoise, il est utile de s’armer de patience. Et d’endurance. A nos questions, la plupart répondent : “Il faut attendre le patron, moi je ne peux rien dire”. La méfiance est de mise. Face à l’étranger, la loi du silence règne et s’applique aussi bien aux Chinois qu’à leurs employés marocains. “Il faut interpréter cette réserve non pas comme une fermeture, mais comme un mode de fonctionnement différent du nôtre”, assure le Pr Mohamed Salhi, vice-doyen chargé des études supérieurs à la Faculté des lettres et des sciences humaines de Rabat.

    Dans La pratique de la Chine (Ed. Grasset), le sinologue André Chieng explique en effet que le discours est considéré par les Chinois comme une stratégie, tandis que pour les Occidentaux c’est un outil d’information. Les Chinois pèsent bien leurs mots et “n’hésitent pas à dire le contraire de ce qu’ils pensent ou de ce qu’ils comptent faire, si cela permet de pérenniser les affaires et les relations”, nous apprend Jean-Philippe Charles, professeur de management interculturel à Barcelone. “Il arrive que le patron me dise oui alors qu’il veut dire non”, confie Hamouda, employé (marocain) chez un commerçant chinois. Sans avoir lu Chieng, il a intégré ce mode de fonctionnement et cela ne lui pose aucun problème.

    Pour bon nombre de Marocains travaillant chez des Chinois, le système de valeurs de leur patron ne leur semble finalement pas aux antipodes du leur. Et la réciproque est aussi vraie.
    Au niveau des rapports hommes-femmes, Chinois et Marocains semblent habités par le même conservatisme. Si les Chinoises installées au Maroc sont quasiment toutes dans la vie active, on ne les verra jamais attablées à la terrasse d’un café, par exemple. “A part le travail, ma femme s’occupe des enfants et du repas. Elle ne peut pas sortir seule. C’est impensable !”, affirme Lin, installé au Maroc depuis sept ans et PDG d’une entreprise d’import export. Un avis largement partagé par Yan, qui, lui, passe de longues heures dans les cafés sans y inviter sa tendre moitié. La preuve que les Chinois ont bien quelque chose de marocain en eux.


    Scolarisation. Enfants non grata

    A ce jour, très peu de données officielles circulent sur la présence chinoise au Maroc. Il faut aller à la rencontre des membres de la communauté pour en savoir plus. On apprend ainsi que la majorité des Chinois installés au Maroc sont des citadins originaires du Fujian, du Zhejiang et du Jiangsu, des régions situées au sud-est de la Chine. “Dans la plupart des cas, les premiers arrivants au Maroc ont aidé leur famille et leurs voisins à venir s’installer eux aussi”, explique Lin, un Chinois résidant au Maroc depuis sept ans. Ainsi, à Derb Omar par exemple, les commerçants chinois sont souvent cousins, frères ou beaux-frères. Mais très peu d’entre eux ont amené leurs enfants avec eux. “Les enfants en âge d’aller à l’école restent en Chine pour la plupart. Quant à ceux qui sont nés au Maroc, ils n’ont pas encore l’âge d’être scolarisés”, confie Yan. La question de l’école pour les enfants chinois ne se pose donc pas encore. Cela ne saurait tarder, si la communauté chinoise continue de croître au rythme actuel.

    Par Aïcha Akalay TelQuel juillet 2010
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