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Entre les deux Tahar : Djaout et Ouattar

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  • Entre les deux Tahar : Djaout et Ouattar

    Et les deux Tahar se sont rejoints : Tahar Djaout et Tahar Ouattar.
    Dix-sept ans après, un peu plus ou un peu moins, peu importe, l’écrivain Tahar Ouattar, maître de l’As, rejoint dans l’au-delà Tahar Djaout, maître des Chercheurs d’Os.
    Au septième ciel ! Enfin, les deux Tahar se rencontrent. Les yeux dans les yeux. Que va demander Tahar Djaout à Tahar Ouattar ? Que va dire Tahar Ouattar à Tahar Djaout ? Une retrouvaille exceptionnelle, attendue depuis vingt ans. D’ici, de ce bas-monde, je vois Tahar Djaout, l’enfant d’Azeffoun, assassiné l’été 1993, le sang frais encore déversé sur ses livres en prose et en vers, comme à l’accoutumée, le sourire large et angélique couvre la lumière de son regard, recevoir Tahar Ouattar, dans un respect mélangé à une tristesse. Djaout est fait d’une farine humaine rare. La triste nouvelle de l’assassinat de Tahar Djaout communiquée par Hamraoui Habib Chawki, alors ministre de la Culture, résonne toujours dans mon oreille : “Ils ont tiré sur Tahar Djaout.” En 1993, j’occupais le poste de directeur du palais des Arts et de la Culture d’Oran. L’assassinat de Tahar Djaout, qui fut l’un des membres fondateurs de l’association Al-Jahidiya, a été suivi d’une déclaration haineuse de la part de Tahar Ouattar. Tout le monde se souvient de cette expression indignée utilisée par Ouattar et qui a fait le tour des salles de rédaction et des chaînes de télévision : “La mort de Tahar Djaout est une perte pour la France et pour sa famille.” Ces propos venimeux ont suscité refus, contestation et polémique dans les cercles d’intellectuels et dans une partie de la classe politique algérienne. Et parce que les poètes ne savent pas entretenir les rancunes, en accueillant Tahar Ouattar dans le monde de l’au-delà, Tahar Djaout regarda l’arrivée avec bonté et poésie, en lui disant : “M. Ouattar, ta mort est une perte pour le roman, une perte pour Damas, Le Caire, Paris, Madrid et Beyrouth… La mort d’un écrivain est un séisme de neuf degré sur l’échelle de Richter.” Puis, l’enfant d’Azeffoun demanda à Ouattar : “Comment va la démocratie dans notre pays ?” “Je suis toujours président de l’association Al Jahidiya. Depuis sa création jusqu’à ma mort. Le poste du président est alléchant, séduisant”, répond Ouattar sur un ton moqueur. Hanté par l’expérience de Rupture (hebdomadaire fondé en 1992 par Tahar Djaout, Arezki Metref et Abdelkarim Djaâd), un peu de chagrin ou de nostalgie, Tahar l’assassiné demanda à Tahar le mort : “Comment vont nos journaux et nos confrères journalistes ?” “Il y a beaucoup de pub !” répliqua Ouattar. “Donc, il y a beaucoup d’argent. Beaucoup de vendus, beaucoup d’achetés et acheteurs !” Beaucoup de ‘faux’, commenta Djaout le martyr sur un ton triste, blessé. “Comment est la situation sécuritaire dans mon pays ? Et toi, es-tu venu par le chemin de l’assassinat ou par celui de la mort ?” demanda Tahar le martyr à Tahar le mort, tout en caressant, comme à son habitude, sa moustache bien dressée à l’image de celle de Salvador Dali. Tahar Djaout n’a pas oublié son tic. “La semaine dernière, le maire de Baghlia a été assassiné.
    Quant à moi, j’ai pris le train de la mort naturelle”, a dit Ouattar. “J’ai oublié de vous demander comment vont mes filles : Nadia, Nabiha et Kenza ?” demanda Djaout. “Nadia l’aînée, journaliste à Liberté. Elle travaille avec la langue des roumis, donc elle est membre de hizb França”, a dit Ouattar.
    Tahar Djaout, à voix basse, récite un ancien poème qu’il a écrit pour sa fille Nabiha. Triste, Tahar le martyr, son sang encore chaud sur la paume de sa main et sur ses cahiers, s’est retiré pour mieux saisir le nouvel arrivé, Tahar le mort.

    Amine Zaoui, Liberté, 19 août 2010
    "Tout ce que je sais, c'est que je ne sais rien."
    Socrate.
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