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François Mitterrand vu de Washington

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  • François Mitterrand vu de Washington

    dimanche, 22 août 2010

    Il y a vingt ans, Saddam Hussein envahissait le Koweït et, pour l'y déloger, la France de François Mitterrand s'engageait aux côtés de l'Amérique de George Bush père dans la première guerre chaude de l'après-guerre froide. A l'occasion de cet anniversaire, j'ai voulu en savoir davantage sur les rapports qu'a entretenu le président socialiste avec ses homologues d'outre Atlantique pendant quinze ans. Mon travail dans les archives américaines a fait l'objet de deux publications dans les "Nouvel Observateur" du 12 et du 19 août. Les voici.

    Mitterrand dans les dossiers secrets de la Maison-Blanche (1)

    Tout n'est pas encore accessible. Mais la masse de documents qui ont été déclassifiés ces derniers mois dans les « bibliothèques présidentielles » de Ronald Reagan et George Bush père présente d'ores et déjà un intérêt historique majeur. Ces centaines de notes confidentielles - dont nous publions ici des extraits pour la première fois - racontent les coulisses de cette relation si particulière, à la fois tourmentée et hautement stratégique, qu'ont entretenue l'Elysée et la Maison-Blanche pendant plus d'une décennie. On y découvre des Américains tour à tour intrigués, fascinés ou exaspérés par le président français, « un provincial» qui prend des « airs supérieurs », un « intellectuel», un « leader ambigu », mais aussi un « allié sûr », un « ami » ; et un François Mitterrand très attaché à l'alliance avec les Etats-Unis, qui entretenait avec ses homologues d'outre-Atlantique des relations plus étroites qu'on ne l'a cru à l'époque.

    Ces dossiers mettent aussi en lumière des épisodes inconnus d'affrontement ou de collaboration entre Paris et Washington, épisodes qui, à l'insu de l'opinion publique, ont profondément marqué la relation franco-américaine. Les archives révèlent enfin l'une des facettes les plus secrètes des années Mitterrand : la coopération entre Paris et Washington dans le domaine du nucléaire militaire et du renseignement. On y apprend, par exemple, que durant le premier septennat, alors que des ministres communistes siégeaient au gouvernement de la France, le CEA a fait tester des éléments de la bombe atomique française aux Etats-Unis, dans le désert du Nevada, sans que ni les citoyens ni le Parlement français en aient été informés. Jusqu'à ce jour. V.J.

    21 mai 1981: Ce Mitterrand est-il fiable ?

    A Paris, le peuple de gauche exulte. Enfin un socialiste accède à l'Elysée. A Washington, on tremble. Qui est vraiment ce Mitterrand ? Est-il fiable ? Le président américain veut en avoir le coeur net. Au moment où le nouveau chef de l'Etat dépose des roses sur les tombes de ses héros au Panthéon, Ronald Reagan reçoit le chancelier allemand Helmut Schmidt dans le bureau Ovale. Inquiet, il le presse de questions sur ce mystérieux Français qui a fait alliance avec les communistes et dont le «mauvais» exemple risque de faire tache d'huile en Europe, en Italie surtout. Sera-t-il un bon allié ? Sa politique étrangère sera-t-elle compatible avec celle de Washington ?

    Le chancelier fait son possible pour le rassurer. Bien sûr, «beaucoup de choses vont changer» en France; bien sûr, aucun de ses nouveaux dirigeants « n'a eu d'expérience de pouvoir depuis vingt ans » ; mais, rassurez-vous, «Mitterrand va garder la France dans l'Otan et respecter tous les engagements de son pays vis-à-vis de la Communauté économique européenne ». Et puis, « il sera probablement plus pro-israélien et plus anti-arabe que son prédécesseur », même s'il ne pourra pas « se permettre de suivre une politique moyen-oriental très différente», étant donnée «la dette de la France envers les pays arabes »... Plus important encore, Schmidt assure au chef du «monde libre» que l'attitude de Mitterrand envers l'URSS « sera plus dure » que celle de Giscard. Bref, pas de panique, le socialiste sera « atlantiste », comme il l'a toujours été. «Les alliés occidentaux devraient donc l'accueillir à bras ouverts. » A moitié convaincu, Reagan dit qu'il va «essayer» d'établir de « bonnes relations » avec le nouveau locataire de l'Elysée.

    24 juin 1981: George Bush et les ministres communistes


    Un mois après l'investiture de François Mitterrand, Reagan dépêche son vice-président, George Bush père, en mission d'information à Paris. Celui-ci tombe plutôt mal. Le matin même, l'Elysée a annoncé qu'il y aura quatre ministres communistes dans le gouvernement. Comment le numéro deux de la Maison-Blanche, qui fut directeur de la CIA, va-t-il réagir ? Son équipe lui conseille la plus grande prudence. Se mêler ouvertement de la politique intérieure française serait «contre-productif». «Depuis la victoire de François Mitterrand, lui écrit un diplomate, nous avons évité de dire trop ouvertement aux leaders français notre inquiétude au sujet des communistes, nous l'avons seulement exprimée en privé. » Il est donc vivement recommandé au vice-président « de ne pas évoquer lui-même le sujet lors de sa rencontre avec François Mitterrand». En revanche, si le Français aborde lui-même la question, il faudra dire que cette participation des communistes aura un « effet négatif» sur les relations bilatérales. Mais surtout ne pas aller trop loin. Car « nous ne pouvons pas couper les ponts avec la France, dont la coopération nous est nécessaire dans plusieurs domaines ».


    Lesquels ? On apprend qu'en matière de défense les deux pays ont, sous Giscard, passé plusieurs accords secrets majeurs, qui écornent sérieusement l'héritage gaulliste. A l'insu des citoyens français, l'armée américaine «peut utiliser des bases militaires françaises pour ses entraînements » et même « des soldats français » dans certains cas. Ce n'est pas tout. Entre l'Otan et Paris, il existe un «arrangement spécial» sur l'utilisation de l'arme nucléaire tactique en cas de guerre, arrangement peu conforme à la décision du général de Gaulle de retirer la France du commandement intégré de l'Alliance atlantique. «L'opinion publique française ignore l'étendue de l'activité de la France au sein de l'Otan », écrit un conseiller de Bush. Il note aussi que «le nouveau ministre de la Défense [Charles Hernu] a été surpris de découvrir l'étendue de cette coopération avec l'Otan », mais que les socialistes n'ont, semble-t-il, pas l'intention de revenir sur ces décisions de Giscard. Le conseiller ne le sait pas encore : il est en dessous de la vérité Au cours de son entretien avec François Mitterrand, George Bush laisse donc son hôte aborder de lui-même le sujet qui fâche : «Avoir des ministres communistes au gouvernement leur fait perdre leur originalité, explique le nouveau chef de l'Etat. Ils devraient donc être de moins en moins capables de rallier des voix au-delà [de leur électorat de base]. » Et Mitterrand, sûr de son fait, fait un pari : « Ils vont rester longtemps au gouvernement, se cramponnant à leur postes, et leur érosion sera grande. » Tranquillisez-vous, ajoute-t-on à l'envoyé de Ronald Reagan, les ministres communistes n'auront accès à aucun secret de la défense nationale. En particulier Charles Fiterman, le ministre des Transports, ne contrôlera pas les gazoducs de l'Otan qui traversent la France, et il n'aura pas connaissance des plans de mobilisation des chemins de fer en cas de guerre, comme c'était le cas jusqu'à présent. Bush est épaté par la stratégie du «florentin». Il le dira à plusieurs reprises à l'ambassadeur de France à Washington Bernard Vernier-Palliez, qui en fera régulièrement part dans ses notes à l'Elysée.
    Dernière modification par DZone, 23 août 2010, 21h56.

  • #2
    19 juillet 1981: Un poisson nommé « Farewell »

    Sommet du G7 à Ottawa. Sur la pelouse de l'hôtel Montebello, François Mitterrand prend Ronald Reagan à part. Il veut l'entretenir d'une affaire ultrasecrète, dont il vient tout juste d'être informé. Le 14 juillet, après la garden-party de l'Elysée, il a longuement reçu, à sa demande, le directeur de la DST Marcel Chalet. Celui-ci lui a confié un secret de la plus haute importance : depuis huit mois, le contre-espionnage français dispose d'une source exceptionnelle au sein du KGB. Cette taupe miraculeuse - nom de code «Farewell» fournit à la DST les plans les plus confidentiels de l'espionnage soviétique, ses réseaux en Occident et les résultats qu'il obtient. « C'est donc le plus gros poisson de ce genre depuis 1945 !», s'exclame le président des Etats-Unis, médusé.

    François Mitterrand lui fait part d'une nouvelle alarmante : grâce à « Farewell », la DST a appris que le KGB avait percé le système de couverture radar du territoire américain et que donc l'URSS pourrait bloquer celui-ci en cas d'attaque surprise contre les Etats-Unis. Le président français propose que Paris fournisse à Washington toutes les informations collectées par « Farewell » qui ont trait à la sécurité de l'Amérique et à celle de l'Otan, et en particulier la liste des agents du KGB aux Etats-Unis ainsi que les cibles de l'espionnage soviétique outre-Atlantique. Reagan le remercie chaleureusement. Mitterrand lui demande que, pour éviter les fuites, l'affaire ne soit connue que d'un nombre très restreint de personnes. Enfin, il lui propose de dépêcher Marcel Chalet à Washington afin d'informer en détail une personnalité que le directeur de la DST connaît déjà très bien et respecte : le vice-président Bush, avec lequel il a travaillé quand celui-ci dirigeait la CIA. Reagan acquiesce.

    On ne perd pas de temps. Le 5 août, les deux hommes de l'art, Bush et Chalet, se retrouvent dans la résidence privée du vice-président. Ils se mettent d'accord sur un système de courrier très protégé, qui permettra aux Français d'apporter au siège de la CIA, régulièrement et en toute sécurité, les meilleures «productions» du colonel Vetrov alias « Farewell », et cela jusqu'à ce que la taupe tombe en 1982. A son retour d'Ottawa, Ronald Reagan écrira à Mitterrand : « Cher François, je pense que vous savez combien j'ai attaché de l'importance à notre première rencontre au sommet d'Ottawa. Cette rencontre a donné le ton de nos futures relations... » Liés par ce secret, les deux hommes ne reparleront cependant plus jamais de l'affaire « Farewell ».

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    • #3
      6 janvier 1982: Faut-il arrêter la coopération nucléaire secrète ?

      Encore un secret d'Etat. Celui-là, c'est Valéry Giscard d'Estaing en personne qui l'a révélé à François Mitterrand, lors de la passation de pouvoir à l'Elysée. Il concerne la défense nationale : durant les dernières années du septennat de Giscard, des experts américains de l'arme atomique ont secrètement aidé leurs homologues du CEA à mettre au point la force de frappe française. Ces échanges ultraconfidentiels - une opération au nom de code «Apollon» - ont permis aux ingénieurs français de peaufiner au moindre coût le missile stratégique M4 et sa tête thermonucléaire, qui doivent entrer en service en 1984. Après le changement de locataire de l'Elysée, que va devenir «Apollon», dont l'existence n'est connue, à Paris comme à Washington, que de quelques dizaines d'initiés ?

      Ce 6 janvier, une note « sensible », adressée au conseiller de Ronald Reagan pour la sécurité nationale, William Clark, aborde la question. Elle débute ainsi : «L'un de nos programmes gouvernementaux les plus secrets est notre coopération avec les Français dans le domaine du nucléaire militaire. » Le rédacteur poursuit : «L'arrivée au pouvoir du nouveau gouvernement Mitterrand comprenant des ministres communistes nous a poussés à réexaminer la poursuite de ce programme. Nous avons décidé de continuer à deux conditions : que les Français nous donnent des assurances sur le fait que la sécurité de l'information sera renforcée ; et que, dans l'ensemble, la politique étrangère et de défense de la France demeurera en conformité avec la nôtre. » «Jusqu'à présent, conclut-il, ces deux conditions ont été remplies, nous avons donc commencé les discussions préliminaires [avec les nouvelles autorités françaises] sur Apollon». »

      Mais, patatras, quelques jours plus tard, la CIA apprend que, fin décembre 1981, la France a signé un contrat d'armement avec les sandinistes du Nicaragua, les bêtes noires de Reagan. A la Maison-Blanche, on enrage. Des Français, socialistes de surcroît, agissent à notre insu, dans notre pré carré ! La sanction est immédiate : «Au vu des actions de la France en Amérique centrale », la coopération nucléaire est suspendue. On attend que François Mitterrand vienne à Washington et s'explique. Le chef de l'Etat arrive en Concorde le 12 mars avec une délégation très restreinte. Au cours du déjeuner, Ronald Reagan aborde la question du Nicaragua de façon on ne peut plus abrupte. Il dit qu'il ne peut supporter la présence de communistes « au sud du Rio Grande », qu'il y va de l'intérêt supérieur des Etats-Unis. Il demande donc au président français de renoncer à cette vente d'armes, soulignant solennellement que l'avenir des relations stratégiques franco-américaines est en jeu.

      François Mitterrand se justifie. Il explique qu'à ses yeux les sandinistes ne sont pas des communistes et qu'en leur vendant des armes, il espère justement les détourner des Soviétiques. Il ajoute que, de son point de vue, la politique américaine en Amérique centrale est «contre-productive ». Mais il ne veut pas d'affrontement avec Washington sur un sujet qu'il juge mineur pour les intérêts de la France. Comment en sortir ? Il ne peut annuler le contrat, dit-il, sous peine de mettre gravement en cause la parole de la France. Il propose un compromis : il ne signera pas de nouveaux contrats et, surtout, pour l'ancien, il s'engage à ce que ses services informent la Maison-Blanche des dates et lieux de livraison des armes commandées ; libre ensuite à la CIA de procéder à tous les sabotages qu'elle entend...


      Cette promesse suffit aux Américains. Pour eux, la politique étrangère de la France est de nouveau «en conformité» avec celle de Washington. L'opération « Apollon » est donc relancée un mois plus tard. Elle est même approfondie. Dans un mémo «top secret», William Clark demande à Ronald Reagan, le 14 avril, d'« autoriser une nouvelle étape dans notre programme de coopération nucléaire stratégique avec la France ». Il s'agit de permettre aux ingénieurs du CEA de faire tester la résistance des nouvelles têtes atomiques françaises à des explosions thermonucléaires. Où ? Dans le polygone d'essai du Nevada. Reagan accepte. Le citoyen français n'en saura rien - jusqu'à ce jour.

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      • #4
        26 octobre 1982: « Nous avons les moyens de leur faire mal »

        Jusqu'où ira la brouille ? Libye, Namibie, Salvador, gazoduc soviétique... Depuis quelques mois, les sujets de dispute s'accumulent. La crise devient publique. Lang, Cheysson, Mauroy et même Mitterrand - à la tribune des Nations unies ! - dénoncent ouvertement les visées «hégémoniques» des Etats-Unis. La Maison-Blanche enrage. Ronald Reagan décide d'envoyer secrètement son plus proche conseiller, William Clark, à Paris. Sa mission : demander à Mitterrand de mettre un terme à cette « campagne anti-américaine ». Avant de partir, Clark sollicite l'avis de plusieurs personnes. Le numéro deux du Département d'Etat, Lawrence Eagleburger, un dur parmi les durs, lui conseille la manière forte : «Nous devons être prêts à mettre en garde les Français sur les conséquences de leur attitude. Nous avons les moyens de leur faire mal et ils le savent : nous pouvons couper le programme spécial [l'opération Apollon] et gêner leur commerce d'armement. »

        Le directeur du département Europe à la Maison-Blanche, un ancien de la CIA, est beaucoup plus mesuré. La longue note qu'il adresse à Clark, le 26 octobre 1982, demeure d'une étonnante actualité. C'est vrai, écrit-il, « les Français ont tendance à être... français, c'est-à-dire irritants. Cependant, même quand leur rhétorique est détestable, on peut faire du business avec eux», surtout en coulisses, lorsque cette coopération « n'est pas visible ». En fait, explique-t-il, « leur air de supériorité vient de leur sentiment d'insécurité vis-à-vis des Etats-Unis. C'est particulièrement vrai pour Mitterrand, qui vient d'un milieu provincial et qui n'a pas le côté cosmopolite d'un Giscard». «A la différence des Britanniques, des Allemands et des Italiens, ajoute-t-il, les Français ne cherchent pas à entretenir une «relation spéciale» avec les Etats-Unis. Ils coopèrent avec nous quand nos intérêts coïncident et se démarquent de nous, voire s'opposent à nous, quand ce n'est pas le cas. » Mais, quoi qu'il en soit, « regardez ce qu'ils font, pas ce qu'ils disent », et « ce qu'ils font » est « dans l'ensemble probablement mieux que ce que la plupart d'entre nous attendaient d'un président socialiste français ».

        Fort de ces conseils, l'émissaire de Reagan entre dans le bureau de Mitterrand le 28 octobre à 18h30. L'atmosphère est tendue. En préambule, William Clark reconnaît que tout ne va pas si mal entre Paris et Washington. Il dit que son patron est satisfait que Mitterrand ait réitéré son opposition aux divers mouvements pacifistes et antinucléaires en Europe. Il remercie le président français de sa participation à la force multinationale au Liban et de son soutien à la politique de réarmement des Etats-Unis. Mais le ton change quand il en vient aux attaques publiques de la France contre les Etats-Unis. Si cette campagne continue, menace-t-il, « nous n'aurons pas d'autre choix que d'y répondre publiquement ».

        Mitterrand ne veut pas d'escalade. «Je suis en désaccord» avec le président Reagan sur l'Amérique centrale, dit-il, mais je ne souhaite pas que l'action de la France dans la région soit «un facteur de trouble » de la relation entre Paris et Washington. Je vais donc «réduire la présence française dans la région ». Et d'ajouter, conciliant : «Nous devons tous apaiser notre vocabulaire, Français et Américains. » Après deux heures de discussion, la brouille semble apaisée...

        23 novembre 1982:« L'expérience d'Allende hante les socialistes »

        Dans l'administration Reagan, certains considèrent François Mitterrand comme l'incarnation du diable, ou presque. Evan Galbraith, ambassadeur des Etats-Unis en France, est de ceux-là. Dans une note au secrétaire d'Etat George Shultz, qui s'apprête à venir à Paris enterrer la hache de guerre, Galbraith dit tout le mal qu'il faut penser du président français. « Ses vues sur nombre de sujets sont vagues, écrit-il Son leadership sur une large coalition s'est construit par l'ambiguïté et un style philosophique qu'il n'a pas changé en entrant à l'Elysée. Très peu d'officiels, même parmi les plus proches, savent ce qu'il pense. Et moins encore peuvent prédire ce qu'il va décider. [...] Si bien que les fonctionnaires de niveau inférieur ignorent ce qu'ils doivent faire. » La preuve : « Même notre requête concernant la délivrance de plaques d'immatriculation banalisées pour les voitures de l'ambassade [...] a dû être traitée par Mitterrand en personne. »

        Sur l'avenir des relations transatlantiques, l'ambassadeur n'est guère plus encourageant. «Les Etats-Unis sont un bouc émissaire pratique aux problèmes économiques français et nous devons nous attendre à de nouvelles critiques publiques. [D'autant plus que] les socialistes (et Mitterrand lui-même) semblent penser que Washington préférerait un gouvernement de droite ici et que nous serions même prêts à précipiter un tel changement. L'expérience d'Allende hante les socialistes français comme un cauchemar lointain. [...] C'est pourquoi nous devons éviter d'être trop identifiés à l'opposition. » Dommage, semble-t-il penser.

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        • #5
          Mitterrand dans les dossiers secrets de la Maison-Blanche (2)

          25 février 1986: Renverser Kadhafi

          Parfait francophone, le général Vernon Walters est un habitué de l'Elysée. Sous de Gaulle, il était déjà l'interprète de Kennedy. Dans les années 1970, il était le numéro deux de la CIA, où il suivait de près les affaires européennes. Le voilà ambassadeur américain aux Nations unies et, de temps à autre, émissaire discret de la Maison-Blanche en France pour les affaires diplomatico-militaires. Ce 25 février, il a rendez-vous avec Mitterrand pour parler de la Libye. Sous le sceau de la confidence, il dit que les Etats-Unis veulent frapper le colonel Kadhafi, qui multiplie les actes terroristes en Occident. La Maison-Blanche aimerait que la France, qui a déjà affronté les forces libyennes au Tchad, participe aux opérations.


          François Mitterrand ne veut pas s'engager sur des frappes. Mais il pourrait accepter que la France soutienne une action américaine contre la Libye en « tenant » le flanc sud, au Tchad. Pour cela, suggère-t-il, « les Etats-Unis pourraient nous fournir des données de reconnaissance aérienne et du matériel de transport lourd, mais cela doit être fait discrètement». « I l ne faut pas, insiste-t-il à deux reprises, que l'on donne l'impression qu'une superpuissance et une puissance majeure se liguent contre la [petite] Libye. Ce serait une erreur psychologique. » Plus tard, dans ses interviews, François Mitterrand niera toujours avoir demandé quoi que ce soit aux Américains. D'après le compte rendu de Vernon Walters, Mitterrand dit aussi «qu'il ne verrait pas d'inconvénient à une opération américaine visant à renverser Kadhafi ou à l'humilier, mais il répète que cela doit être fait de «manière très adroite» ».

          Le 15 avril, la Maison-Blanche s'apprête à lancer l'opération «El Dorado Canyon», une série de frappes aériennes contre la Libye en représailles à un attentat commis dans une boîte de nuit à Berlin. Quelques heures avant l'heure H, Walters revient à Paris. Il sollicite le droit de survol du territoire français pour les avions américains basés en Grande-Bretagne - qui vont bombarder les cibles libyennes et notamment la propre maison de Kadhafi. François Mitterrand et son nouveau Premier ministre, Jacques Chirac, disent non. Ronald Reagan est outré par ce refus. Dans les Mémoires de l'ancien comédien, cet épisode fera l'objet de l'une des rares mentions des deux Français...

          Le 29 avril 1986: « Le patron, c'est toujours Mitterrand »

          Délices de la cohabitation. Alors que Chirac s'est installé il y a un mois à Matignon, le «principal conseiller politique» de François Mitterrand prend un petit déjeuner avec un diplomate de l'ambassade des Etats-Unis à Paris. L'émissaire de l'Elysée est porteur « d'un message » de son patron. Il veut faire savoir à la Maison-Blanche qu'« en matière de politique étrangère, le patron c'est toujours lui». Prenez l'affaire du survol de la France par les F-111 en route vers la Libye, dit l'émissaire élyséen à l'Américain. Jacques Chirac vient de déclarer à la télévision que c'était lui qui avait pris la décision de refuser ce survol. N'en croyez rien. Sur cette question, lisez l'article du « Monde » daté de ce jour. « Cet article, rapporte le diplomate à son secrétaire d'Etat, montre en effet que François Mitterrand était au centre de toutes les décisions prises dans cette opération. » L'Américain note toutefois que, pour son enquête, le journaliste du « Monde » « a reçu un briefing complet, sur ordre direct du chef de l'Etat»...

          Le conseiller de l'Elysée fait aussi des confidences à l'Américain sur la stratégie politique de son patron en matière de cohabitation : pour l'instant, «nous laissons le gouvernement gouverner, explique-t-il. Le président joue le rôle du défenseur de la Constitution et des institutions. Il a posé quelques marqueurs sur les privatisations, les libertés civiles. Mais le vrai clash aura lieu plus tard». Il n'est pas sûr de remporter ce futur bras de fer. Car « si la popularité de Mitterrand est élevée - 56 à 59% d'après les sondages -, environ 10% de ces personnes ne sont pas prêtes à voter maintenant pour lui à une élection présidentielle. Pour la gagner, il doit attendre une erreur de Chirac - le plus probablement en politique intérieure ».

          31 mars 1987: Chirac « l'extraverti » face à Reagan


          A un an de son duel présidentiel avec François Mitterrand, Jacques Chirac est reçu à la Maison-Blanche. Les Américains ne sont pas dupes de ses motivations. « Comme il partage toujours le pouvoir avec le président Mitterrand, écrit un conseiller à Reagan, Chirac tient spécialement à apparaître comme un homme d'Etat aguerri capable de défendre les intérêts français tout en cultivant une relation harmonieuse avec vous.» Délicat équilibre.


          Un conseiller dresse à Reagan un portrait plutôt flatteur de son visiteur. « A la différence de beaucoup de Français, Chirac est un extraverti, écrit-il ; il aime aller à la rencontre de l'homme de la rue. A la différence du président socialiste, il n'est pas un intellectuel et, en général, il aborde les problèmes de façon pragmatique. » Avec lui, cependant, tout ne sera pas facile. « Il est aussi fortement nationaliste et présentera son pays avec force et persistance comme la victime dans les différends commerciaux avec nous. » Mais on sait comment l'amadouer : « Chirac se vante de sa connaissance de l'Amérique. Il a écrit une thèse sur le port de La Nouvelle-Orléans, a suivi des cours d'été à Harvard et a fait du stop à travers les Etats-Unis. Il apprécierait particulièrement tout compliment sur sa compréhension de notre pays. »


          «Je suis toujours heureux de venir aux Etats-Unis », déclare d'emblée Jacques Chirac à son hôte. «Je sais, répond Ronald Reagan, sa fiche à la main, vous connaissez bien ce pays; après tout, vous y avez étudié et beaucoup voyagé, n'est-ce pas ?» Le Français biche, mais ne fléchit pas... Il dit ses différends avec l'Amérique. Il est inquiet des négociations en cours entre Gorbatchev et Reagan sur le désarmement nucléaire en Europe. Il redoute qu'elles ne conduisent à un découplage stratégique entre les Etats-Unis et le Vieux Continent. Et il prévient que la France «s'opposera à toute politique qui aboutirait à une dénucléarisation de l'Europe ». Martial, il dit que, grâce à l'aide secrète des Etats-Unis, la force de frappe de la France « nous donnera bientôt la possibilité de détruire 50% des villes soviétiques » et qu'il n'entend absolument pas se séparer de cette capacité de dissuasion.


          Sur les affaires commerciales, le ton monte encore. Jacques Chirac attaque brutalement Ronald Reagan. «La France est furieuse contre les techniques de négociation employées par les Etats-Unis », dit-il. Les mesures prises par l'Amérique contre le cognac et le fromage sont des «prises d'otages» et «les accusations contre Airbus sont infondées ». « Tout cela peut aboutir à une confrontation sérieuse entre nous », prévient- il. Enfin, Chirac fait la leçon au président des Etats-Unis sur l'un de ses dadas : « Si nous ne faisons rien pour régler la dette du tiers-monde, dit- il, les pays les moins avancés se tourneront vers le marxisme à la mode Gorbatchev. » Dans les archives, il n'est pas dit si Reagan a vraiment apprécié ce Français si extraverti... La veille de l'élection présidentielle, en mai 1988, on lui a préparé le texte du coup de fil qu'il devra passer au vainqueur, l'un à l'attention de Mitterrand, l'autre de Chirac. Ils étaient identiques.

          29 septembre 1988: « Nous formons un vieux couple »

          Dernière rencontre entre François Mitterrand, fraîchement réélu, et Ronald Reagan, qui achève son second mandat. Au cours du dîner à la Maison-Blanche, les deux chefs d'Etat se font d'émouvants adieux.

          « Nous n'avons pas toujours été d'accord, déclare François Mitterrand. Mais dire non permet de dire oui. J'ai apprécié votre courtoisie et votre élégance. Dans un mois, vous ne serez plus président des Etats-Unis, mais vous le serez toujours dans le coeur des Américains. Et vous le serez également dans le mien.» «Nous sommes des amis, répond Ronald Reagan. Nous formons un vieux couple. C'est toujours difficile de se séparer. »

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          • #6
            Mitterrand-Bush : conversations privées

            Tout au long de la première guerre du Golfe, il y a vingt ans, Mitterrand et Bush n’ont cessé de discuter du conflit et de ses conséquences. En exclusivité des extraits du verbatim.

            3 août 1990.Les troupes irakiennes viennent d'envahir le Koweït et semblent se diriger vers l'Arabie Saoudite. Bush appelle Mitterrand sur un téléphone sécurisé.

            George Bush. - Cette invasion est totalement inacceptable. Elle représente une grave menace pour nos intérêts nationaux et la sécurité de nos amis dans la région.
            François Mitterrand. - Oui, c'est ce que je pense.
            G. B. - Il est difficile de croire que Saddam va s'arrêter au Koweït. Et même s'il le faisait, il contrôle maintenant assez de pétrole et d'avoirs financiers pour modifier en profondeur la situation géostratégique.
            F. M. - J'ai le même sentiment. Si Saddam continue son offensive, il consolidera son hégémonie sur le monde arabe. La France soutient totalement votre idée de sanctions économiques, et je pense que très bientôt nous devrons discuter de mesures militaires.

            16 janvier 1991.L'ultimatum international pour le retrait du Koweït a expiré à minuit. La guerre va commencer.

            G. B. - Tous les efforts pour raisonner Saddam Hussein ont échoué. Rien n'a pu lui faire entendre raison. Je vous appelle à propos du début des opérations militaires. Elles commenceront à 3 heures du matin, heure de Bagdad. C'est-à-dire dans quatre heures. J'espère que vous serez d'accord.
            F. M. - Je n'ai pas d'objection. Ce serait illogique de ma part. J'ai toujours été explicite, tout en essayant d'éviter ce moment. Mais il est venu. Nous sommes à vos côtés. Je donnerai toutes les instructions.
            G. B. - Merci, mon ami. Je suis heureux de pouvoir être ainsi aux côtés d'un excellent partenaire.
            F. M. - La psychologie de Saddam Hussein est strictement incompréhensible. Je ne vois pas comment un homme peut ainsi exposer son peuple à tant de malheur.
            G. B. - Ce qu'il faut espérer, c'est qu'il sera chassé rapidement.
            F. M. - Sachez que nous restons profondément mobilisés. Je pense beaucoup à vous, aux soldats américains et aux dangers qu'ils traversent. Nos collaborateurs les plus proches restent en contact pour qu'il y ait une chaîne complète d'information.

            20 janvier 1 99 1 .L'opération Tempête du Désert dure depuis trois jours. Le président français appelle la Maison-Blanche.

            F. M. - Où en est la campagne aérienne ?
            G. B. - J'ai l'impression qu'elle se déroule bien, encore mieux qu'espéré. [ ... ] Ce qui me préoccupe, c'est ce qui se passe à l'ouest de l'Irak, d'où peuvent partir des attaques sur Israël.
            F. M. - Je pense que ce sont des attaques plutôt symboliques.
            G. B. - Sans doute. Je fais de gros efforts pour obtenir de Shamir [le Premier ministre d'Israël] qu'il évite d'avoir des réactions excessives.
            F. M. - C'est bien la première fois qu'on est obligé de mener une guerre devant les médias, qui ont tendance à tout exagérer.
            G. B. - Il y a eu même au début une euphorie.
            F. M. - Cette euphorie est assez fâcheuse. Les médias entretiennent un débit incessant, jour et nuit.
            G. B. - Je pense que CNN, en particulier, rend un fier service à Saddam Hussein. Où en est votre opinion publique ? Est-ce qu'elle tient le coup ?
            F. M. - Elle résiste bien. J'ai sous les yeux un sondage d'aujourd'hui qui approuve mon action à 75%. Et la vôtre ?
            G. B. - A 74%.
            F. M. - Pardonnez-moi ce point d'écart !

            5 février. La campagne aérienne entre dans sa quatrième semaine. Le Maghreb bouge. Bush vient aux nouvelles.

            G. B. - Cher François, j'ai l'impression que les choses vont bien. La coalition tient bon. Il faut que les Irakiens évacuent totalement le Koweït, sans concession. A ce propos, nous n'avons décelé aucun changement dans la position irakienne. En avez- vous noté de votre côté ?
            F. M. - Non, tous nos contacts directs et indirects confirment le même fait. Dès lors qu'on parle de trêve, je dis toujours : peut-être, mais il faut d'abord l'évacuation du Koweït. Et là, plus rien.
            G. B. - Pour le Maghreb, je me sens un peu fautif, parce que vous m'en aviez parlé et j'avoue que je n'ai rien fait. Qu'en pensez-vous ?
            F. M. - Pour nous, les pays du Maghreb constituent un problème délicat car ce sont des pays francophones qui nous connaissent bien. Donc, dès qu'il y a une opposition, il est naturel qu'elle s'exprime contre la France. Le fait de gagner la guerre est important, car dans ces pays-là on a quand même tendance à se tourner vers le vainqueur. Pour le reste, pas de problème particulier. Nous attendons comme tout le monde le signal de l'offensive terrestre. Nous ne sommes pas pressés.

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            • #7
              19 février 1991 .Gorbatchev vient de soumettre un ultime plan de paix à l'Irak Que va faire Saddam ?

              G. B. - J'ai écrit à Gorbatchev pour lui dire que la réponse devait être sans condition.
              F. M. - Il faut une réponse très rapide de Saddam Hussein. Demain ou avant, car tout retard nous mettrait dans des situations difficiles par rapport aux armées et à l'opinion et aussi au sein de la coalition. Je pense à l'Allemagne et à l'Italie. Avez-vous vu ce qu'ils ont dit ?
              G. B. - Non.
              F. M. - Ils réagissent avec enthousiasme et sans discernement. Il faut donc une réponse immédiate, claire et sans condition. Tant qu'il n'aura pas répondu, il faut faire la guerre, et même avec plus de force encore. Il faut continuer la guerre, bombarder les troupes et menacer l'Irak et Saddam Hussein tant que le retrait ne sera pas effectif.
              G. B. - Vous qui connaissez Saddam Hussein, que va-t-il faire ?
              F. M. - Je ne le connais pas ! Evidemment, ce que l'on sait de lui peut faire penser qu'il refusera, et ce sera désastreux pour l'Irak. Il va devoir choisir entre la mort et la défaite ou l'acceptation. Il peut aussi chercher à valoriser son prestige. Il faut l'en empêcher.

              14 mars 1991 .La guerre est finie depuis deux semaines. Les deux présidents se retrouvent en tête à tête à la Martinique.

              G. B. - Quand on repense aux débuts de la crise, on a l'impression que cela fait des années ! Où va-t-on maintenant ? Quelles sont vos idées ?
              F. M. - Vous occupez l'essentiel du théâtre en raison du rôle de votre pays dans le monde et dans cette crise. Ce que je pense : le seul vrai problème est celui des Palestiniens. Tout le reste est, en comparaison, facile à régler. Vous savez mon attachement à Israël. J'ai été le premier chef d'Etat français à m'y rendre. Lorsqu'une attaque israélienne a détruit cette centrale en Irak qu'un gouvernement français malheureux avait construite, j'ai refusé de la reconstruire. C'est pourquoi je n'ai jamais rencontré Saddam Hussein. J'essaie de dire la vérité à Israël. En refusant tout accord, tout compromis, Israël est également responsable de la situation au Proche-Orient.
              G. B. - Je suis d'accord. Je sais que vous pensez que nous avons été les otages d'Israël. Si un président a été prêt à prendre en main le problème, c'est bien moi. Nous avons diminué la menace contre Israël. Et pourtant ils essaient encore de nous entraîner au-delà de ce qui est raisonnable, par le biais du Congrès.
              F. M. - Il y a un pays clé pour la situation, c'est la Jordanie.
              G. B. - Il faut garder le roi. [Pourtant] les Arabes de la coalition sont convaincus qu'il y avait un accord entre le roi de Jordanie et Saddam Hussein sur les champs de pétrole du Koweït. J'ajoute un élément anecdotique, mais qui compte quand même, c'est le comportement de la reine Nour de Jordanie.
              F. M. - C'est une belle Américaine !
              G. B. - Elle est pas mal.
              F. M. - Mieux que pas mal.
              G. B. - Eh bien, elle est encore plus ferme que lui. Elle l'a poussé dans des sentiments anti-occidentaux. Il faudrait lui enlever sa reine !
              F. M. - On sera alliés pour cela aussi.
              G. B. - Pour le Liban, croyez-vous qu'on peut y arriver ?
              F. M. - Je vous ai déjà raconté mon entretien avec Assad [le président syrien, père de l'actuel]. Pour lui, le Liban, c'est la Syrie, Israël, c'est la Syrie, Jésus-Christ était syrien....
              G. B. - C'est pas mal.
              F. M. - J'ai reçu un appel de Rafsandjani [le président iranien]. Il m'a invité à Téhéran. On n'a pas conclu. Je voulais vous le signaler.
              G. B. - Qu'est-ce qu'il veut ?
              F. M. - Il veut être un partenaire. Il y a la guerre civile en Irak et beaucoup ont dit chez vous qu'il voulait prendre le pouvoir là-bas. Mais je crois que les journaux américains ont fait un contresens. En fait, il a peur que les chiites du Sud gagnent, car ce sont des fondamentalistes ; et il n'en veut pas. Ce sont pour lui des adversaires.
              G. B. - Que pensez-vous de la situation en Irak ?
              F. M. - Ne renversons pas les rôles ! C'est vous qui avez des services compétents. Que pensez- vous ?
              G. B. - Ce sera un peu Ceausescu. On dansera dans les rues quand il partira. Mais [en Irak] nos renseignements ne sont pas très bons...
              Au cours du déjeuner, les présidents font un tour d'horizon planétaire.
              G. B. - Castro est-il raisonnable ou dogmatique ?
              F. M. - Assez raisonnable. Je le connais. Je l'ai vu en 1975. Je ne pense pas qu'un « hispanique » puisse rester vraiment marxiste. Mais il devient le dernier.
              G. B. - Vous vous intéressez à la Yougoslavie ? Il y a des troubles...
              F. M. - En Europe, il y a partout des sources de guerre. Il faut développer de grands ensembles qui s'organisent. Au fond, l'empire austro-hongrois était bien commode. On a eu tort de le défaire.
              G. B. - L'Algérie, on peut aider ?
              F. M. - Je ne suis pas inquiet, sauf s'il y a un risque de coup d'Etat au bénéfice d'intégristes exaltés. Mais ils vieillissent aussi. Je vous ai raconté mon entretien avec Kadhafi. C'était la première fois qu'il me téléphonait, au début de la guerre. Il m'a dit : je vous téléphone car il y a tellement de fous dans le monde en ce moment ; il faut que les gens raisonnables se parlent !
              G. B. - Je suis inquiet pour la stabilité du Maroc.
              F. M. - Le roi a réussi à se faire beaucoup d'ennemis. Il a une conception traditionaliste, médiévale de sa fonction. Il est moderne pour tout le reste, sauf pour les structures de la monarchie. Il ne se rend pas compte que cela commence à être dépassé. Il retient des prisonniers d'opinion depuis vingt-cinq ans !
              G. B. - Pouvons-nous parler de la sécurité en Europe ?
              F. M. - Volontiers. L'Europe n'est pas en état de disposer d'une force commune pour assurer sa sécurité, voilà la réalité. Il n'y a pas encore assez d'unité politique. C'est donc une dispute d'école de savoir si on choisit la défense commune à la place de l'Otan. La seule force, actuellement, c'est l'Otan. Pensons au XXIe siècle. Oui, je souhaite que l'Europe ait progressivement les moyens de se défendre elle-même. Si cette espérance est à payer au prix d'une rupture, d'un désaccord grave avec les Etats-Unis, cela ne vaut pas la peine.

              4 novembre 1992. Bush vient de perdre l'élection présidentielle face à Bill Clinton. De son avion Air Force One, il écrit à Mitterrand.

              « Cher François, le soleil se couche sur ma vie publique, une vie pendant laquelle j'ai apprécié travailler avec vous si étroitement. Une vie privée s'annonce. Je vous envoie mes remerciements et mon respect et cette amitié que je chérirai toujours. George »


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