Le médecin qui souffrait pour les pauvres
« Je n’ai pas peur de l’avenir, j’ai peur de ne pas en avoir »
Un jeune désabusé
S’il le pouvait, Abdelkader embarquerait tous les damnés de la terre dans son arche. Les démunis, les pauvres, les laissés-pour-compte, les exploités qui constatent à leur corps défendant cette déshumanisation qui fait d’eux des parias, des moins que rien, des citoyens de seconde zone. Pourtant, Abdelkader ne se prend pas pour un messager de Dieu, encore moins pour le sauveur Noé. Mais, nourri aux valeurs d’humanisme puisées dans la piété qui l’habite, Abdelkader a toujours rêvé à haute voix de sauver le maximum d’êtres réduits à la condition de sous-hommes, limités à observer, impuissants, l’arrogance insolente d’une classe de nantis qui les méprise et les nargue.
L’engagement de notre médecin mécène auprès des déshérités lui a valu la reconnaissance de tous, car il se sentait à l’aise dans tous les milieux, homme de terrain, de foi et de science qu’il était. Connu à Béjaïa où il officiait, sa popularité dépassa les berges de La Soummam, pour aller au secours des plus vulnérables du côté de Sétif où sa famille possédait une ferme, précisément à Bousselam dans la commune de Mezloug. Tahar Chaouch Mohamed Oudjemaâ, ancien moudjahid et ami intime du défunt témoigne : « Hadj Abdelkader ? C’était la bonté personnifiée. Il était d’une modestie exemplaire. Si j’avais eu ne serait-ce qu’un brin de ses qualités, j’aurais été le plus heureux des hommes. Il a soigné gratuitement des centaines et des centaines de gens. Il faisait des dizaines de kilomètres à pied pour aller à la rencontre de ses patients, parfois en dehors de la ville de Bougie. Il possédait une ‘’Traction’’, mais il ne s’en servait pas. Je vais vous étonner, mais il ne possédait pas de cabinet. Pour l’anecdote, un jour, il fut surpris en plein exercice de son métier dans la rue par les gendarmes qui pensaient tenir là un charlatan dans l’exercice illégal de la médecine. Lorsqu’il déclina sa qualification, ils restèrent sans voix. C’est Abdelakder qui est à l’origine de mon éducation. Je lui dois tout, même si je m’en veux de n’avoir pas hérité de toutes ses qualités. »
Un engagement précoce
Abdelkader Belabbès est né le 6 septembre 1915 à Béjaïa, fils de Touati Zohra et de Belabbès Ahmed, connu sous le nom de Ahmed Hamana. Il habitait la rue Allaoua Touati (Houma Keramane) un peu plus haut que le lycée Ibn Sina et la rue Fatima. Le Dr Abdelkader a remplacé le Dr Ahmed Francis à Sétif qui était souvent accaparé par ses activités politiques. Francis, l’enfant de Relizane, était un militant actif du PPA. Le Dr Abdelkader avait accepté de bon cœur ce remplacement. Mais après un mois et à son retour, le Dr Francis demandant des comptes trouva la caisse vide. Il s’en inquiéta auprès de son ami Abdelkader qui lui rétorqua : « Vous m’avez demandé de vous tenir le cabinet, c’est fait, pour le reste c’est ‘’fi sabilillah’’. » Le Dr Francis lui a rendu un bel hommage, rapporte le neveu du défunt, le Dr Abdelhakim, qui se rappelle des allées et venues d’hommes illustres dans la maison de son oncle, comme le théologien Abderrahmane Djillali, qui en plus des soins, aimait converser longuement avec son hôte sur les sujets aussi divers que le fikh et l’histoire. Sûr de lui, le Dr Belabbès n’utilisait pas le stéthoscope. Il lui suffisait de coller son oreille au niveau de la poitrine et du dos et son index et le majeur au poignet du patient pour tâter le pouls tout en regardant sa montre. Les plus démunis le sollicitaient fréquemment. Après consultation, le docteur leur glissait un petit bout de papier griffonné, en guise d’ordonnance, destiné à son ami, le pharmacien, Kaci Amirouchen de Béjaïa qui savait ce qui lui restait à faire : distribuer gratuitement les médicaments. Kaci, un autre grand nom au service des pauvres, n’hésitait pas un instant pour pourvoir le Dr Abdelkader en médicaments destinés aux maquisards blessés. L’imam Abdelghani Chehata, d’origine égyptienne, mais qui a été adopté par Béjaïa, où il a officié de longues années à la mosquée Sidi Soufi, n’oubliera jamais Abdelkader « dont la générosité n’a d’égale que sa piété, dont le dévouement aux autres est un exemple. Il était prêt à intervenir à tout moment auprès de ceux qui sont dans le besoin, surtout les plus vulnérables. Il aimait la vie, il aimait l’humanité et aimait la paix. Il aimait répéter que tout ce qu’il y a sur terre appartient à Dieu et que tous ceux attirés par les choses matérielles de ce bas monde doivent se ressaisir. Ponctuel aux heures de prière, c’était un homme de foi, un homme de cœur ». Ses amis, comme Rachid Hamouche, le décrivent pétillant de fraîcheur et débordant de toutes les douleurs de la vie, en s’interrogeant gravement sur la condition humaine. « Il a traversé le monde en reniflant l’air du temps, en prenant la précaution de ne pas en perdre », constate son ami Oudjemaâ. En décrochant son bac au milieu des années 1930 à Ben Aknoun, il savait que sa trajectoire était tracée : il sera médecin et pour ce faire, il s’envolera à Tours en France où, à l’issue de brillantes études, il est diplômé en 1940. La guerre battait son plein et Abdelkader est vite mobilisé par l’armée française à l’hôpital de Batna, où il restera pendant presque une année. Là, il réformera à tour de bras les jeunes issus de familles pauvres jusqu’à éveiller les soupçons de ses supérieurs qui le surveilleront de près. Après sa démobilisation, il retourne à Béjaïa, où il décide de mettre sa médecine au service des autres, sans contrepartie.
« Je n’ai pas peur de l’avenir, j’ai peur de ne pas en avoir »
Un jeune désabusé
S’il le pouvait, Abdelkader embarquerait tous les damnés de la terre dans son arche. Les démunis, les pauvres, les laissés-pour-compte, les exploités qui constatent à leur corps défendant cette déshumanisation qui fait d’eux des parias, des moins que rien, des citoyens de seconde zone. Pourtant, Abdelkader ne se prend pas pour un messager de Dieu, encore moins pour le sauveur Noé. Mais, nourri aux valeurs d’humanisme puisées dans la piété qui l’habite, Abdelkader a toujours rêvé à haute voix de sauver le maximum d’êtres réduits à la condition de sous-hommes, limités à observer, impuissants, l’arrogance insolente d’une classe de nantis qui les méprise et les nargue.
L’engagement de notre médecin mécène auprès des déshérités lui a valu la reconnaissance de tous, car il se sentait à l’aise dans tous les milieux, homme de terrain, de foi et de science qu’il était. Connu à Béjaïa où il officiait, sa popularité dépassa les berges de La Soummam, pour aller au secours des plus vulnérables du côté de Sétif où sa famille possédait une ferme, précisément à Bousselam dans la commune de Mezloug. Tahar Chaouch Mohamed Oudjemaâ, ancien moudjahid et ami intime du défunt témoigne : « Hadj Abdelkader ? C’était la bonté personnifiée. Il était d’une modestie exemplaire. Si j’avais eu ne serait-ce qu’un brin de ses qualités, j’aurais été le plus heureux des hommes. Il a soigné gratuitement des centaines et des centaines de gens. Il faisait des dizaines de kilomètres à pied pour aller à la rencontre de ses patients, parfois en dehors de la ville de Bougie. Il possédait une ‘’Traction’’, mais il ne s’en servait pas. Je vais vous étonner, mais il ne possédait pas de cabinet. Pour l’anecdote, un jour, il fut surpris en plein exercice de son métier dans la rue par les gendarmes qui pensaient tenir là un charlatan dans l’exercice illégal de la médecine. Lorsqu’il déclina sa qualification, ils restèrent sans voix. C’est Abdelakder qui est à l’origine de mon éducation. Je lui dois tout, même si je m’en veux de n’avoir pas hérité de toutes ses qualités. »
Un engagement précoce
Abdelkader Belabbès est né le 6 septembre 1915 à Béjaïa, fils de Touati Zohra et de Belabbès Ahmed, connu sous le nom de Ahmed Hamana. Il habitait la rue Allaoua Touati (Houma Keramane) un peu plus haut que le lycée Ibn Sina et la rue Fatima. Le Dr Abdelkader a remplacé le Dr Ahmed Francis à Sétif qui était souvent accaparé par ses activités politiques. Francis, l’enfant de Relizane, était un militant actif du PPA. Le Dr Abdelkader avait accepté de bon cœur ce remplacement. Mais après un mois et à son retour, le Dr Francis demandant des comptes trouva la caisse vide. Il s’en inquiéta auprès de son ami Abdelkader qui lui rétorqua : « Vous m’avez demandé de vous tenir le cabinet, c’est fait, pour le reste c’est ‘’fi sabilillah’’. » Le Dr Francis lui a rendu un bel hommage, rapporte le neveu du défunt, le Dr Abdelhakim, qui se rappelle des allées et venues d’hommes illustres dans la maison de son oncle, comme le théologien Abderrahmane Djillali, qui en plus des soins, aimait converser longuement avec son hôte sur les sujets aussi divers que le fikh et l’histoire. Sûr de lui, le Dr Belabbès n’utilisait pas le stéthoscope. Il lui suffisait de coller son oreille au niveau de la poitrine et du dos et son index et le majeur au poignet du patient pour tâter le pouls tout en regardant sa montre. Les plus démunis le sollicitaient fréquemment. Après consultation, le docteur leur glissait un petit bout de papier griffonné, en guise d’ordonnance, destiné à son ami, le pharmacien, Kaci Amirouchen de Béjaïa qui savait ce qui lui restait à faire : distribuer gratuitement les médicaments. Kaci, un autre grand nom au service des pauvres, n’hésitait pas un instant pour pourvoir le Dr Abdelkader en médicaments destinés aux maquisards blessés. L’imam Abdelghani Chehata, d’origine égyptienne, mais qui a été adopté par Béjaïa, où il a officié de longues années à la mosquée Sidi Soufi, n’oubliera jamais Abdelkader « dont la générosité n’a d’égale que sa piété, dont le dévouement aux autres est un exemple. Il était prêt à intervenir à tout moment auprès de ceux qui sont dans le besoin, surtout les plus vulnérables. Il aimait la vie, il aimait l’humanité et aimait la paix. Il aimait répéter que tout ce qu’il y a sur terre appartient à Dieu et que tous ceux attirés par les choses matérielles de ce bas monde doivent se ressaisir. Ponctuel aux heures de prière, c’était un homme de foi, un homme de cœur ». Ses amis, comme Rachid Hamouche, le décrivent pétillant de fraîcheur et débordant de toutes les douleurs de la vie, en s’interrogeant gravement sur la condition humaine. « Il a traversé le monde en reniflant l’air du temps, en prenant la précaution de ne pas en perdre », constate son ami Oudjemaâ. En décrochant son bac au milieu des années 1930 à Ben Aknoun, il savait que sa trajectoire était tracée : il sera médecin et pour ce faire, il s’envolera à Tours en France où, à l’issue de brillantes études, il est diplômé en 1940. La guerre battait son plein et Abdelkader est vite mobilisé par l’armée française à l’hôpital de Batna, où il restera pendant presque une année. Là, il réformera à tour de bras les jeunes issus de familles pauvres jusqu’à éveiller les soupçons de ses supérieurs qui le surveilleront de près. Après sa démobilisation, il retourne à Béjaïa, où il décide de mettre sa médecine au service des autres, sans contrepartie.
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