En pleine expansion, le dessalement de l'eau de mer apporte une solution aux régions côtières victimes de la sécheresse. Mais tous les procédés sont gourmands en énergie, et non sans risque pour le milieu marin environnant.
Lorsqu'elle ouvrira ses portes en 2011 près de Melbourne en Australie, l'usine de dessalement d'eau de mer de Victoria, l'une des plus grosses au monde, fournira quelque 300 000 mètres cubes d'eau potable par jour. Une fontaine fabuleuse... mais non sans danger pour l'environnement selon ses détracteurs, des groupes d'écologistes locaux. Solution incontournable pour les uns, le dessalement de l'eau de mer est en effet très critiqué par les autres qui dénoncent le coût énergétique et les rejets chimiques de ces unités de plus en plus gigantesques.
La production mondiale d'eau dessalée s'élève actuellement à 47 millions de mètres cubes par jour, soit 0,45 % de la consommation d'eau douce journalière sur notre planète. Elle est en pleine croissance, de l'ordre de 10 % par an [1] . Sur ce total, 58 % - soit 25 millions de mètres cubes d'eau potable - sont dessalés quotidiennement à partir de l'eau de mer, le reste venant d'eaux saumâtres * issues entre autres du recyclage. Le Moyen-Orient, principal producteur au monde, en fournit à lui seul près de la moitié avec une capacité cumulée de quelque 11 millions de mètres cubes par jour. Cette situation est en pleine évolution. Car, longtemps cantonnées aux richissimes pays du golfe Persique, les usines colonisent désormais d'autres zones côtières, de la Californie à l'Espagne, des Caraïbes au Sud-Est asiatique.
À l'heure où nombre d'États cherchent à réduire leur consommation énergétique tant pour des raisons de coût que de diminution des gaz à effet de serre, cette expansion est un défi. Bien que le coût énergétique du dessalement varie du simple au double selon le procédé utilisé, il reste trop élevé dans tous les cas. Comment le réduire ? Il existe deux familles de procédés (lire « Procédés et coût énergétique », ci-dessous). La plus ancienne, l'évaporation par distillation, héritée de la production d'eau douce sur les bateaux, consomme jusqu'à deux fois plus d'énergie que la plus moderne, la séparation par membrane ou osmose inverse * .
De plus, l'évaporation par distillation, pour qu'elle soit économiquement viable, nécessite d'implanter les unités près d'une centrale thermique afin que les deux usines fonctionnent en cogénération. Ce qui limite le choix des sites où installer ce type d'unités. Pourtant, en dépit de ces contraintes, les procédés de distillation représentent toujours 90 % de la production d'eau dessalée dans la région du Golfe. Dans le reste du monde, où l'on est en général beaucoup plus sensible au coût de l'énergie, c'est la technologie de l'osmose inverse qui l'emporte. Ainsi, sur le pourtour méditerranéen, 76 % de la production totale (4,2 millions de mètres cubes par jour) est assurée par des installations d'osmose inverse, notamment en Espagne, en Algérie et en Israël, ainsi que dans certaines grandes îles [fig. 1] .
Le coût énergétique du dessalement doit être comparé aux autres dépenses énergétiques, pour mieux évaluer son importance. Prenons un exemple. Une usine à osmose inverse de petite taille produit environ 25 000 mètres cubes par jour d'eau douce. Pour cela, elle consomme 100 000 kilowattheures par jour. Si on considère que la dépense quotidienne en eau s'élève en moyenne à 130 litres par personne, une telle usine pourra alimenter en eau 48 000 foyers de quatre personnes par jour. Pour cela, elle dépensera l'équivalent de la consommation électrique journalière de 8 100 foyers de quatre personnes. Dans les communautés où l'usine est l'unique source de fourniture d'eau douce, le dessalement peut ainsi accroître la demande énergétique dans des proportions allant jusqu'à 15 %.
Cumul de dépenses
Comme les méthodes conventionnelles de traitement et de distribution d'eau consomment également de l'énergie, il faut aussi mettre en regard la consommation énergétique due au dessalement avec celle due aux autres solutions de production d'eau. On estime par exemple que, pour une capacité cumulée de 1,7 million de mètres cubes par jour, les usines de dessalement actuellement à l'étude en Californie augmenteraient la dépense énergétique nécessaire à la production d'eau potable de 5 % par rapport à son niveau de 2001 [2] . Or cette année-là, le coût énergétique nécessaire pour produire l'ensemble de la consommation d'eau de l'État représentait déjà 19 % de la dépense énergétique totale de la Californie [3] .
Autre exemple, l'Espagne. La péninsule Ibérique prévoit de presque tripler la capacité de ses usines de dessalement sur la côte méditerranéenne, dans le cadre de son programme « Agua » : la capacité totale passera de 1,1 million de mètres cubes par jour en 2005 à plus de 2,7 millions de mètres cubes par jour en 2010. La production du volume total d'eau dessalée en 2010 générera une dépense énergétique de quelque 4 000 gigawattheures, ce qui, comparé à 2004, représente 1,4 % de la dépense énergétique globale de l'Espagne cette année-là, 280 térawattheures [4, 5] . À l'échelle régionale espagnole, la part due au dessalement dans la consommation énergétique totale est parfois déjà beaucoup plus lourde : ainsi aux îles Canaries, les eaux dessalées représentent 14 % de l'ensemble de la dépense énergétique [6] , et en Andalousie, l'usine à osmose inverse de Carboneras sur la côte méditerranéenne, qui fournit 120 000 mètres cubes par jour, consomme près d'un tiers de l'énergie électrique de la province [7] .
En conséquence, la facture énergétique pèse sur le prix de vente, qui reste élevé : 0,4 à 0,80 euro le mètre cube pour l'osmose inverse et de 0,65 à 1,80 euro pour la distillation. Sans compter que l'énergie a aussi un coût environnemental. À l'heure actuelle, les usines de dessalement sont essentiellement alimentées par des énergies fossiles. Or, les combustibles fossiles - et partant, le dessalement - présentent pour l'environnement l'inconvénient d'émettre des polluants atmosphériques, notamment du dioxyde de carbone (CO2), des oxydes de soufre et d'azote et des particules solides.
Les émissions autres que celles de CO2 dépendent du type de centrale électrique alimentant les usines et sont donc difficiles à quantifier globalement, mais celles de CO2, déterminées par la teneur en carbone du combustible, peuvent en revanche être estimées avec une certaine précision. Le système de production espagnol rejetterait ainsi 680 grammes de CO2 par mètre cube d'eau dessalée [5] . Une capacité de 2,7 millions de mètres cubes par jour se traduirait donc par l'émission dans l'atmosphère de 5 476 tonnes de CO2 par jour, ce qui accroîtrait de 0,6 % les émissions de CO2 de l'Espagne, par rapport à leur niveau de 2004 (326 millions de tonnes). Cette contribution à l'effet de serre est loin d'être négligeable dans le contexte actuel de lutte contre le réchauffement climatique.
La Suite...
Lorsqu'elle ouvrira ses portes en 2011 près de Melbourne en Australie, l'usine de dessalement d'eau de mer de Victoria, l'une des plus grosses au monde, fournira quelque 300 000 mètres cubes d'eau potable par jour. Une fontaine fabuleuse... mais non sans danger pour l'environnement selon ses détracteurs, des groupes d'écologistes locaux. Solution incontournable pour les uns, le dessalement de l'eau de mer est en effet très critiqué par les autres qui dénoncent le coût énergétique et les rejets chimiques de ces unités de plus en plus gigantesques.
La production mondiale d'eau dessalée s'élève actuellement à 47 millions de mètres cubes par jour, soit 0,45 % de la consommation d'eau douce journalière sur notre planète. Elle est en pleine croissance, de l'ordre de 10 % par an [1] . Sur ce total, 58 % - soit 25 millions de mètres cubes d'eau potable - sont dessalés quotidiennement à partir de l'eau de mer, le reste venant d'eaux saumâtres * issues entre autres du recyclage. Le Moyen-Orient, principal producteur au monde, en fournit à lui seul près de la moitié avec une capacité cumulée de quelque 11 millions de mètres cubes par jour. Cette situation est en pleine évolution. Car, longtemps cantonnées aux richissimes pays du golfe Persique, les usines colonisent désormais d'autres zones côtières, de la Californie à l'Espagne, des Caraïbes au Sud-Est asiatique.
À l'heure où nombre d'États cherchent à réduire leur consommation énergétique tant pour des raisons de coût que de diminution des gaz à effet de serre, cette expansion est un défi. Bien que le coût énergétique du dessalement varie du simple au double selon le procédé utilisé, il reste trop élevé dans tous les cas. Comment le réduire ? Il existe deux familles de procédés (lire « Procédés et coût énergétique », ci-dessous). La plus ancienne, l'évaporation par distillation, héritée de la production d'eau douce sur les bateaux, consomme jusqu'à deux fois plus d'énergie que la plus moderne, la séparation par membrane ou osmose inverse * .
De plus, l'évaporation par distillation, pour qu'elle soit économiquement viable, nécessite d'implanter les unités près d'une centrale thermique afin que les deux usines fonctionnent en cogénération. Ce qui limite le choix des sites où installer ce type d'unités. Pourtant, en dépit de ces contraintes, les procédés de distillation représentent toujours 90 % de la production d'eau dessalée dans la région du Golfe. Dans le reste du monde, où l'on est en général beaucoup plus sensible au coût de l'énergie, c'est la technologie de l'osmose inverse qui l'emporte. Ainsi, sur le pourtour méditerranéen, 76 % de la production totale (4,2 millions de mètres cubes par jour) est assurée par des installations d'osmose inverse, notamment en Espagne, en Algérie et en Israël, ainsi que dans certaines grandes îles [fig. 1] .
Le coût énergétique du dessalement doit être comparé aux autres dépenses énergétiques, pour mieux évaluer son importance. Prenons un exemple. Une usine à osmose inverse de petite taille produit environ 25 000 mètres cubes par jour d'eau douce. Pour cela, elle consomme 100 000 kilowattheures par jour. Si on considère que la dépense quotidienne en eau s'élève en moyenne à 130 litres par personne, une telle usine pourra alimenter en eau 48 000 foyers de quatre personnes par jour. Pour cela, elle dépensera l'équivalent de la consommation électrique journalière de 8 100 foyers de quatre personnes. Dans les communautés où l'usine est l'unique source de fourniture d'eau douce, le dessalement peut ainsi accroître la demande énergétique dans des proportions allant jusqu'à 15 %.
Cumul de dépenses
Comme les méthodes conventionnelles de traitement et de distribution d'eau consomment également de l'énergie, il faut aussi mettre en regard la consommation énergétique due au dessalement avec celle due aux autres solutions de production d'eau. On estime par exemple que, pour une capacité cumulée de 1,7 million de mètres cubes par jour, les usines de dessalement actuellement à l'étude en Californie augmenteraient la dépense énergétique nécessaire à la production d'eau potable de 5 % par rapport à son niveau de 2001 [2] . Or cette année-là, le coût énergétique nécessaire pour produire l'ensemble de la consommation d'eau de l'État représentait déjà 19 % de la dépense énergétique totale de la Californie [3] .
Autre exemple, l'Espagne. La péninsule Ibérique prévoit de presque tripler la capacité de ses usines de dessalement sur la côte méditerranéenne, dans le cadre de son programme « Agua » : la capacité totale passera de 1,1 million de mètres cubes par jour en 2005 à plus de 2,7 millions de mètres cubes par jour en 2010. La production du volume total d'eau dessalée en 2010 générera une dépense énergétique de quelque 4 000 gigawattheures, ce qui, comparé à 2004, représente 1,4 % de la dépense énergétique globale de l'Espagne cette année-là, 280 térawattheures [4, 5] . À l'échelle régionale espagnole, la part due au dessalement dans la consommation énergétique totale est parfois déjà beaucoup plus lourde : ainsi aux îles Canaries, les eaux dessalées représentent 14 % de l'ensemble de la dépense énergétique [6] , et en Andalousie, l'usine à osmose inverse de Carboneras sur la côte méditerranéenne, qui fournit 120 000 mètres cubes par jour, consomme près d'un tiers de l'énergie électrique de la province [7] .
En conséquence, la facture énergétique pèse sur le prix de vente, qui reste élevé : 0,4 à 0,80 euro le mètre cube pour l'osmose inverse et de 0,65 à 1,80 euro pour la distillation. Sans compter que l'énergie a aussi un coût environnemental. À l'heure actuelle, les usines de dessalement sont essentiellement alimentées par des énergies fossiles. Or, les combustibles fossiles - et partant, le dessalement - présentent pour l'environnement l'inconvénient d'émettre des polluants atmosphériques, notamment du dioxyde de carbone (CO2), des oxydes de soufre et d'azote et des particules solides.
Les émissions autres que celles de CO2 dépendent du type de centrale électrique alimentant les usines et sont donc difficiles à quantifier globalement, mais celles de CO2, déterminées par la teneur en carbone du combustible, peuvent en revanche être estimées avec une certaine précision. Le système de production espagnol rejetterait ainsi 680 grammes de CO2 par mètre cube d'eau dessalée [5] . Une capacité de 2,7 millions de mètres cubes par jour se traduirait donc par l'émission dans l'atmosphère de 5 476 tonnes de CO2 par jour, ce qui accroîtrait de 0,6 % les émissions de CO2 de l'Espagne, par rapport à leur niveau de 2004 (326 millions de tonnes). Cette contribution à l'effet de serre est loin d'être négligeable dans le contexte actuel de lutte contre le réchauffement climatique.
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