«Le Maroc fait partie des lions d’Afrique»
"Le Maroc est-il un pays émergent?". C'est le thème d'un numéro spécial inédit paru dans Les Afriques (n°131 du 29 juillet au 29 septembre) et à lequel ont pris part des économistes de renomée , des spécialistes de la communication et de grandes personnalités du monde entier. Chacun selon son angle et sa hauteur de vue. Tout au long de ces jours, nous publions les synthèses de ces interviews. Nous commençons cette séquence aujourd'hui avec l'analyse de Patrick Dupoux du Boston Consultin Group.
Les Afriques : Est-ce que selon vos grilles d’analyses le Maroc est un pays émergent ?
Dupoux Patrick : Effectivement. Le Maroc connaît depuis dix ans une croissance supérieure à la moyenne mondiale. Par ailleurs, le Maroc a aujourd’hui un PIB/habitant à des niveaux proches des pays émergents d’Asie ou d’Amérique latine, et nettement supérieur à la moyenne du continent africain. Enfin, le niveau d’investissement y est soutenu et la modernisation des infrastructures fait effectivement penser à un pays émergent.
LA : Quelles sont les principales différences entre le Maroc et les pays émergents d’Asie ?
DP : La croissance du Maroc est moins rapide que celle des pays les plus dynamiques, tels que l’Inde et bien sûr la Chine. Pour combler cet écart de croissance, il faudrait notamment accélérer le développement d’un tissu industriel compétitif à l’international et l’amélioration du système éducatif.
LA : Où se situe le Maroc dans votre diagnostic sur les lions d’Afrique publié récemment ?
DP : Dans ce rapport, nous avons constaté que c’est le continent africain dans sa globalité qui est en émergence. Depuis dix ans, l’Afrique présente une croissance supérieure à la moyenne mondiale, ce qui n’était pas le cas au cours des deux précédentes décennies. Au sein du continent, un groupe de pays se distingue et joue le rôle de locomotive du continent : nous les avons appelés les lions africains, en référence aux tigres asiatiques, parce que ces pays présentent des profils de richesse et de croissance similaires aux tigres asiatiques et aux BRIC (Brésil-Russie-Inde-Chine). Le Maroc fait partie de ces huit lions africains, avec les autres pays d’Afrique du Nord (Egypte, Lybie, Tunisie, Algérie) et les pays d’Afrique australe (Afrique du Sud, Bostwana, Maurice).
LA : Pourquoi est-ce seulement maintenant que l’Afrique bouge ?
DP : Des années 70 à la fin des années 90, l’Afrique a eu une croissance inférieure à la moyenne mondiale. L’une des raisons était le manque de stabilité politique, celle-ci étant la première condition de l’émergence économique. Depuis le début des années 2000, beaucoup de progrès ont été réalisés, avec davantage d’alternances démocratiques. Autre élément qui explique la croissance forte du continent, c’est une conjoncture favorable, avec notamment la hausse des prix des matières premières. Enfin, le continent a renforcé son intégration économique, et le commerce interafricain s’est développé, même si celui-ci reste très inférieur au potentiel.
LA : Pourtant, de nombreux observateurs déplorent une fracture de plus en plus évidente entre le développement économique du Maghreb et celui de l’Afrique subsaharienne ?
DP : En effet, comme on l’a constaté dans notre rapport, c’est le Maghreb et l’Afrique australe qui avancent le plus vite et qui partent de plus haut. La situation est moins favorable en Afrique subsaharienne. On voit néanmoins plusieurs pays émerger depuis trois à quatre ans, par exemple le Nigeria, le Ghana, l’Angola ou encore la Tanzanie.
« Le Maroc a aujourd’hui un PIB/habitant à des niveaux proches des pays émergents d’Asie ou d’Amérique latine, et nettement supérieur à la moyenne du continent africain. »
LA : Sentez-vous un facteur pétrole décisif entre pays producteurs et non producteurs ?
DP : Il est clair que les pays producteurs de pétrole et de gaz (Angola, Libye, Algérie) ont bénéficié de la hausse des cours. Un pays comme l’Angola, qui sort d’une longue guerre civile a enfin pu bénéficier de sa richesse naturelle et connaît des taux de croissance très élevés depuis cinq ans. Mais il serait erroné de croire que l’Afrique tire sa croissance uniquement des matières premières. Des secteurs comme les télécommunications, la bancassurance et les services en général ont connu des croissances spectaculaires.
LA : Pour en revenir au Maroc, la balance commerciale en déséquilibre structurel ne vient-elle pas fixer les limites du modèle de développement ?
DP : Le Maroc dispose de peu de ressources naturelles, il importe notamment toute son énergie. Le royaume a donc toujours eu une situation de tension sur sa balance commerciale. Cette tension s’est accentuée avec la hausse du prix des matières premières et la croissance de la consommation intérieure. Le renforcement des secteurs exportateurs est donc une priorité. Mais globalement, les pays qui ont connu de fortes croissances sur une longue durée ont joué la carte de l’ouverture économique.
LA : Quelle comparaison feriez-vous des économies du Maroc et de la Tunisie ?
DP : Ce sont deux pays qui se ressemblent beaucoup, en termes de situation géographique, de ressources naturelles et de niveau de développement. Les deux pays poursuivent une politique de développement qui semble porter ses fruits.
LA : Que pensez-vous de l’attitude de certains hommes politiques européens vis-à-vis de la délocalisation ?
DP : Il y a des effets d’annonce, certes. Il me semble que dans la réalité, les implantations au Maroc seront surtout le fruit de créations nouvelles, plutôt que de simples délocalisations.
LA : L’importance de la classe moyenne au Maroc correspond-t-elle au schéma d’un pays émergent ?
DP : Nous sommes dans le cas d’un pays en transition. C’est une période clé où l’émergence ne bénéficie pas encore à tout le monde. Ce sera un long processus. Tous les pays qui ont opéré des mutations fortes d’une société à dominante rurale vers une société moderne ont vécu des disparités dans un premier temps, même si à terme, l’émergence devrait être bénéfique au plus grand nombre.
A.W. Les Afriques
"Le Maroc est-il un pays émergent?". C'est le thème d'un numéro spécial inédit paru dans Les Afriques (n°131 du 29 juillet au 29 septembre) et à lequel ont pris part des économistes de renomée , des spécialistes de la communication et de grandes personnalités du monde entier. Chacun selon son angle et sa hauteur de vue. Tout au long de ces jours, nous publions les synthèses de ces interviews. Nous commençons cette séquence aujourd'hui avec l'analyse de Patrick Dupoux du Boston Consultin Group.
Les Afriques : Est-ce que selon vos grilles d’analyses le Maroc est un pays émergent ?
Dupoux Patrick : Effectivement. Le Maroc connaît depuis dix ans une croissance supérieure à la moyenne mondiale. Par ailleurs, le Maroc a aujourd’hui un PIB/habitant à des niveaux proches des pays émergents d’Asie ou d’Amérique latine, et nettement supérieur à la moyenne du continent africain. Enfin, le niveau d’investissement y est soutenu et la modernisation des infrastructures fait effectivement penser à un pays émergent.
LA : Quelles sont les principales différences entre le Maroc et les pays émergents d’Asie ?
DP : La croissance du Maroc est moins rapide que celle des pays les plus dynamiques, tels que l’Inde et bien sûr la Chine. Pour combler cet écart de croissance, il faudrait notamment accélérer le développement d’un tissu industriel compétitif à l’international et l’amélioration du système éducatif.
LA : Où se situe le Maroc dans votre diagnostic sur les lions d’Afrique publié récemment ?
DP : Dans ce rapport, nous avons constaté que c’est le continent africain dans sa globalité qui est en émergence. Depuis dix ans, l’Afrique présente une croissance supérieure à la moyenne mondiale, ce qui n’était pas le cas au cours des deux précédentes décennies. Au sein du continent, un groupe de pays se distingue et joue le rôle de locomotive du continent : nous les avons appelés les lions africains, en référence aux tigres asiatiques, parce que ces pays présentent des profils de richesse et de croissance similaires aux tigres asiatiques et aux BRIC (Brésil-Russie-Inde-Chine). Le Maroc fait partie de ces huit lions africains, avec les autres pays d’Afrique du Nord (Egypte, Lybie, Tunisie, Algérie) et les pays d’Afrique australe (Afrique du Sud, Bostwana, Maurice).
LA : Pourquoi est-ce seulement maintenant que l’Afrique bouge ?
DP : Des années 70 à la fin des années 90, l’Afrique a eu une croissance inférieure à la moyenne mondiale. L’une des raisons était le manque de stabilité politique, celle-ci étant la première condition de l’émergence économique. Depuis le début des années 2000, beaucoup de progrès ont été réalisés, avec davantage d’alternances démocratiques. Autre élément qui explique la croissance forte du continent, c’est une conjoncture favorable, avec notamment la hausse des prix des matières premières. Enfin, le continent a renforcé son intégration économique, et le commerce interafricain s’est développé, même si celui-ci reste très inférieur au potentiel.
LA : Pourtant, de nombreux observateurs déplorent une fracture de plus en plus évidente entre le développement économique du Maghreb et celui de l’Afrique subsaharienne ?
DP : En effet, comme on l’a constaté dans notre rapport, c’est le Maghreb et l’Afrique australe qui avancent le plus vite et qui partent de plus haut. La situation est moins favorable en Afrique subsaharienne. On voit néanmoins plusieurs pays émerger depuis trois à quatre ans, par exemple le Nigeria, le Ghana, l’Angola ou encore la Tanzanie.
« Le Maroc a aujourd’hui un PIB/habitant à des niveaux proches des pays émergents d’Asie ou d’Amérique latine, et nettement supérieur à la moyenne du continent africain. »
LA : Sentez-vous un facteur pétrole décisif entre pays producteurs et non producteurs ?
DP : Il est clair que les pays producteurs de pétrole et de gaz (Angola, Libye, Algérie) ont bénéficié de la hausse des cours. Un pays comme l’Angola, qui sort d’une longue guerre civile a enfin pu bénéficier de sa richesse naturelle et connaît des taux de croissance très élevés depuis cinq ans. Mais il serait erroné de croire que l’Afrique tire sa croissance uniquement des matières premières. Des secteurs comme les télécommunications, la bancassurance et les services en général ont connu des croissances spectaculaires.
LA : Pour en revenir au Maroc, la balance commerciale en déséquilibre structurel ne vient-elle pas fixer les limites du modèle de développement ?
DP : Le Maroc dispose de peu de ressources naturelles, il importe notamment toute son énergie. Le royaume a donc toujours eu une situation de tension sur sa balance commerciale. Cette tension s’est accentuée avec la hausse du prix des matières premières et la croissance de la consommation intérieure. Le renforcement des secteurs exportateurs est donc une priorité. Mais globalement, les pays qui ont connu de fortes croissances sur une longue durée ont joué la carte de l’ouverture économique.
LA : Quelle comparaison feriez-vous des économies du Maroc et de la Tunisie ?
DP : Ce sont deux pays qui se ressemblent beaucoup, en termes de situation géographique, de ressources naturelles et de niveau de développement. Les deux pays poursuivent une politique de développement qui semble porter ses fruits.
LA : Que pensez-vous de l’attitude de certains hommes politiques européens vis-à-vis de la délocalisation ?
DP : Il y a des effets d’annonce, certes. Il me semble que dans la réalité, les implantations au Maroc seront surtout le fruit de créations nouvelles, plutôt que de simples délocalisations.
LA : L’importance de la classe moyenne au Maroc correspond-t-elle au schéma d’un pays émergent ?
DP : Nous sommes dans le cas d’un pays en transition. C’est une période clé où l’émergence ne bénéficie pas encore à tout le monde. Ce sera un long processus. Tous les pays qui ont opéré des mutations fortes d’une société à dominante rurale vers une société moderne ont vécu des disparités dans un premier temps, même si à terme, l’émergence devrait être bénéfique au plus grand nombre.
A.W. Les Afriques
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