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Sidi Moumen fait peau neuve

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  • Sidi Moumen fait peau neuve

    Le quartier est devenu la vitrine de la nouvelle politique urbaine. © Oussama Rhaleb pour J.A.
    L’une des communes les plus misérables du royaume avait vu naître et grandir les auteurs des attentats de Casablanca de mai 2003. Sept ans plus tard, les vastes programmes de réhabilitation et de lutte contre l’exclusion commencent à porter leurs fruits. Reportage dans le Maroc "d'en bas".
    En mars 2011, le réalisateur Nabil Ayouch posera ses caméras dans le quartier pour tourner Les Étoiles de Sidi Moumen, adaptées du livre de Mahi Binebine. « Depuis que j’ai commencé les repérages, explique le réalisateur, tous les habitants me poussent à tourner au plus vite. Ils ne cessent de répéter que le Sidi Moumen de 2003 aura bientôt disparu, et qu’il faut filmer rapidement si je veux saisir les dernières traces de cette époque. »
    Depuis 2003, la commune de Sidi Moumen, dans la banlieue de Casablanca, est un triste symbole pour tous les Marocains. C’est là que sont nés et qu’ont grandi les onze auteurs des attentats du 16 mai 2003, dans le centre de la capitale économique. C’est ici aussi, dans un cybercafé, en 2007, qu’un jeune homme est mort après avoir actionné la bombe qu’il portait sur lui. Avec Sidi Moumen, le Maroc découvre la misère de ses banlieues, le désarroi de sa jeunesse, plombée par le chômage et prête à sombrer dans la délinquance ou l’extrémisme. « Plus jamais ça ! devient alors le leitmotiv des autorités, qui lancent de vastes programmes de réhabilitation – les Villes sans bidonvilles – et de lutte contre l’exclusion sociale – l’Initiative nationale de développement humain (INDH).
    Sept ans après les attentats, force est de constater que Sidi Moumen s’est métamorphosé. La commune, qui s’étend sur 47 km2 pour une population de 350 000 habitants, est revenue dans le giron de l’État. Dans le centre-ville, des rails et des abribus sont sortis de terre. C’est d’ici que sera lancé, en 2012, le grand tramway de Casablanca, destiné à désenclaver les quartiers périphériques. Le long d’une avenue triste et poussiéreuse, des logements sociaux flambant neufs, blanchis à la chaux, accueillent déjà les habitants des bidonvilles rasés. Preuve que la commune est devenue la vitrine de la nouvelle politique urbaine des autorités. La construction d’un stade ultramoderne de 70 000 places, à quelques encablures du bidonville de Toma, avait été annoncée par le roi en 2007. Le stade ne verra finalement pas le jour, mais le plan de remise à niveau de 180 000 euros, également annoncé en 2007, commence à porter ses fruits.
    Formations gratuites
    Si la commune de Sidi Moumen est tristement célèbre, elle n’en a pas moins réussi à attirer des dizaines d’associations et d’hommes de bonne volonté. Le nombre d’ONG a été multiplié par vingt depuis 2003 et le taux de scolarisation a augmenté de 40% en dix ans. Le Centre des initiatives associatives de Sidi Moumen propose, depuis 2007, des formations en tout genre (plomberie, électricité, kinésithérapie…). L’École des métiers du cinéma de Casablanca s’est également installée dans le quartier et propose des formations gratuites aux métiers techniques comme le montage, le maquillage ou le son. Très présente, l’INDH a apporté une aide précieuse pour le relogement des habitants des bidonvilles, mais aussi pour la scolarisation ou les programmes de prévention. « Pendant trop longtemps, la jeunesse de Sidi Moumen et de tous les quartiers difficiles n’avait pas d’espoir de s’en sortir. C’est pour cela que les attentats ont été possibles : ces jeunes avaient le sentiment de n’avoir rien à perdre », explique Boubker Mazoz, retraité et président du Centre culturel du quartier.
    Depuis 2003, Boubker Mazoz sillonne les bidonvilles de la plus grande ville du royaume. « Je me tiens aux côtés de ceux qui sont laissés de côté, oubliés, marginalisés », affirme cet ancien spécialiste des affaires publiques auprès du département d’État américain. En 2006, avec l’aide d’un fonds privé et du maire de la ville, il crée le Centre culturel de Sidi Moumen, au cœur de la ville, dans un petit bâtiment entouré d’herbe et protégé par un grillage. À l’entrée, un kiosque tout neuf, offert par Sapress (Société arabe et africaine de l’édition et de la diffusion de la presse), propose des journaux aux gens du quartier. Ici, il y a encore quelques années, se trouvait un terrain vague jonché d’immondices. À l’intérieur, une salle de spectacle qui fait aussi office de bibliothèque accueille les jeunes du quartier. Les rayons sont copieusement garnis de livres. Certains enfants sont devant un ordinateur, tandis que d’autres profitent des joies de la scène et répètent leur spectacle de chorale. « Jamais je n’aurais imaginé que je ferais un jour du théâtre. Maintenant, c’est une passion, et j’ai même écrit des textes sur ma vie dans le quartier », raconte Selma, 14 ans. À l’étage, les salles de classe rappellent les séries américaines pour adolescents. Guitares, ballons de basket et de foot, synthétiseur dernier cri : les jeunes de Sidi Moumen sont-ils des enfants gâtés ? « Ce n’est pas parce que je m’installe dans un quartier pauvre que je dois me contenter de vieux meubles récupérés, s’emporte Mazoz. Si on veut rendre leur dignité à ces jeunes, il faut leur montrer qu’ils sont comme tout le monde, et qu’eux aussi ont le droit au meilleur. »
    Boubker Mazoz, directeur du Centre culturel de Sidi Moumen, en juillet 2010.
    (Oussama Rhaleb pour J.A.)
    Le centre accueille les enfants en dehors des heures de classe et leur propose des activités artistiques ou des cours de soutien dans une ambiance décontractée. « Il est important de leur montrer qu’apprendre n’est pas une corvée. Ces jeunes ont une très mauvaise image de l’école, qui dispose souvent de peu de moyens. Les professeurs font souvent preuve d’une grande sévérité, voire de brutalité à l’égard de leurs élèves », déplore Mazoz. Dans les salles de classe, de jeunes animateurs bénévoles, issus pour la plupart du quartier, encouragent les élèves. « Je ne vais pas aller chercher des bénévoles qui vivent à des dizaines de kilomètres, se justifie Mazoz. Ils parlent le même langage et connaissent les problèmes des plus jeunes. » Et, surtout, ils servent de modèles. C’est le cas de Soukaina, une jeune fille dynamique de 24 ans, étudiante boursière dans la prestigieuse université Al Akhawayn, à Ifrane, et présidente d’une association de quartier.
    Recul de l’extrémisme
    Le succès du centre est tel qu’il a attiré l’attention de la ville jumelée à Casablanca, Chicago, là où a officié l’animateur social le plus célèbre du monde, le président américain Barack Obama. Un groupe d’élèves du centre a d’ailleurs été invité dans la capitale du Middle West. Une grande découverte pour ces jeunes, dont certains n’avaient même jamais mis les pieds dans le centre-ville de Casablanca. « Ils étaient très impressionnés d’aller aux États-Unis. Beaucoup d’entre eux sont traumatisés par l’image de terroristes qui leur colle à la peau, et craignaient d’être pris à partie par les Américains », explique Mazoz.
    « Dans leur pays, les habitants des bidonvilles souffrent depuis longtemps d’une mauvaise réputation. Quand on parle aux jeunes, leur principal problème est souvent la discrimination », ajoute Lamia Zaki, chercheuse à l’Institut de recherche sur le Maghreb contemporain. Hassan, 22 ans, en fait quotidiennement l’amère expérience. Tous les jours, il se rend dans le centre-ville pour chercher un travail qu’il n’a aucun espoir de trouver près de chez lui. « Quand il y a écrit Sidi Moumen sur votre carte nationale, l’employeur est tout de suite soupçonneux », regrette-t-il. Des quartiers d’Anfa aux bidonvilles de Sidi Moumen, les frontières sont invisibles et paraissent pourtant infranchissables. « Heureusement, il y a des exemples qui donnent de l’espoir aux jeunes. Il y a toujours eu des artistes ou des sportifs issus de ces milieux populaires et qui ont su prouver que venir d’un bidonville pouvait aussi être un moteur pour réussir », se rassure Lamia Zaki.
    Qu’en est-il de l’extrémisme religieux, qui avait trouvé refuge – et des oreilles attentives – dans ces quartiers délaissés par l’État ? De l’avis de nombreux militants associatifs, il a beaucoup reculé. Les prédicateurs radicaux ont été arrêtés, des dizaines de mosquées « sauvages » fermées et les cellules de terroristes démantelées. « La poche d’extrémisme s’est considérablement réduite, mais aujourd’hui, le principal problème c’est la délinquance, et surtout la drogue », s’inquiète Mazoz. Entre 1999 et 2003, quand les prêcheurs extrémistes avaient établi leur mainmise sur le quartier, la drogue et l’alcool ne circulaient pas. Depuis, on croise régulièrement des jeunes sous l’emprise de la drogue. Pour quelques dirhams, ils vendent haschich et autres substances hallucinogènes, de fabrication artisanale, aux habitants du quartier. Si les efforts de l’État sont réels, tous les problèmes de Sidi Moumen ne sont pas pour autant résolus. À quelques encablures du Centre culturel, Boubker Mazoz va régulièrement visiter El Hafra (le trou), un bidonville où les habitants vivent dans des conditions indignes. Il essaie de « rescolariser » les enfants que leurs parents envoient travailler dans des usines ou comme employés de maison. À l’instar de tous les responsables associatifs présents dans la commune, il sait que le chômage et l’oisiveté sont aujourd’hui leurs pires ennemis. Et que seuls l’éducation, l’emploi et la croissance chasseront de Sidi Moumen les fantômes du terrorisme.


    JeuneAfrique
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