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Une lettre d'Oum Dormane datée de 1962

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  • Une lettre d'Oum Dormane datée de 1962

    On peut raconter cette histoire de cette manière: il s'appelle Larbi, mais plus depuis cette histoire. Il est parti voir le match Algérie - Ex-Egypte au Soudan et n'est jamais revenu, selon une série de lettres. Une fabuleuse histoire que celle de cet Algérien parti au Soudan et qui n'est jamais revenu car, dans cette ville qui se trouve au bout du monde, Larbi, selon le synopsis, aurait découvert ce qu'est le 05 juillet 1962 tout en étant né des décennies après. Voici ce qu'il dit dans une lettre qui est arrivée juste avant le match de la JSK-Ahly.

    «Chère Mère. Je me porte bien et je vis. Je sais que tu t'inquiètes pour moi mais crois-moi, c'est le seul endroit au monde où je sens que j'ai un pays sous le bras et personne sur la tête. Je ne reviendrai peut-être jamais. Je sais que le match est fini depuis aujourd'hui presque une année et que tous sont revenus, sauf moi. J'ai appris que l'ambassade a communiqué mon nom à toutes les polices du Soudan croyant que j'ai été mangé ou que je m'étais perdu. Non ! Je suis comme peut-être un pèlerin qui ne veut plus revenir de La Mecque. Je marche tout le temps, mais je reste tout le temps près de Oum Dourmane et dans ses rues. Les habitants m'appellent El-Jazaïri. Je crois que c'est le nom d'un Savant de Dieu, pas le mien, mais bon ! Je m'en accommode. Je m'accommode aussi à la chaleur, au vide, aux plats et à l'errance. Souvent je vais tourner autour du stade. Je l'ai fait tellement de fois qu'on a fini par me recruter et on me paye quand je nettoie les gradins et la pelouse. Il ne reste rien des milliers de gens qui sont venus ce 18 novembre. Ou peut-être si: quelque chose que j'entends.

    Une sorte de rugissement de foule qui est venue à pied à partir d'Alger. Bien sûr que c'était fabuleux: j'ai encore dans les os les vrombissements des avions et les vibrations des atterrissages. C'est mon album de famille que ces moments: des milliers de visages et de drapeaux, des gens qui courent, des Egyptiens qui fuient ou se terrent, des chansons, des voitures louées et des Soudanais qui rient avec leur belles dents. Ah que cette fraternité me manque, nous en étions tous jumeaux et par milliers au point d'étonner le reste du monde qui ne comprenait pas ce que l'on fêtait alors que l'on fêtait notre retour à la vie comme des enfants qui courent derrière un ballon. Tu sais ma Mère, c'était le plus beau moment de ma vie: il me semblait que je vivais en même temps la fête de l'indépendance, mon anniversaire, le tien et un siècle entier férié avec tous frais payés. Comme lorsque j'ai atterri dans ton ventre, je ne savais même pas comment j'ai atterri à Oum Dourmane. C'est à peine si j'avais eu le temps de prendre des espadrilles, un sac, mon passeport et la rue de l'agence d'Air Algérie. Tout s'est passé très vite ce jour-là. Je passe donc des heures dans le stade et mes employeurs croient que j'aime le travail et les heures supplémentaires alors que moi j'aime ma mémoire et le souvenir. Tu l'as donc compris: je ne reviendrai pas. Ou peut-être seulement dans quelques années. Ou seulement lorsque le pays ressemblera à ce stade, ce jour-là, et pendant longtemps. Je ne veux pas revenir car je ne veux pas reprendre la même vie que le pays m'avait donnée avant: des rues, des rues et encore des rues. Sans rien au bout. Ici, au moins je pouvais voler dans les airs en quelque sorte. La nuit, je fais aussi parfois, rarement, ce cauchemar durant lequel je tombe du 4e étage de notre immeuble en moulinant des bras. Mais rarement. Je ne veux plus revenir, Mère. Ici j'ai un pays. Pas le Soudan qui me regarde avec curiosité comme un jaguar en coton pensif, mais un vrai pays: le mien. Celui d'autrefois selon ce que disent les anciens. Tous sont revenus mais j'ai réussi à me cacher et à attendre quand les avions ont repris le ciel. Quand je suis dans le stade, c'est un grand bruit qui me remplit les oreilles et je cours parfois d'une cage de but à l'autre, je fais le tour du stade comme l'a fait tout un peuple, je crie, je saute et je monte sur les gradins et j'enlève mon tee-shirt et j'agite même le drapeau (quand je suis sûr d'être seul !). Tout seul. Comme tout un peuple quand il était ici. Je suis à la fois le peuple, Saâdane, Antar Yahia, Chaouchi, des milliers d'Algériens, le ballon, etc. Et tu veux que je revienne ? Où ? Là-bas je ne serais que moi-même ! Et encore ! Pour toi, je serai toujours ton Larbi qui avait de bonnes notes jusqu'au jour où il comprit qu'il vaut mieux s'enrichir que lire, mais pour moi, je suis déjà quelqu'un d'autre. Un nouveau-né dont je ne soupçonne pas encore le vrai prénom restitué. Ne m'en veux pas, M'ma. Si je reste ici, ce n'est pas que je veux changer de pays. Je veux seulement ne pas le perdre, le garder dans ma main, le serrer très fort, le mettre dans une petite boîte et l'accrocher à mon cou. Les Egyptiens ? Ce n'était qu'un prétexte. Ici j'en croise quelques-uns mais je les regarde à peine: ils jouent tous dans le même film que je ne regarde plus. La fin de l'histoire avec eux et définitive. Ce sont des étrangers dans mon film à moi. Ils ne pardonnent peut-être à la vie que leur salle de spectateurs se vide. Je m'en occupe pas et plus. Mon histoire ne les concerne pas. Et je sais que tous ceux qui sont revenus après Oum Dourmane ont presque mal fini, sauf moi. Regarde Saâdane, M'ma: il n'est plus le même, ni notre équipe ni Chaouchi. Il ne fallait pas revenir très vite. Il fallait rester ici et ramener toute l'Algérie à la même date. Je me perds, M'ma. Embrasse tout le monde.»

    Le Quotidien d'Oran
    " Celui qui passe devant une glace sans se reconnaitre, est capable de se calomnier sans s'en apercevoir "

  • #2
    Ah quand la nostalgie nous tient!!!...Et pourtant tout le monde savait que l'effet de l'opium est éphémère.

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    • #3
      "Et pourtant tout le monde savait que l'effet de l'opium est éphémère. "

      Quand on devient accro, il devient trés difficile de décrocher !!!
      " Celui qui passe devant une glace sans se reconnaitre, est capable de se calomnier sans s'en apercevoir "

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      • #4
        Il lui reste d'aller séjourner dans une clinique de désintoxication!!!

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        • #5
          "Il lui reste d'aller séjourner dans une clinique de désintoxication!!! "

          Il y est , puisqu'il est à Oum Dormane !!
          " Celui qui passe devant une glace sans se reconnaitre, est capable de se calomnier sans s'en apercevoir "

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          • #6
            Qu'il y reste jusqu'à ce que son rêve s'exauce ou qu'il sombre dans ses rêveries loin du pays.

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            • #7
              Voilà, entre autre, ce qu'il dit

              "Mais rarement. Je ne veux plus revenir, Mère. Ici j'ai un pays. Pas le Soudan qui me regarde avec curiosité comme un jaguar en coton pensif, mais un vrai pays: le mien.
              " Celui qui passe devant une glace sans se reconnaitre, est capable de se calomnier sans s'en apercevoir "

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              • #8
                ...C'est un très bon architecte...Il aurait pu faire partie de l'équipe d'Inception...

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                • #9
                  Les Egyptiens ? Ce n'était qu'un prétexte. Ici j'en croise quelques-uns mais je les regarde à peine: ils jouent tous dans le même film que je ne regarde plus. La fin de l'histoire avec eux et définitive. Ce sont des étrangers dans mon film à moi. Ils ne pardonnent peut-être à la vie que leur salle de spectateurs se vide. Je m'en occupe pas et plus.
                  C'est tellement bien dit qu'on dirait un refrain d'un "nachid watani" chanté en choeur par tout le peuple algérien.
                  Eh oui, kamel Daoud a raison, Oum domrane constitue pour ceux comme moi, l'étape de la délivrance de l'algérie de la médiocrité et de la haine égyptienne.
                  C'était vraiment un "independance day". Antar Yahia devrait bénéficier d'une carte d'ancien Moudjahid.
                  Pour le reste, j'éspère toujours que Saadane et les pourris qui nous gouvernent fassent encore un geste héroique, celui de démissionner.

                  Je sais , c'est pas pour demain.

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