Comparaison et raison : Notre phosphate et leur pétrole
«Lorsque l'IDH des régions du Sud rattrape la moyenne de l'ensemble du pays».
Publié le : 31.08.2010 | 16h31
«La vente des phosphates ne contribue pas au bien-être de la population locale» : argument fallacieux s'il en est quand on a suivi l'évolution de cette région laissée « terras nullus » au point de vue économique par l'ancien colonisateur comme en témoigne de nombreux articles et ouvrages et comme en a témoigné récemment Emmanuel Dierckx de Casterlé, ancien représentant au Maroc du Programme des Nations unies pour le développement ( PNUD) dans son rapport présenté en juillet dernier à Genève devant la Commission des droits de l'homme et intitulé «Enjeux de la régionalisation : le développement territorial dans les provinces du sud». M. De Casterlé, de nationalité Belge, est maître en économie, polyglotte, spécialiste du développement humain avec quelque «40 années au service de l'Afrique » dans le cadre des Nations unies, au Tchad, au Burundi, à l'Ile Maurice, au Mozambique, dont il est citoyen d'honneur, et au Maroc, qu'il a connu dans les années 80 et plus tard en 2006. Il parle le français, le flamand l'anglais et le portugais. Que dit-il dans ce rapport ? « En 1975, au moment de leur réintégration au Maroc, les provinces du Sud avaient un IDH comparable à celui des pays les moins avancés.
A cette époque, l'IDH de ces régions était inférieur de 6% à celui du Maroc et de 51% à celui de l'Espagne, il n'y avait pas d'hôpital, pas d'institut ou d'université, des logements qui confinaient aux bidonvilles, l'Espagne ayant laissé derrière elle « un vide sidéral ». Une décennie plus tard, conclut M. de Casterlé, l'IDH des régions du Sud rattrapait la moyenne de l'ensemble du pays. Le Maroc a investi massivement dans les infrastructures : ports, routes, aéroports hôpitaux, écoles. La couverture d'électricité, l'offre sanitaire, l'offre d'éducation est plus élevée dans le Sud que dans de nombreuses autres régions.
Et de tirer une leçon qui nous intéresse tous, c'est que la pauvreté n'est pas une fatalité et que grâce à une politique volontariste déterminée, on peut créer une dynamique économique qui peut franchir le seuil de l'irréversibilité en tenant compte de l'éducation, la santé, les problématiques d'environnement, la lutte contre la pauvreté, la répartition des richesses et les droits humains. Il y a donc toute une dynamique qui est créée et qui est le résultat de l'effort de l'Etat qui a été massif, volontaire et bien inspiré car les résultats en termes de croissance économique sont bien là. Aujourd'hui, dit-il encore, la dynamique de développement des provinces du Sud pose cependant la question de la montée des pouvoirs locaux, de l'efficacité de l'action publique, de la reconnaissance des cultures locales et de l'identité des «sahraouis » et de l'irréversibilité du modèle économique devant l'afflux démographique, pécheurs d'Essaouira, de Safi, de Tindouf. Le projet de régionalisation serait une réponse à ces attentes partagées du reste par d'autres régions.
Qu'ont- il fait de l'argent du pétrole ?
En décortiquant l'argumentaire de l'ONG norvégienne, selon lequel les richesses n'iraient pas aux populations locales, comment ne pas faire la comparaison avec l'exploitation d'une autre ressource, celle du pétrole cette fois en Algérie, cet or noir qui nourrit depuis des décennies une véritable culture de la rente et qui a fait l'objet d'un terrible réquisitoire dans un ouvrage collectif «Notre ami Bouteflika», sous-titré de l'Etat rêvé à l'Etat scélérat, véritable brûlot collectif dirigé par un confrère, Mohamed Benchicou, qui avait subi les foudres du président algérien et plusieurs années de prison lors de la parution de son précédent ouvrage « Une imposture nommé Bouteflika». Plusieurs chapitres sont réservés à cet or noir dont le chapitre 4 «Qu'ont-ils fait de l'argent du pétrole ?» où Hassan Zerrouky, journaliste à l'Humanité, se demande comment ce pays qui possède un potentiel humain magnifique, un territoire gigantesque, une histoire millénaire et de fantastiques ressources naturelles peut, après 50 années de son indépendance, compter près de la moitié de la population au-dessous du seuil de pauvreté et parallèlement une caste de nouveaux riches issus des cercles du pouvoir ? Un autre chapitre: «Sonatrach, secret d'Etat », du président de l'association de lutte contre la corruption, Djilali Hadjadj, retient l'attention notamment après l'enquête et la mise en examen d'une cinquantaine de hauts cadres accusés de malversations corruption, associations de malfaiteurs et après la commission rogatoire envoyée auprès des banques suisses, anglaises et américaines pour le recensement des biens des inculpés.
L'auteur fait état des débuts de collaboration entre Sonatrach et l'ONG de lutte contre la corruption Transparency International après la tenue de la 3e conférence plénière de l'EITI, l'initiative internationale pour la transparence dans les industries extractives qui s'était tenue à Oslo en Norvège en octobre 2006. Cette conférence avait réunit les représentants de plusieurs dizaines de gouvernements, de grandes compagnies pétrolières et minières, de nombreuses ONG et institutions internationales. L'EITI, souligne l'auteur de ce chapitre, rassemble une coalition internationale de gouvernements, d'entreprises, ONG et investisseurs, en vue d'encourager une plus grande transparence dans les paiements et les revenus tirés des ressources naturelles. Les revenus découlant du pétrole, du gaz, des minéraux peuvent transformer les économies, réduire la pauvreté et augmenter le niveau de vie de populations entières dans les pays riches en ressources.
Sonatrach était présente aux premières réunions qui ont précédé la rencontre d'Oslo, endossant un statut d'observateur. Puis aucune participation depuis 2006, au moment où l'on exigeait des engagements fermes, écrit dans son enquête « Sonatrach, secret d'Etat » Djilali Hadjadj, militant actif dans l'association de lutte contre la corruption. Lorsqu'un pays met en œuvre l'EITI, son gouvernement prend l'engagement de renforcer la transparence de ses revenus provenant des ressources naturelles et ses citoyens demandent des comptes au gouvernement quant à sa manière d'utiliser ces revenus. L'Algérie avait été officiellement invitée par le gouvernement norvégien, pays hôte de cette troisième conférence plénière et qui avait accepté l'invitation mais qui, à la dernière minute, a choisi de s'absenter sans même avoir la bienséance, ajoute l'auteur de ce texte, de s'en excuser auprès des organisateurs. Ni le ministre de l'Energie et des mines Chakib Khalil, ni le ministre des Finances, ni le PDG de la Sonatrach, ne se sont expliqués de cette volte-face de dernière minute. C'était visiblement le moment choisi par le gouvernement algérien de tourner le dos définitivement à l'EITI, et pour cause, la Sonatrach, tirelire du pays, principale source de revenus en devises, la plus grande entreprise algérienne, 120 000 salariés, 12e compagnie au monde, est pour les Algériens le bijou de famille.
Comment la famille Bouteflika a-t-elle pu s'emparer de Sonatrach ? Qui vend le pétrole, où va l'argent, qui profite des contrats ? Tous les contrats échappent à l'avis du gouvernement et au contrôle de la Banque centrale qui fait preuve d'une impuissante mais non moins complice passivité…»
Dans cet ouvrage, «Notre ami Bouteflika», la charge est terrible mais au moment où les émeutes sociales se multiplient, que le phénomène des Harragas meurtrit le cœur de centaines de familles algérienne, il serait peut-être temps de se poser la question comme l'a fait l'ONG norvégienne à propos du phosphate au Maroc : l'or noir en Algérie, profite-t-il réellement à la population et à son bien-être ? L'ouvrage est une réponse, terrible aveu de l'échec d'une grande révolution et d'un grand peuple malmené par un pouvoir qui a «décapité l'embryon d'ouverture démocratique, réduit la société au silence», dixit l'auteur Mohamed Benchicou.
Par Farida Moha | LE MATIN
«Lorsque l'IDH des régions du Sud rattrape la moyenne de l'ensemble du pays».
Publié le : 31.08.2010 | 16h31
«La vente des phosphates ne contribue pas au bien-être de la population locale» : argument fallacieux s'il en est quand on a suivi l'évolution de cette région laissée « terras nullus » au point de vue économique par l'ancien colonisateur comme en témoigne de nombreux articles et ouvrages et comme en a témoigné récemment Emmanuel Dierckx de Casterlé, ancien représentant au Maroc du Programme des Nations unies pour le développement ( PNUD) dans son rapport présenté en juillet dernier à Genève devant la Commission des droits de l'homme et intitulé «Enjeux de la régionalisation : le développement territorial dans les provinces du sud». M. De Casterlé, de nationalité Belge, est maître en économie, polyglotte, spécialiste du développement humain avec quelque «40 années au service de l'Afrique » dans le cadre des Nations unies, au Tchad, au Burundi, à l'Ile Maurice, au Mozambique, dont il est citoyen d'honneur, et au Maroc, qu'il a connu dans les années 80 et plus tard en 2006. Il parle le français, le flamand l'anglais et le portugais. Que dit-il dans ce rapport ? « En 1975, au moment de leur réintégration au Maroc, les provinces du Sud avaient un IDH comparable à celui des pays les moins avancés.
A cette époque, l'IDH de ces régions était inférieur de 6% à celui du Maroc et de 51% à celui de l'Espagne, il n'y avait pas d'hôpital, pas d'institut ou d'université, des logements qui confinaient aux bidonvilles, l'Espagne ayant laissé derrière elle « un vide sidéral ». Une décennie plus tard, conclut M. de Casterlé, l'IDH des régions du Sud rattrapait la moyenne de l'ensemble du pays. Le Maroc a investi massivement dans les infrastructures : ports, routes, aéroports hôpitaux, écoles. La couverture d'électricité, l'offre sanitaire, l'offre d'éducation est plus élevée dans le Sud que dans de nombreuses autres régions.
Et de tirer une leçon qui nous intéresse tous, c'est que la pauvreté n'est pas une fatalité et que grâce à une politique volontariste déterminée, on peut créer une dynamique économique qui peut franchir le seuil de l'irréversibilité en tenant compte de l'éducation, la santé, les problématiques d'environnement, la lutte contre la pauvreté, la répartition des richesses et les droits humains. Il y a donc toute une dynamique qui est créée et qui est le résultat de l'effort de l'Etat qui a été massif, volontaire et bien inspiré car les résultats en termes de croissance économique sont bien là. Aujourd'hui, dit-il encore, la dynamique de développement des provinces du Sud pose cependant la question de la montée des pouvoirs locaux, de l'efficacité de l'action publique, de la reconnaissance des cultures locales et de l'identité des «sahraouis » et de l'irréversibilité du modèle économique devant l'afflux démographique, pécheurs d'Essaouira, de Safi, de Tindouf. Le projet de régionalisation serait une réponse à ces attentes partagées du reste par d'autres régions.
Qu'ont- il fait de l'argent du pétrole ?
En décortiquant l'argumentaire de l'ONG norvégienne, selon lequel les richesses n'iraient pas aux populations locales, comment ne pas faire la comparaison avec l'exploitation d'une autre ressource, celle du pétrole cette fois en Algérie, cet or noir qui nourrit depuis des décennies une véritable culture de la rente et qui a fait l'objet d'un terrible réquisitoire dans un ouvrage collectif «Notre ami Bouteflika», sous-titré de l'Etat rêvé à l'Etat scélérat, véritable brûlot collectif dirigé par un confrère, Mohamed Benchicou, qui avait subi les foudres du président algérien et plusieurs années de prison lors de la parution de son précédent ouvrage « Une imposture nommé Bouteflika». Plusieurs chapitres sont réservés à cet or noir dont le chapitre 4 «Qu'ont-ils fait de l'argent du pétrole ?» où Hassan Zerrouky, journaliste à l'Humanité, se demande comment ce pays qui possède un potentiel humain magnifique, un territoire gigantesque, une histoire millénaire et de fantastiques ressources naturelles peut, après 50 années de son indépendance, compter près de la moitié de la population au-dessous du seuil de pauvreté et parallèlement une caste de nouveaux riches issus des cercles du pouvoir ? Un autre chapitre: «Sonatrach, secret d'Etat », du président de l'association de lutte contre la corruption, Djilali Hadjadj, retient l'attention notamment après l'enquête et la mise en examen d'une cinquantaine de hauts cadres accusés de malversations corruption, associations de malfaiteurs et après la commission rogatoire envoyée auprès des banques suisses, anglaises et américaines pour le recensement des biens des inculpés.
L'auteur fait état des débuts de collaboration entre Sonatrach et l'ONG de lutte contre la corruption Transparency International après la tenue de la 3e conférence plénière de l'EITI, l'initiative internationale pour la transparence dans les industries extractives qui s'était tenue à Oslo en Norvège en octobre 2006. Cette conférence avait réunit les représentants de plusieurs dizaines de gouvernements, de grandes compagnies pétrolières et minières, de nombreuses ONG et institutions internationales. L'EITI, souligne l'auteur de ce chapitre, rassemble une coalition internationale de gouvernements, d'entreprises, ONG et investisseurs, en vue d'encourager une plus grande transparence dans les paiements et les revenus tirés des ressources naturelles. Les revenus découlant du pétrole, du gaz, des minéraux peuvent transformer les économies, réduire la pauvreté et augmenter le niveau de vie de populations entières dans les pays riches en ressources.
Sonatrach était présente aux premières réunions qui ont précédé la rencontre d'Oslo, endossant un statut d'observateur. Puis aucune participation depuis 2006, au moment où l'on exigeait des engagements fermes, écrit dans son enquête « Sonatrach, secret d'Etat » Djilali Hadjadj, militant actif dans l'association de lutte contre la corruption. Lorsqu'un pays met en œuvre l'EITI, son gouvernement prend l'engagement de renforcer la transparence de ses revenus provenant des ressources naturelles et ses citoyens demandent des comptes au gouvernement quant à sa manière d'utiliser ces revenus. L'Algérie avait été officiellement invitée par le gouvernement norvégien, pays hôte de cette troisième conférence plénière et qui avait accepté l'invitation mais qui, à la dernière minute, a choisi de s'absenter sans même avoir la bienséance, ajoute l'auteur de ce texte, de s'en excuser auprès des organisateurs. Ni le ministre de l'Energie et des mines Chakib Khalil, ni le ministre des Finances, ni le PDG de la Sonatrach, ne se sont expliqués de cette volte-face de dernière minute. C'était visiblement le moment choisi par le gouvernement algérien de tourner le dos définitivement à l'EITI, et pour cause, la Sonatrach, tirelire du pays, principale source de revenus en devises, la plus grande entreprise algérienne, 120 000 salariés, 12e compagnie au monde, est pour les Algériens le bijou de famille.
Comment la famille Bouteflika a-t-elle pu s'emparer de Sonatrach ? Qui vend le pétrole, où va l'argent, qui profite des contrats ? Tous les contrats échappent à l'avis du gouvernement et au contrôle de la Banque centrale qui fait preuve d'une impuissante mais non moins complice passivité…»
Dans cet ouvrage, «Notre ami Bouteflika», la charge est terrible mais au moment où les émeutes sociales se multiplient, que le phénomène des Harragas meurtrit le cœur de centaines de familles algérienne, il serait peut-être temps de se poser la question comme l'a fait l'ONG norvégienne à propos du phosphate au Maroc : l'or noir en Algérie, profite-t-il réellement à la population et à son bien-être ? L'ouvrage est une réponse, terrible aveu de l'échec d'une grande révolution et d'un grand peuple malmené par un pouvoir qui a «décapité l'embryon d'ouverture démocratique, réduit la société au silence», dixit l'auteur Mohamed Benchicou.
Par Farida Moha | LE MATIN
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