Officiellement, rien n'est décidé. Mais c'est désormais une question d'autorité présidentielle: le chef de l'Etat n'a guère d'autre choix que de se séparer de son Premier ministre. Aux tensions personnelles s'ajoutent - de plus en plus ouvertement - des divergences politiques.
"Mais pourquoi y a-t-il plein de gens qui veulent prendre leurs distances avec moi?" Nicolas Sarkozy ne comprend pas. A l'inter-locuteur avec lequel il échange, en ces derniers jours d'août, sur la situation politique au terme de ce fol été, il le dit sans détour. D'autant qu'il est persuadé d'avoir totalement réussi sa séquence sécuritaire et marqué des points dans la perspective de 2012.
Le président ne comprend pas. Ou plutôt, il comprend trop bien. La droite se braque, les ministres craquent, les ex taclent. Il ne décolère pas contre Bernard Kouchner et Hervé Morin. Se montre volontiers sévère à l'égard de deux anciens chefs de gouvernement, Alain Juppé et Jean-Pierre Raffarin, auxquels il reproche un manque de loyauté.
Et l'actuel Premier ministre n'est jamais le dernier à être criblé de flèches présidentielles. Pas courageux, n'endossant rien, toujours aux abonnés absents: n'en jetez plus. En ce retour de vacances, tout l'énerve chez François Fillon. Même certains de ses arbitrages pour le budget de 2011, sur le logement étudiant ou l'allocation handicapés, qu'il retoque en maudissant l'absence de savoir-faire de son chef de gouvernement.
Rares périodes d'harmonie
François Fillon, ou comment s'en débarrasser. C'est l'une des questions de la rentrée. L'une de ces ruptures chères au candidat Sarkozy quand s'annonce une campagne électorale. Le 24 août, un communiqué jette un froid. Il est intitulé "Réunion de ministres sur les Roms" et permet à François Fillon de marquer sa différence : "La lutte contre l'immigration irrégulière ne doit pas être instrumentalisée de part et d'autre." Les participants tombent des nues en découvrant le texte: à aucun moment, pendant ladite réunion, un peu plus tôt à Matignon, le Premier ministre n'a dit ce que le compte rendu exprime clairement. Jouerait-il un jeu personnel par rapport à l'opinion? Nicolas Sarkozy n'a aucun doute.
Dès le lendemain, lors de leur tête-à-tête du mercredi, il explose. Explication de gravure, explication de texte: "Tu pensais à qui ?" Le chef du gouvernement balance un nom: "Estrosi." Le président ne s'en laisse pas conter: "Mais il n'a pas parlé des Roms !" - le ministre de l'Industrie avait évoqué des sanctions contre les maires défaillants en matière sécuritaire. D'un communiqué l'autre. Le 31 août, François Fillon rend hommage à Laurent Fignon sans attendre le message du chef de l'Etat, qui arrivera une dizaine de minutes plus tard. C'est à cela que l'on reconnaît la fin des couples: chacun ne fait plus attention à l'autre.
Depuis l'entrée en scène du duo, les périodes harmonieuses auront été rares. La communication passe parfois si mal que Nicolas Sarkozy ne veut plus parler à son Premier ministre. Le samedi 30 janvier, le président appelle l'un de ses fidèles et lui demande de téléphoner à François Fillon. Lui n'a pas envie de le faire. Le chef du gouvernement a donné une interview au Figaro, pour souligner "les efforts budgétaires sans précédent" que le pouvoir s'apprête à accomplir. De la rigueur avant toute chose, mais pas un mot sur le procès Clearstream, dans lequel le jugement vient d'être rendu - l'entretien figure, il est vrai, dans le cahier économie du quotidien. Quatre jours plus tard, le Premier ministre, sur Europe 1, veillera à afficher sa loyauté.
Au printemps, c'est la réforme des retraites qui met en lumière leur mésentente. Le samedi 22 mai, plusieurs médias révèlent que les choix du gouvernement se précisent (l'âge légal va passer à 62 ou 63 ans). L'Elysée fulmine et assure qu'aucune décision n'a été prise. L'auteur des fuites est vite identifié: il s'agit de François Fillon. La veille, il a reçu discrètement quelques journalistes. "Il ne m'a jamais parlé de 63 ans !" s'étrangle le chef de l'Etat. Aux oreilles présidentielles est également revenu le scepticisme du locataire de Matignon sur la stratégie de communication au long cours retenue. "Va-t-on encore pouvoir continuer longtemps comme cela?" s'interroge le Premier ministre lors d'un déjeuner avec des députés UMP.
En mai, ils ne peuvent plus se voir
Les critiques à voix haute se multiplient, surtout dans la bouche du président. "Moi, je vois beaucoup de parlementaires, Fillon ne le fait même pas !" lâche un jour Nicolas Sarkozy. En mai, devant des journalistes, sans même citer celui qui était alors ministre des Affaires sociales, il observe: "La réforme des retraites de 2003 a failli tuer la CFDT, c'était une grave erreur. Elle coûtait plus cher que le système qu'elle était censée réformer, tout le monde le sait."
François Fillon continue un temps d'avoir des pudeurs de Premier ministre. "Je ne pourrais pas dire à Nicolas le dixième de ce que tu dis", glisse-t-il à Luc Ferry, très libre dans ses chroniques du Figaro. Mais le comportement du chef de l'Etat à son égard le choque depuis tellement longtemps. Souvent, il se plaint de sa "méchanceté". Le 5 mai, comme avant chaque Conseil des ministres, il attend dans l'antichambre du bureau présidentiel, en compagnie du secrétaire général de l'Elysée, Claude Guéant, que Nicolas Sarkozy le reçoive. L'heure tourne et la porte reste fermée. Quand elle s'ouvre enfin, apparaissent... des journalistes. Le chef de l'Etat prenait tranquillement son petit déjeuner avec eux. Un huissier demande au Premier ministre de descendre directement salon Murat, le président l'y rejoindra. Quelle expression de la langue française décrit le mieux la vérité de cet instant? Ce mercredi, ils ne peuvent plus se voir.
Comment, alors, déceler la moindre complicité entre eux? C'est un autre genre de veste. Le 20 août, François Fillon, venu à Brégançon rencontrer Nicolas Sarkozy, n'aura pas été convié au cap Nègre, pourtant situé à quelques kilomètres de là. "Il n'est pas passé par la case affective", relève un ministre. L'an passé, à la veille de la rentrée, le Premier ministre y avait pourtant été invité en compagnie de Penelope, son épouse.
Depuis ce tête-à-tête d'une heure - une rareté entre les deux hommes, peu habitués à se regarder dans le blanc des yeux pendant si longtemps - depuis que le président lui a explicitement indiqué qu'il envisageait une suite sans lui, François Fillon apparaît comme un homme libéré. "Il est détaché", rapporte un ministre. "Il est cool, apaisé, décontracté", constate un autre. Lorsqu'il reçoit un membre de son gouvernement, il préfère passer une heure à évoquer les vacances ou le passé plutôt que des dossiers techniques. "Il estime qu'il a fait le job et qu'il n'est pas forcément de son intérêt de rester", note un fidèle.
Fillon, une popularité éphémère?
François Fillon soupèse aussi l'hypothèse, évoquée par Nicolas Sarkozy, de devenir secrétaire général de l'UMP. Spontanément, il a plutôt envie d'une longue pause pour se reposer et réfléchir. "C'est une vraie connerie de devoir retrouver son siège de député un mois après son départ du gouvernement", confiait-il récemment à un ministre, faisant allusion à la révision constitutionnelle de 2008, pourtant mise en place par son gouvernement.
"Mais pourquoi y a-t-il plein de gens qui veulent prendre leurs distances avec moi?" Nicolas Sarkozy ne comprend pas. A l'inter-locuteur avec lequel il échange, en ces derniers jours d'août, sur la situation politique au terme de ce fol été, il le dit sans détour. D'autant qu'il est persuadé d'avoir totalement réussi sa séquence sécuritaire et marqué des points dans la perspective de 2012.
Le président ne comprend pas. Ou plutôt, il comprend trop bien. La droite se braque, les ministres craquent, les ex taclent. Il ne décolère pas contre Bernard Kouchner et Hervé Morin. Se montre volontiers sévère à l'égard de deux anciens chefs de gouvernement, Alain Juppé et Jean-Pierre Raffarin, auxquels il reproche un manque de loyauté.
Et l'actuel Premier ministre n'est jamais le dernier à être criblé de flèches présidentielles. Pas courageux, n'endossant rien, toujours aux abonnés absents: n'en jetez plus. En ce retour de vacances, tout l'énerve chez François Fillon. Même certains de ses arbitrages pour le budget de 2011, sur le logement étudiant ou l'allocation handicapés, qu'il retoque en maudissant l'absence de savoir-faire de son chef de gouvernement.
Rares périodes d'harmonie
François Fillon, ou comment s'en débarrasser. C'est l'une des questions de la rentrée. L'une de ces ruptures chères au candidat Sarkozy quand s'annonce une campagne électorale. Le 24 août, un communiqué jette un froid. Il est intitulé "Réunion de ministres sur les Roms" et permet à François Fillon de marquer sa différence : "La lutte contre l'immigration irrégulière ne doit pas être instrumentalisée de part et d'autre." Les participants tombent des nues en découvrant le texte: à aucun moment, pendant ladite réunion, un peu plus tôt à Matignon, le Premier ministre n'a dit ce que le compte rendu exprime clairement. Jouerait-il un jeu personnel par rapport à l'opinion? Nicolas Sarkozy n'a aucun doute.
Dès le lendemain, lors de leur tête-à-tête du mercredi, il explose. Explication de gravure, explication de texte: "Tu pensais à qui ?" Le chef du gouvernement balance un nom: "Estrosi." Le président ne s'en laisse pas conter: "Mais il n'a pas parlé des Roms !" - le ministre de l'Industrie avait évoqué des sanctions contre les maires défaillants en matière sécuritaire. D'un communiqué l'autre. Le 31 août, François Fillon rend hommage à Laurent Fignon sans attendre le message du chef de l'Etat, qui arrivera une dizaine de minutes plus tard. C'est à cela que l'on reconnaît la fin des couples: chacun ne fait plus attention à l'autre.
Depuis l'entrée en scène du duo, les périodes harmonieuses auront été rares. La communication passe parfois si mal que Nicolas Sarkozy ne veut plus parler à son Premier ministre. Le samedi 30 janvier, le président appelle l'un de ses fidèles et lui demande de téléphoner à François Fillon. Lui n'a pas envie de le faire. Le chef du gouvernement a donné une interview au Figaro, pour souligner "les efforts budgétaires sans précédent" que le pouvoir s'apprête à accomplir. De la rigueur avant toute chose, mais pas un mot sur le procès Clearstream, dans lequel le jugement vient d'être rendu - l'entretien figure, il est vrai, dans le cahier économie du quotidien. Quatre jours plus tard, le Premier ministre, sur Europe 1, veillera à afficher sa loyauté.
Au printemps, c'est la réforme des retraites qui met en lumière leur mésentente. Le samedi 22 mai, plusieurs médias révèlent que les choix du gouvernement se précisent (l'âge légal va passer à 62 ou 63 ans). L'Elysée fulmine et assure qu'aucune décision n'a été prise. L'auteur des fuites est vite identifié: il s'agit de François Fillon. La veille, il a reçu discrètement quelques journalistes. "Il ne m'a jamais parlé de 63 ans !" s'étrangle le chef de l'Etat. Aux oreilles présidentielles est également revenu le scepticisme du locataire de Matignon sur la stratégie de communication au long cours retenue. "Va-t-on encore pouvoir continuer longtemps comme cela?" s'interroge le Premier ministre lors d'un déjeuner avec des députés UMP.
En mai, ils ne peuvent plus se voir
Les critiques à voix haute se multiplient, surtout dans la bouche du président. "Moi, je vois beaucoup de parlementaires, Fillon ne le fait même pas !" lâche un jour Nicolas Sarkozy. En mai, devant des journalistes, sans même citer celui qui était alors ministre des Affaires sociales, il observe: "La réforme des retraites de 2003 a failli tuer la CFDT, c'était une grave erreur. Elle coûtait plus cher que le système qu'elle était censée réformer, tout le monde le sait."
François Fillon continue un temps d'avoir des pudeurs de Premier ministre. "Je ne pourrais pas dire à Nicolas le dixième de ce que tu dis", glisse-t-il à Luc Ferry, très libre dans ses chroniques du Figaro. Mais le comportement du chef de l'Etat à son égard le choque depuis tellement longtemps. Souvent, il se plaint de sa "méchanceté". Le 5 mai, comme avant chaque Conseil des ministres, il attend dans l'antichambre du bureau présidentiel, en compagnie du secrétaire général de l'Elysée, Claude Guéant, que Nicolas Sarkozy le reçoive. L'heure tourne et la porte reste fermée. Quand elle s'ouvre enfin, apparaissent... des journalistes. Le chef de l'Etat prenait tranquillement son petit déjeuner avec eux. Un huissier demande au Premier ministre de descendre directement salon Murat, le président l'y rejoindra. Quelle expression de la langue française décrit le mieux la vérité de cet instant? Ce mercredi, ils ne peuvent plus se voir.
Comment, alors, déceler la moindre complicité entre eux? C'est un autre genre de veste. Le 20 août, François Fillon, venu à Brégançon rencontrer Nicolas Sarkozy, n'aura pas été convié au cap Nègre, pourtant situé à quelques kilomètres de là. "Il n'est pas passé par la case affective", relève un ministre. L'an passé, à la veille de la rentrée, le Premier ministre y avait pourtant été invité en compagnie de Penelope, son épouse.
Depuis ce tête-à-tête d'une heure - une rareté entre les deux hommes, peu habitués à se regarder dans le blanc des yeux pendant si longtemps - depuis que le président lui a explicitement indiqué qu'il envisageait une suite sans lui, François Fillon apparaît comme un homme libéré. "Il est détaché", rapporte un ministre. "Il est cool, apaisé, décontracté", constate un autre. Lorsqu'il reçoit un membre de son gouvernement, il préfère passer une heure à évoquer les vacances ou le passé plutôt que des dossiers techniques. "Il estime qu'il a fait le job et qu'il n'est pas forcément de son intérêt de rester", note un fidèle.
Fillon, une popularité éphémère?
François Fillon soupèse aussi l'hypothèse, évoquée par Nicolas Sarkozy, de devenir secrétaire général de l'UMP. Spontanément, il a plutôt envie d'une longue pause pour se reposer et réfléchir. "C'est une vraie connerie de devoir retrouver son siège de député un mois après son départ du gouvernement", confiait-il récemment à un ministre, faisant allusion à la révision constitutionnelle de 2008, pourtant mise en place par son gouvernement.
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