Le Yémen, Le pied de nez de Ben Laden à ses anciens parrains Part 2/2
René Naba | 11.09.2010 | Paris
I- Le Yémen, banc d’essai de la nouvelle doctrine militaire américaine de la guerre clandestine, «La Doctrine Obama».
L’attentat manqué d’un nigérian sur un avion à destination de Detroit (EU), en décembre 2009, quatre mois après l’attentat manqué contre un prince saoudien responsable de la lutte contre le terrorisme en Arabie saoudite, le Prince Mohamad Ben Nayef Ben Abdel Aziz, a ravivé les craintes des Américains et relancé leur intérêt vers le Yémen, redoutant que ce pays ne servent de repaires aux hommes d’Al Qaida dans la péninsule arabique. L’attentat anti saoudien du 27 Août 2009 a d’ailleurs été revendiqué par le responsable régional d’Al Qaida, Nasser Al Whayshi, alias Abou Bassir, tout comme d’ailleurs l’attentat contre le destroyer «US Cole» dans le port d’Aden, en 2000. Désigné dès lors comme cible prioritaire par les Américains, Abou Bassir a été tué trois mois après sa revendication de l’affaire de Detroit. Depuis 2009, soit en moins d’un an, les autorités saoudiennes auraient déjoué quatre attentats contre le prince Mohamad, un record mondial difficilement égalable.
L’attentat de Detroit a servi de déclencheur à la mise en œuvre de la nouvelle doctrine américaine de la guerre clandestine contre le terrorisme, dont le Yémen en constitue le banc d’essai. La doctrine Obama préconise le recours à de petites unités mobiles de para commandos pour des opérations spéciales affectées à la traque des dirigeants d’Al Qaida du Pakistan au Maghreb, à l’Ouganda en passant par la Somalie, le Kenya, ainsi que l’ensemble des pays du Sahel (Algérie, Mali, Mauritanie) et de l’Asie centrale. Moins coûteuse en termes de budget et d’images, s’appuyant sur la collaboration des entreprises de travaux publics opérant dans la zone, elle vise à se substituer à la doctrine Bush. L’une des principales bévues de cette nouvelle guerre américaine, passée inaperçue au sein de l’opinion publique arabe et internationale, aura été d’ailleurs la mort du préfet du district de Maareb le 25 Mai 2010, victime collatérale d’une intervention clandestine américaine. L’homme négociait avec Al Qaida le dégagement du mouvement de la zone dont il a la responsabilité. Sa mort a soulevé un vent de révolte au sein de sa tribu qui a été, depuis lors, discrètement indemnisée par l’administration américaine. Depuis la mise en route de cette doctrine Obama, trois dirigeants d’Al Qaida ont été tués au Yémen, le chef régional, Nasser al Whayshi, et Nasser al Chihri, à Rafda, et Jamil al Anbari, le 24 mars 2010, selon le quotidien transarabe paraissant à Londres «Al Qods al Arabi» (16 Août 2010).
Le dispositif américain est complété en Afrique orientale par la base aéronavale de Diego Garcia dans l’Océan indien et par la co-location de la base française de Djibouti «Le camp Lemonier». La base de Djibouti permet ainsi aux Etats-Unis et à la France de dominer l’extrémité orientale de la vaste bande pétrolière traversant l’Afrique considérée désormais comme vitale pour leurs intérêts stratégiques, une bande allant de l’oléoduc Higleg -Port Soudan (1600 km), dans le sud-est, à l’oléoduc Tchad Cameroun (1000 km) et au Golfe de Guinée dans l’Ouest. Un poste d’observation américain en Ouganda donne aux Etats-Unis la possibilité de contrôler le sud Soudan où se trouve le gros des réserves soudanaises de brut.
Le positionnement américain à Djibouti a en outre pour mission de détecter les groupes terroristes en liaison avec ceux du Moyen-Orient et de servir de plateforme opérationnelle pour sa guerre clandestine contre Al-Qaida en Afrique de l’est, en particulier en Somalie qui a abrité, selon Washington, le comorien Fazul Abdullah Mohammed et le kenyan Saleh Ali Saleh Nabhan, impliqués dans les attentats contre les ambassades américaines au Kenya et en Tanzanie en 1998 au cours desquels deux cent vingt quatre personnes avaient été tuées.
Al Qaida a procédé à une décentralisation de son mouvement dans une démarche symétrique à la nouvelle doctrine américaine de la furtivité, conférant une large autonomie aux commandements régionaux, en application de la nouvelle stratégie du «combat disséminé» mise en œuvre avec succès par le Hezbollah libanais contre Israël, en 2006. Depuis la reprise des hostilités à grande échelle au Yémen, «Al Qaida» a ainsi procédé à la réunification des deux branches opérant dans la zone, l’Arabie saoudite et le Yémen, pour lancer, en 2008, «Al Qaida pour la Péninsule arabique», s’attaquant aux objectifs stratégiques, l’ambassade de Etats-Unis, en 2008, et un centre de sécurité d’Aden où étaient détenus des membres de son organisation, en juin 2010 en vue de peser sur la pulsion séparatiste des sudistes yéménites et contribuer à délégitimer le pouvoir central. Les Américains considèrent cette branche là comme la plus performante des autres subdivisions de l’organisation mère.
Al Qaida dispose en outre d’une filiale strictement somalienne «les fameux chebab» (les jeunes) qui tiennent la dragée haute au gouvernement pro saoudo occidental de Mogadiscio, se signalant à l’opinion internationale par un raid meurtrier sur l’Ouganda, le 11 juillet 2010, faisant une soixantaine de morts, ainsi que d’une branche maghrébine, faisant la jonction opérationnelle entre le Monde arabe et le Monde africain, «Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI)».Résultante d’un processus de scissiparité, AQMI est la transformation, en janvier 2007, par intégration dans le réseau de Ben Laden du Groupe salafiste algérien pour la prédication et le combat (GSPC), fondé lui-même en 1998 par dissidence du Groupe islamique armé (GIA).
Officiant généralement dans les déserts algérien, malien, nigérien et mauritanien, Al Qaida a mis à profit la porosité des frontières pour étendre son théâtre d’opérations dans la zone désertique du Sahel, pointant désormais le Burkina Faso, dont le président Blaise Compraoré, le négociateur de la libération de l’agent français Pierre Calmatte (Février 2010), vient d’opérer un spectaculaire rapprochement avec les Etats-Unis. L’AQMI a procédé le 24 juillet 2010 à l’exécution d’un otage français, Michel Germaneau, point marquant d’une épreuve de force avec la France dans ce qui apparaît comme une stratégie de tension visant à adresser une sommation à ce qu’il considère être l’islamophobie du pouvoir français depuis le tintamarre médiatique réservé en France aux «caricatures du prophète», sous l’égide du tandem journalistique Philippe Val Daniel Leconte, aux controverses sur le voile islamique, la Burqua et les chaînes de restauration rapide Halal.
II- Une bataille décisive dans l’ordre symbolique contre l’Arabie saoudite
L’implication d’Al Qaida dans le conflit inter yéménite et son environnement somalien a retenti comme un camouflet à ses anciens partenaires, l’Arabie saoudite et les Etats-Unis, en même temps qu’elle souligne la dérision de la stratégie américaine dans son objectif majeur, «la guerre mondiale contre le terrorisme», la mère de toutes les batailles.
A la tête du pays depuis trente deux ans (1978), le président Ali Abdallah Saleh accuse ses rebelles de vouloir renverser son régime pour rétablir l’imamat zayidite, aboli en 1962 à Sanaa, et d’être manipulés par l’Iran. Les Houthistes, quant à eux, se plaignent d’avoir été marginalisés par le gouvernement sur le plan politique, économique et religieux, et demandent le rétablissement du statut d’autonomie dont ils bénéficiaient avant 1962. Ils assurent défendre une identité menacée selon eux à la fois par la politique du pouvoir central, qui maintiendrait leur région dans le sous-développement, et par la poussée d’un fondamentalisme sunnite à l’égard duquel Sanaa entretient souvent l’ambiguïté.
Issus du courant religieux chiite zayidite, les Houthistes habitent sur les hauts plateaux yéménites et notamment la province de Saada, et présentent de nombreuses différences au niveau du dogme par rapport aux chiites duodécimains iraniens. Ils représentent, en 2007, 30 % environ des 22,2 millions de Yéménites qui sont en majorité sunnites. De plus, ils partagent de nombreuses interprétations religieuses avec la majorité sunnite chaféite. Les houthistes dénient toute instrumentalisation de leur cause par une puissance étrangère et insistent au contraire sur l’aide que le royaume saoudien apporterait au président.
La nouvelle guerre du Yémen a éclaté en 2004 à la suite de la capture des principaux chefs houthistes et la mort au combat de leur chef, Hussein Al Houthi, tué en septembre de cette année là par un missile au cours d‘une opération clandestine de la CIA en représailles contre l’attentat contre le destroyer Cole. Hussein, figure de proue du mouvement, a été remplacé depuis lors par son frère Abdul Malik.
Mais au-delà du conflit inter tribal, les yéménites nourrissent de solides griefs à l’égard de l’Arabie saoudite à qui ils ne pardonnent pas l’annexion de trois verdoyantes provinces -Assir, Jizane et Najrane (2), à qui ils reprochent de surcroît d’avoir longtemps entretenu l’instabilité dans le pays en alimentant directement le budget de la défense, contournant ainsi le pouvoir d’état au bénéfice alternatif des deux principales confédérations tribales: les Beni Hached et les Bakil. Cheikh Abdallah Hussein Al Ahmar, homme fort de la tribu des Hached, dirigeant du parti d’Al Islah (la réforme) et Président du Parlement yéménite, passe pour bénéficier des subsides saoudiens dans la nouvelle confrontation.
Le Yémen et l’Irak, les deux pays frontaliers de l’Arabie saoudite, constituent les deux balises stratégiques de la défense du Royaume wahabite, le premier au sud, le second au nord de l’Arabie. C’est dans ces deux pays que l’Arabie saoudite a engagé le combat pour assurer la pérennité de la dynastie wahhabite, à deux reprises au cours des dernières décennies. Le Yémen a servi en effet de champ d’affrontement inter arabe entre Républicains et Monarchistes du temps de la rivalité Nasser Faysal dans la décennie 1960, et, l’Irak, le théâtre de la confrontation entre le Chiisme révolutionnaire et le sunnisme conservateur du temps de la rivalité Saddam Hussein Khomeiny dans la décennie 1980.
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