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La question des disparitions forcées en Algérie

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  • La question des disparitions forcées en Algérie

    Une soirée commémorative du 10e anniversaire de la création du Collectif des familles de disparus a eu lieu à Paris. Des historiens, sociologues et personnalités de la société civile ont animé un débat passionnant et parfois passionné.


    Paris
    De notre bureau


    La question des disparitions forcées en Algérie est liée à la démocratisation de la société et du système politique, ont avancé les intervenants à la soirée commémorative du 10e anniversaire de la création du Collectif des familles de disparus en Algérie, notamment l'historien et ancien membre de la direction du FLN, Mohamed Harbi, et le professeur en droit international, Madjid Bencheikh. «La question des disparus ne peut avancer que si elle est liée à une cause politique, la cause de la démocratie et à une mobilisation en ce sens», a affirmé Mohamed Harbi à la faveur d'un débat dense, jeudi dernier à l'Espace Reuilly à Paris dont nous rapportons quelques éléments.
    L'Algérie reconnaît 8023 disparus, a-t-il été avancé. Toutefois, les autorités algériennes «continuent à s'opposer à la reconnaissance et surtout à la mise en place d'une justice transitionnelle dont le mandat serait de reconnaître et de mettre à jour la vérité parce que sans vérité la douleur ne sera jamais apaisée», a indiqué la présidente de la FIDH, Souhayr Belhassen. Pour Mohamed Harbi, «c'est un combat qui va s'inscrire dans la durée. Or, la recomposition de la société algérienne est favorable à la reconduction de l'autoritarisme. On le voit bien à la multiplication des forces de répression qui atteignent aujourd'hui près de 500 000 personnes. Par ailleurs, sur le plan politique, la situation n'est guère brillante. La compétition sociale a pour enjeu non pas le contrôle de l'Etat mais l'obtention des faveurs de celui-ci». Et d'affirmer que «l'autoritarisme est indissociable des caractéristiques de la nomenklatura algérienne plus soucieuse d'intérêts particuliers que des intérêts de la nation», mais se disant toutefois convaincu que «la chaîne des drames que connaît l'Algérie depuis trop longtemps», que «les traumatismes qui l'ont meurtrie finiront bien par s'arrêter un jour pour peu que nous arrivions à éclairer l'opinion et que les forces nationales et internationales agissent en ce sens».
    Madjid Bencheikh, professeur de droit international et ancien président d’Amnesty International Algérie, considère que «les familles de disparus ont non seulement réussi à impulser des actions sans doute parce qu'elles étaient déterminées, mobilisées par la recherche de la vérité, mais aussi, d'une manière plus générale, parce qu'il s'agit d'une cause juste». A ses yeux, le combat des familles de disparus est «un élément d'un combat plus global et pour que ceux qui ont disparu en Algérie ne le soient pas pour rien».
    Et il estime que la Charte pour la paix et la réconciliation nationale est «le résultat d'une analyse qui fait croire à une victoire sur la violence, elle n'est pas le résultat d'une recherche des causes qui ont conduit l'Algérie à connaître cette violence. Cette manière de faire a abouti à un échec. Le terrorisme n'est pas éradiqué, la réconciliation nationale espérée ne semble pas produire de résultats en ce qui concerne la paix sociale».
    «La société a besoin de savoir pour se reconstruire»
    «Les disparitions forcées sont avant tout une forme de torture pour les personnes qui disparaissent et pour les familles, pour une communauté, pour tout un pays. Et cette forme de torture, c'est le jeu de la terreur des régimes autoritaires. La justice ce n'est pas la disparition, ce n'est pas la torture. La justice c'est si quelqu'un est coupable, qu'il ait droit à un procès équitable», intervient Geneviève Garrigos, présidente d’Amnesty International France. Et d'ajouter : «Moi, je viens d'Argentine où il y a eu 30 000 disparus.» «Votre combat n'est pas pour le passé, il est pour l'avenir. Lutter contre l'impunité, ce n'est pas uniquement pour ce qui s'est passé hier, c'est aussi pour un monde plus juste, un monde où la justice a un sens. Et aujourd'hui, le gouvernement algérien pense qu'avec la charte, il va tourner la page mais il devrait peut-être regarder ce qui se passe ailleurs, au Pérou, au Chili, en Argentine, au Cambodge. 20 ans, 30 ans après, malgré les lois d'amnistie, la société demande justice, elle a besoin de savoir pour se reconstruire. C'est pourquoi, il est impératif de demander qu'il y ait des enquêtes judiciaires indépendantes, que les familles aient le droit de se réunir en associations, de pouvoir s'exprimer.»
    Nacéra Dutour, à l'origine de la création du CFDA en 1998, témoigne : «Quand on a tenu notre premier rassemblement (place Addis-Abeba à Alger tous les mercredis jusqu'à leur récente interdiction, ndlr), les gens nous fuyaient comme la peste, petit à petit l'opinion a commencé à changer, le fait qu'on est là depuis 12 ans y a fait beaucoup. Nous avons réussi à gagner la confiance de beaucoup d'associations algériennes, surtout des associations féministes, de personnalités connues.» La mère du jeune Amine, disparu en 1997, souligne la création, avec les associations de victimes du terrorisme Djazaïrouna et Soumoud de l'association des victimes algériennes et, depuis, mènent leurs activités en commun. Et Madjid Bencheikh de relever : «La jonction des familles de disparus et d'autres associations de victimes du terrorisme m'apparaît comme un espoir des véritables solutions de réconciliation qu'il faut imaginer pour l'Algérie.» Contrairement à des causes moins proches, comment expliquer que dans le cas des disparus, il n'y a pas plus de mobilisation en Algérie ? Pas plus de dénonciation ? Est-il demandé aux intervenants.
    Selon Geneviève Garrigos, présidente d'Amnesty International France, «ce n'est, malheureusement, pas spécifique à l'Algérie. C'est difficile de se mobiliser dans son pays quand il y a une chape de plomb. En Amérique latine, les lois sur l'amnistie ont commencé à sauter au bout de plus de 20 ans. Il faut du temps à une société pour qu'elle comprenne que ce n'est pas l'oubli qui va la guérir mais que c'est la vérité et la justice».
    «Déficit national»
    Et Mohamed Harbi d'enchaîner : «La société algérienne demeure très fragmentée quand il s'agit de la question politique et de la démocratie. Elle n'arrive pas encore pour différentes causes d'ordre sociologique et d'ordre politique aussi à se réunifier et à prendre à bras-le-corps une question aussi importante que celle des disparus qui, dans d'autres pays, a beaucoup mobilisé l'opinion et a été un des facteurs d'ouverture d'un champ démocratique.»
    Mohamed Harbi pousse l'analyse : la classe moyenne algérienne est «divisée, fragmentée, elle réclame la démocratie mais, en réalité, elle n'a jamais fait le bilan de l'histoire algérienne et sa mémoire est une mémoire déficiente. Les forums démocratiques n'ont jamais duré longtemps parce que la relation personnalisée dans le champ politique reste très forte et elle est handicapante». Autre question de la salle : n'est-on pas à un moment où il faut dépasser l'étiquette «éradicateurs» et «réconciliateurs» et voir ce que les uns et les autres ont en commun, c'est-à-dire des idées de démocratie ou tout au moins de modernité ?«Le rayonnement du RCD ou du FFS ou d'autres groupes politiques dans la société est extrêmement limité, même si potentiellement la cause démocratique est liée à ces courants, mais d'une manière générale dans les classes moyennes, et cela se voit aussi à travers la presse, le vrai problème c'est leur incorporation dans le système», reprend Mohamed Harbi.
    «On le constate dans la présence sur la scène politique d'un certain nombre de partis et aux scissions permanentes qu'il y a dans ces partis... Le système ne tient pas simplement parce qu'il est autoritaire, il tient aussi parce qu'il a des supports dans la société.» Et de son point de vue, «tant qu'on n'aura pas bien circonscrit ce phénomène, les possibilités de sortie de crise et de création d'un champ politique – parce qu'il n'y a pas un vrai champ politique aujourd'hui, il y a un marché de la confusion généralisée dans les débats sur la sortie de crise» – restent problématiques. Mohamed Harbi relève le problème du «déficit national». Et de dire que «la nation algérienne, ce n'est pas une nation d'individus, c'est pour l'essentiel encore une nation de familles et beaucoup de problèmes de survie ne se résolvent pas à l'échelle individuelle, mais à l'échelle familiale. C'est un phénomène très important qui peut expliquer nombre de comportements politiques dans la société».
    Madjid Bencheikh, après avoir rappelé la prévalence, au moment de la discussion sur la Charte pour la paix et la réconciliation nationale, d'«un courant important dans la société selon lequel il fallait tourner la page», note que le système politique algérien, «malgré les transformations qui ont suivi octobre 1988 et la mise en place du multipartisme, a des caractéristiques qui durent depuis les lendemains de l'indépendance, c'est-à-dire un système qui a à son centre un commandement militaire qui organise la stratégie du système».




    Nadjia Bouzeghrane
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