Histoire secrète du pétrole algérien par Hocine Malti « L’Algérie est malade de ses dirigeants, pas de son pétrole« , écrit Hocine Malti. Cet ancien dirigeant de la Sonatrach (la société nationale d’hydrocarbures) est l’auteur d’une passionnante Histoire secrète du pétrole algérien. Il y raconte comment, au fil des ans, l’Algérie indépendante a sécrété une oligarchie qui a confisqué, grâce à de juteuses commissions, la richesse pétrolière du pays et s’est arrogé un quasi-monopole sur les importations. Sortie le 2 septembre 2010, ce livre explique comment les milliards de dollars des hydrocarbures sont toujours aujourd’hui au cœur des règlements de comptes permanents entre les différents clans du pouvoir.
Hocine Malti, ingénieur des pétroles, a participé à la création de la Sonatrach, dont il a été vice-président de 1972 à 1975. Conseiller du secrétaire général de l’OPAEP (Koweït) de 1975 à 1977, puis directeur général de l’Arab Petroleum Services Company (Tripoli) jusqu’en 1982, il est aujourd’hui consultant pétrolier.
TUNISIA Watch reproduit ici l’introduction de ce liver publié par ALGERIA Watch ou on peut consulter aussi la conclusion « La démocratie, seul remède à la « maladie hollandaise » de l’Algérie» et la « Table des matières» du livre.
INTRODUCTION :
L’Algérie, un pays malade de ses dirigeants
Quelle année fabuleuse pour l’Algérie que cette année 1956 ! Coup sur coup, en janvier puis en juin, on a découvert du pétrole dans le Sahara, à Edjeleh et à Hassi-Messaoud. Six ans plus tard, à l’issue d’une longue guerre de libération, le pays accédait à l’indépendance et on était alors en droit de penser qu’il y ferait bon vivre, car il serait riche de milliards de barils de pétrole et de mètres cubes de gaz qui feraient le bonheur de sa population. Ce ne sera malheureusement pas le cas.
Richesses volées, peuple piétiné
Et pourtant, l’Algérie est un pays très vaste, au climat doux et modéré, dont la terre, pour peu qu’on la travaille, est très fertile. La nature l’a aussi doté de fonds marins très riches tout le long d’une façade maritime que la Méditerranée a finement ciselée de criques et de plages merveilleuses. À l’arrière, la Mitidja, autrefois grenier à blé, puis la chaîne de montagnes de l’Atlas, couvertes de forêts, sur lesquelles il neige assez abondamment en hiver, sont propices à l’agriculture et à l’élevage qui y fournissent d’excellents rendements.
Plus au sud, le joyau de cet ensemble, le Sahara, est probablement le plus beau désert au monde avec des paysages féeriques et des oasis que de nombreux poètes ont chantés. Les cheminées volcaniques de la région de Tamanrasset, les sublimes dunes de Taghit et l’entrelacement sans fin de celles des ergs occidental et oriental, offrent des panoramas grandioses que des millions de touristes seraient enchantés de découvrir. Le sous-sol algérien est extrêmement riche. On y trouve de tout : du charbon, du fer, du zinc, du cuivre, de l’or, du platine, du plomb, des phosphates, de l’uranium, de la bauxite et bien d’autres minerais encore. En dehors du pétrole et du gaz, bien entendu.
Le peuple algérien, enfin, est fier et vaillant. En 1962, l’enthousiasme de sa jeunesse, l’énergie et l’élan formidable insufflés par la fin de cent trente-deux années de nuit coloniale constituaient autant d’atouts supplémentaires. Les revenus de la manne pétrolière, judicieusement utilisés, devaient lui permettre d’affronter les affres du sous-développement et de prendre à bras-le-corps les problèmes de la reconstruction du pays. Le destin des Algériens était d’être un peuple heureux et l’histoire du pétrole algérien aurait pu être un conte de fées.
Hélas ! La réalité que va révéler cet ouvrage est totalement différente, car ce que l’on sait des hydrocarbures algériens, ce que l’on en a vu ou ce que l’on en voit ne constituent que la partie visible de l’iceberg. On ne peut que constater, plus d’un demi-siècle plus tard, que le bonheur de ce peuple lui a été volé par ses dirigeants, que le pays est devenu un enfer, tandis que le sort de millions d’Algériens n’est que malvie et souffrances, voire sang et larmes. Pourquoi ce don du ciel qui aurait dû causer joie et bonheur est-il devenu source de tels malheurs ? L’argument souvent invoqué est qu’il existerait une « malédiction pétrolière ». Auquel cas il n’y aurait rien d’autre à faire, pour y mettre fin, que d’attendre le tarissement de tous les gisements pétroliers ou que l’on cesse de les exploiter.
Mais à vrai dire, l’Algérie est malade de ses dirigeants, pas de son pétrole. Ces dirigeants despotiques se sont emparés du pouvoir par la force des armes au lendemain de l’indépendance, un pouvoir que des successeurs corrompus ne veulent toujours pas remettre, à la fin de la première décennie du xxie siècle, entre les mains de son propriétaire légitime, le peuple, et qui ont fait des hydrocarbures leur bien personnel. C’est pourquoi l’Algérie n’est aujourd’hui ni démocratique ni populaire et de moins en moins une république, contrairement à ce que proclame le nom officiel du pays. La véritable malédiction est dans le système de gouvernance instauré par ces dirigeants, qui attribue tout le pouvoir à un homme et à un quarteron de généraux. Elle est dans le mode de transmission de ce pouvoir au sein d’un seul et unique clan qui prétend être une « famille révolutionnaire ». Elle est également dans la façon dont sont gérés les hydrocarbures au profit de cette seule caste. Pourquoi en est-il ainsi ? Comment en est-on arrivé là ? Je tâcherai d’expliquer tout au long de cette histoire secrète comment les ressources pétrolières ont attisé ces dérives despotiques.
C’est parce que j’ai été présent, dès 1964 et pendant près d’une vingtaine d’années, au c?ur même de l’outil pétrolier de l’Algérie, la Sonatrach, ou en détachement auprès de certaines de ses ramifications à l’étranger, et que j’ai continué ensuite à baigner jusqu’à ce jour dans un environnement pétrolier, que je me devais de relater la saga de l’or noir de mon pays. Je me devais aussi de raconter comment la poignée de jeunes cadres qui étions présents au début de cette saga en a écrit les plus belles pages, comment nous avons monté, pièce par pièce, cet instrument du développement économique du pays qu’est la compagnie nationale des hydrocarbures et comment nous avons arraché l’autre indépendance, économique celle-là, lors des nationalisations du 24 février 1971.
Cette longue bataille, nous l’avons menée face à des armadas d’experts internationaux, au prix de lourds sacrifices et au nom de cet avenir meilleur pour notre peuple que lui promettaient ses dirigeants. Je dois cependant admettre que nous ne nous étions pas rendus compte que certains d’entre eux étaient déjà en train de s’en mettre plein les poches et de tisser les mailles des réseaux qui allaient leur permettre de s’approprier le pouvoir et les richesses du pays. Au fil du temps, ces hommes qui ont prétendu avoir combattu le colonialisme par idéal patriotique, pour que le peuple vive libre et heureux, qui se sont décrits comme les défenseurs de la veuve et de l’orphelin, sont devenus les nouveaux colons, les Machiavel qui aujourd’hui règnent sur un pays en totale déliquescence, dans lequel ils ont fait de la vie de leurs concitoyens un enfer, mais qui demeure pour eux un pays de cocagne.
Il est certain que si le pétrole n’avait pas été découvert en pleine guerre de libération, celle-ci aurait duré moins longtemps. Comme on le verra, la France a en effet multiplié les efforts – militaires et politiques – afin de reculer le plus possible l’inéluctable indépendance, dans la perspective de garder le contrôle des hydrocarbures algériens (ce qu’elle réussira d’ailleurs en partie, lors des accords d’Évian marquant la fin de la guerre en mars 1962). Le règlement politique qui a tardé à venir a permis à trois chefs militaires, ceux que l’on a appelés les « trois B » (Lakhdar Ben Tobbal, Abdelhafid Boussouf et Krim Belkacem), de prendre en 1958 la direction des opérations de la révolution algérienne. Ils ont été suivis plus tard par un quatrième B (Houari Boumediene), qui a instauré à l’indépendance un régime dictatorial – qui prévaut jusqu’à ce jour -, avant que Chadli Bendjedid et Abdelaziz Bouteflika n’entament l’?uvre de destruction du pays.
Hocine Malti, ingénieur des pétroles, a participé à la création de la Sonatrach, dont il a été vice-président de 1972 à 1975. Conseiller du secrétaire général de l’OPAEP (Koweït) de 1975 à 1977, puis directeur général de l’Arab Petroleum Services Company (Tripoli) jusqu’en 1982, il est aujourd’hui consultant pétrolier.
TUNISIA Watch reproduit ici l’introduction de ce liver publié par ALGERIA Watch ou on peut consulter aussi la conclusion « La démocratie, seul remède à la « maladie hollandaise » de l’Algérie» et la « Table des matières» du livre.
INTRODUCTION :
L’Algérie, un pays malade de ses dirigeants
Quelle année fabuleuse pour l’Algérie que cette année 1956 ! Coup sur coup, en janvier puis en juin, on a découvert du pétrole dans le Sahara, à Edjeleh et à Hassi-Messaoud. Six ans plus tard, à l’issue d’une longue guerre de libération, le pays accédait à l’indépendance et on était alors en droit de penser qu’il y ferait bon vivre, car il serait riche de milliards de barils de pétrole et de mètres cubes de gaz qui feraient le bonheur de sa population. Ce ne sera malheureusement pas le cas.
Richesses volées, peuple piétiné
Et pourtant, l’Algérie est un pays très vaste, au climat doux et modéré, dont la terre, pour peu qu’on la travaille, est très fertile. La nature l’a aussi doté de fonds marins très riches tout le long d’une façade maritime que la Méditerranée a finement ciselée de criques et de plages merveilleuses. À l’arrière, la Mitidja, autrefois grenier à blé, puis la chaîne de montagnes de l’Atlas, couvertes de forêts, sur lesquelles il neige assez abondamment en hiver, sont propices à l’agriculture et à l’élevage qui y fournissent d’excellents rendements.
Plus au sud, le joyau de cet ensemble, le Sahara, est probablement le plus beau désert au monde avec des paysages féeriques et des oasis que de nombreux poètes ont chantés. Les cheminées volcaniques de la région de Tamanrasset, les sublimes dunes de Taghit et l’entrelacement sans fin de celles des ergs occidental et oriental, offrent des panoramas grandioses que des millions de touristes seraient enchantés de découvrir. Le sous-sol algérien est extrêmement riche. On y trouve de tout : du charbon, du fer, du zinc, du cuivre, de l’or, du platine, du plomb, des phosphates, de l’uranium, de la bauxite et bien d’autres minerais encore. En dehors du pétrole et du gaz, bien entendu.
Le peuple algérien, enfin, est fier et vaillant. En 1962, l’enthousiasme de sa jeunesse, l’énergie et l’élan formidable insufflés par la fin de cent trente-deux années de nuit coloniale constituaient autant d’atouts supplémentaires. Les revenus de la manne pétrolière, judicieusement utilisés, devaient lui permettre d’affronter les affres du sous-développement et de prendre à bras-le-corps les problèmes de la reconstruction du pays. Le destin des Algériens était d’être un peuple heureux et l’histoire du pétrole algérien aurait pu être un conte de fées.
Hélas ! La réalité que va révéler cet ouvrage est totalement différente, car ce que l’on sait des hydrocarbures algériens, ce que l’on en a vu ou ce que l’on en voit ne constituent que la partie visible de l’iceberg. On ne peut que constater, plus d’un demi-siècle plus tard, que le bonheur de ce peuple lui a été volé par ses dirigeants, que le pays est devenu un enfer, tandis que le sort de millions d’Algériens n’est que malvie et souffrances, voire sang et larmes. Pourquoi ce don du ciel qui aurait dû causer joie et bonheur est-il devenu source de tels malheurs ? L’argument souvent invoqué est qu’il existerait une « malédiction pétrolière ». Auquel cas il n’y aurait rien d’autre à faire, pour y mettre fin, que d’attendre le tarissement de tous les gisements pétroliers ou que l’on cesse de les exploiter.
Mais à vrai dire, l’Algérie est malade de ses dirigeants, pas de son pétrole. Ces dirigeants despotiques se sont emparés du pouvoir par la force des armes au lendemain de l’indépendance, un pouvoir que des successeurs corrompus ne veulent toujours pas remettre, à la fin de la première décennie du xxie siècle, entre les mains de son propriétaire légitime, le peuple, et qui ont fait des hydrocarbures leur bien personnel. C’est pourquoi l’Algérie n’est aujourd’hui ni démocratique ni populaire et de moins en moins une république, contrairement à ce que proclame le nom officiel du pays. La véritable malédiction est dans le système de gouvernance instauré par ces dirigeants, qui attribue tout le pouvoir à un homme et à un quarteron de généraux. Elle est dans le mode de transmission de ce pouvoir au sein d’un seul et unique clan qui prétend être une « famille révolutionnaire ». Elle est également dans la façon dont sont gérés les hydrocarbures au profit de cette seule caste. Pourquoi en est-il ainsi ? Comment en est-on arrivé là ? Je tâcherai d’expliquer tout au long de cette histoire secrète comment les ressources pétrolières ont attisé ces dérives despotiques.
C’est parce que j’ai été présent, dès 1964 et pendant près d’une vingtaine d’années, au c?ur même de l’outil pétrolier de l’Algérie, la Sonatrach, ou en détachement auprès de certaines de ses ramifications à l’étranger, et que j’ai continué ensuite à baigner jusqu’à ce jour dans un environnement pétrolier, que je me devais de relater la saga de l’or noir de mon pays. Je me devais aussi de raconter comment la poignée de jeunes cadres qui étions présents au début de cette saga en a écrit les plus belles pages, comment nous avons monté, pièce par pièce, cet instrument du développement économique du pays qu’est la compagnie nationale des hydrocarbures et comment nous avons arraché l’autre indépendance, économique celle-là, lors des nationalisations du 24 février 1971.
Cette longue bataille, nous l’avons menée face à des armadas d’experts internationaux, au prix de lourds sacrifices et au nom de cet avenir meilleur pour notre peuple que lui promettaient ses dirigeants. Je dois cependant admettre que nous ne nous étions pas rendus compte que certains d’entre eux étaient déjà en train de s’en mettre plein les poches et de tisser les mailles des réseaux qui allaient leur permettre de s’approprier le pouvoir et les richesses du pays. Au fil du temps, ces hommes qui ont prétendu avoir combattu le colonialisme par idéal patriotique, pour que le peuple vive libre et heureux, qui se sont décrits comme les défenseurs de la veuve et de l’orphelin, sont devenus les nouveaux colons, les Machiavel qui aujourd’hui règnent sur un pays en totale déliquescence, dans lequel ils ont fait de la vie de leurs concitoyens un enfer, mais qui demeure pour eux un pays de cocagne.
Il est certain que si le pétrole n’avait pas été découvert en pleine guerre de libération, celle-ci aurait duré moins longtemps. Comme on le verra, la France a en effet multiplié les efforts – militaires et politiques – afin de reculer le plus possible l’inéluctable indépendance, dans la perspective de garder le contrôle des hydrocarbures algériens (ce qu’elle réussira d’ailleurs en partie, lors des accords d’Évian marquant la fin de la guerre en mars 1962). Le règlement politique qui a tardé à venir a permis à trois chefs militaires, ceux que l’on a appelés les « trois B » (Lakhdar Ben Tobbal, Abdelhafid Boussouf et Krim Belkacem), de prendre en 1958 la direction des opérations de la révolution algérienne. Ils ont été suivis plus tard par un quatrième B (Houari Boumediene), qui a instauré à l’indépendance un régime dictatorial – qui prévaut jusqu’à ce jour -, avant que Chadli Bendjedid et Abdelaziz Bouteflika n’entament l’?uvre de destruction du pays.
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