Les Français qui sont descendus dans la rue ce jeudi 23 septembre, ceux qui les soutenaient en s’abstenant de crier leur colère au micro des radios venues constater les dégâts dans les gares, et même ceux qui admettent avec une pointe d’amertume que cette réforme est inéluctable, expriment en fait le sentiment, somme toute légitime, qu’ils vont payer une politique pour laquelle ils n’ont pas voté. Pas celle qui consiste à revenir sur une folie des années Mitterrand, cette retraite à 60 ans dont on n’a pas encore calculé le coût. Mais l’ensemble de la politique économique globale des trente dernières années, acceptée, cautionnée et promue par les gouvernements successifs avec une égale ferveur.
Ce jeudi matin, un jeune homme était interrogé par le reporter d’Europe 1. En troisième année de licence d’Histoire, il s’inquiétait : «Après un master d’histoire, on commence à travailler vers 24-25 ans. S’il faut 41 ou 42 annuités pour obtenir une retraite à taux plein, ça nous pousse vers les 70 ans…» Et puis, ajoutait-il, faire travailler les vieux, c’est amplifier le chômage des jeunes. Conclusion du reportage, «les jeunes» soutiennent aussi le mouvement… Peut-être. Mais «les jeunes», s’ils savent compter, s’aperçoivent qu’ils seraient bien les grands sacrifiés d’un renoncement à la réforme.
Reprenons le raisonnement : le principe de la retraite par répartition consiste à faire payer les retraites des plus vieux par les charges sociales prélevées aux actifs. Actifs qui payent également des impôts pour financer les écoles de leurs enfants et les infrastructures du pays. Un système qui fonctionnait assez facilement dans les années 50 ou 60, quand on commençait à travailler vers 16 ou 18 ans, au plus tard 20 ans, et que l’espérance de vie d’un retraité était de moins d’une dizaine d’années (ajoutons à cela que l’âge de la retraite était alors de 65 ans, sans qu’il y ait là une atteinte fondamentale aux droits de l’homme). Et qui fonctionnait d’autant mieux que les jeunes trouvaient du travail et pouvaient se loger pour des prix raisonnables. Car rappelons que l’image d’Epinal du retraité misérable date de ces années où des femmes, en particulier, qui n’avaient pas ou peu travaillé, ou dont le travail dans l’exploitation ou le commerce familial n’était pas reconnu, vivaient sous le seuil de pauvreté. Il en reste de trop nombreuses survivances. Mais il existe aussi une certaine proportion de jeunes retraités appartenant à la génération bénie de l’après-guerre, et qui sont en France les principaux détenteurs du capital, notamment immobilier (comme le rappelle fort justement le sociologue Louis Chauvel), quand leurs enfants leur payent des loyers faramineux et seraient bien en peine de devenir propriétaires.
Pour autant, le problème actuel se résume-t-il à l’augmentation de l’espérance de vie ? De toute évidence, si l’on vit plus vieux, et si l’on atteint généralement la soixantaine en bien meilleure forme qu’avant, il n’y a rien de choquant à partir à la retraite à 65 ans, comme on le faisait jusqu’en 1982. Encore faut-il que chaque travailleur perçoive le sens de sa tâche, et puisse concevoir une fierté à l’accomplir au mieux (mais qui a conçu une société de la consommation et du loisir, où le travail n’a plus d’utilité que pour accumuler du «pouvoir d’achat» ?). Et, deuxième condition, encore faut-il que les entreprises ne renvoient pas ceux qu’elles baptisent les «seniors» dans leurs pénates (mais qui a expliqué que la «performance», mesurée en termes uniquement quantitatifs, nécessitait des jeunes loups de 35 ans, sans mémoire, gavés de nouvelles technologies et de management moderne – et au bord du surmenage ou du suicide ?).
Le problème ne réside pas dans le nombre de vieux à entretenir, mais dans le nombre de jeunes capables de les entretenir. Or, suivant la réponse que l’on prétend apporter à ce problème, on se prépare ou non à détruire définitivement le modèle économique et social de la France. Certains, souvent à gauche, expliquent qu’il faut que ces vieux partent au plus tôt à la retraite pour céder la place aux plus jeunes. Ils proposent donc aux trentenaires de payer par leur travail leur propre entretien, celui de leurs enfants, celui d’un ou deux chômeurs ou RMIstes, et enfin celui d’un ou deux retraités. Cela risque de faire lourd... En fait, ils proposent de compenser l'insoutenable en faisant payer le capital. Et certes, on ne voit absolument pas pourquoi retraites et assurance maladie seraient payées par le seul produit du travail et non par toute forme de bénéfice, quel qu’il soit. Ce qui équilibrerait en partie l’effort. Mais la marge est étroite, dans une économie sans frontières, où l’Irlande et le Luxembourg permettent à Google et Amazon de ne payer qu’une part infime d’impôts en France. Et le fait de maintenir l’âge de départ à 60 ans ne fera pas de place aux jeunes puisqu’il ne fera que renchérir le coût du travail en augmentant encore les charges pour les salariés et les patrons. Il ne fera qu’essouffler un peu plus les PME en détruisant le peu de compétitivité qui leur reste. Aucune d’entre elle, même en sous effectif, ne prendra le risque d’embaucher un jeune qui lui coûte quasiment le double du salaire qu’il perçoit.
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Ce jeudi matin, un jeune homme était interrogé par le reporter d’Europe 1. En troisième année de licence d’Histoire, il s’inquiétait : «Après un master d’histoire, on commence à travailler vers 24-25 ans. S’il faut 41 ou 42 annuités pour obtenir une retraite à taux plein, ça nous pousse vers les 70 ans…» Et puis, ajoutait-il, faire travailler les vieux, c’est amplifier le chômage des jeunes. Conclusion du reportage, «les jeunes» soutiennent aussi le mouvement… Peut-être. Mais «les jeunes», s’ils savent compter, s’aperçoivent qu’ils seraient bien les grands sacrifiés d’un renoncement à la réforme.
Reprenons le raisonnement : le principe de la retraite par répartition consiste à faire payer les retraites des plus vieux par les charges sociales prélevées aux actifs. Actifs qui payent également des impôts pour financer les écoles de leurs enfants et les infrastructures du pays. Un système qui fonctionnait assez facilement dans les années 50 ou 60, quand on commençait à travailler vers 16 ou 18 ans, au plus tard 20 ans, et que l’espérance de vie d’un retraité était de moins d’une dizaine d’années (ajoutons à cela que l’âge de la retraite était alors de 65 ans, sans qu’il y ait là une atteinte fondamentale aux droits de l’homme). Et qui fonctionnait d’autant mieux que les jeunes trouvaient du travail et pouvaient se loger pour des prix raisonnables. Car rappelons que l’image d’Epinal du retraité misérable date de ces années où des femmes, en particulier, qui n’avaient pas ou peu travaillé, ou dont le travail dans l’exploitation ou le commerce familial n’était pas reconnu, vivaient sous le seuil de pauvreté. Il en reste de trop nombreuses survivances. Mais il existe aussi une certaine proportion de jeunes retraités appartenant à la génération bénie de l’après-guerre, et qui sont en France les principaux détenteurs du capital, notamment immobilier (comme le rappelle fort justement le sociologue Louis Chauvel), quand leurs enfants leur payent des loyers faramineux et seraient bien en peine de devenir propriétaires.
Pour autant, le problème actuel se résume-t-il à l’augmentation de l’espérance de vie ? De toute évidence, si l’on vit plus vieux, et si l’on atteint généralement la soixantaine en bien meilleure forme qu’avant, il n’y a rien de choquant à partir à la retraite à 65 ans, comme on le faisait jusqu’en 1982. Encore faut-il que chaque travailleur perçoive le sens de sa tâche, et puisse concevoir une fierté à l’accomplir au mieux (mais qui a conçu une société de la consommation et du loisir, où le travail n’a plus d’utilité que pour accumuler du «pouvoir d’achat» ?). Et, deuxième condition, encore faut-il que les entreprises ne renvoient pas ceux qu’elles baptisent les «seniors» dans leurs pénates (mais qui a expliqué que la «performance», mesurée en termes uniquement quantitatifs, nécessitait des jeunes loups de 35 ans, sans mémoire, gavés de nouvelles technologies et de management moderne – et au bord du surmenage ou du suicide ?).
Le problème ne réside pas dans le nombre de vieux à entretenir, mais dans le nombre de jeunes capables de les entretenir. Or, suivant la réponse que l’on prétend apporter à ce problème, on se prépare ou non à détruire définitivement le modèle économique et social de la France. Certains, souvent à gauche, expliquent qu’il faut que ces vieux partent au plus tôt à la retraite pour céder la place aux plus jeunes. Ils proposent donc aux trentenaires de payer par leur travail leur propre entretien, celui de leurs enfants, celui d’un ou deux chômeurs ou RMIstes, et enfin celui d’un ou deux retraités. Cela risque de faire lourd... En fait, ils proposent de compenser l'insoutenable en faisant payer le capital. Et certes, on ne voit absolument pas pourquoi retraites et assurance maladie seraient payées par le seul produit du travail et non par toute forme de bénéfice, quel qu’il soit. Ce qui équilibrerait en partie l’effort. Mais la marge est étroite, dans une économie sans frontières, où l’Irlande et le Luxembourg permettent à Google et Amazon de ne payer qu’une part infime d’impôts en France. Et le fait de maintenir l’âge de départ à 60 ans ne fera pas de place aux jeunes puisqu’il ne fera que renchérir le coût du travail en augmentant encore les charges pour les salariés et les patrons. Il ne fera qu’essouffler un peu plus les PME en détruisant le peu de compétitivité qui leur reste. Aucune d’entre elle, même en sous effectif, ne prendra le risque d’embaucher un jeune qui lui coûte quasiment le double du salaire qu’il perçoit.
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