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Maroc: réforme de la justice,vraiment ?

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  • Maroc: réforme de la justice,vraiment ?


    Par Ahmed R. Benchemsi
    Réforme de la justice, vraiment ?
    Ahmed R. Benchemsi
    (ALEX DUPEYRON)

    "La réforme de la justice dans laquelle je m’inscris, c’est celle des discours officiels, pas celle des bruits de couloir”, déclare le juge Hassoune. C’est ce qui le perdra.


    L’affaire a commencé début août, quand le quotidien Assabah a publié en avant-première une information confidentielle émanant du Conseil supérieur de la magistrature (CSM). Rien de bien grave : une liste de procureurs appelés à être mutés et/ou promus. C’était quand même un joli scoop à l’actif de notre confrère, qu’il convient de féliciter. Mais
    quelqu’un, en haut lieu, a vu la chose autrement : aussi banale soit-elle, une information a “fuité” avant d’être transmise au roi. Assabah et sa source (anonyme, comme il se doit) auraient donc commis une sorte de crime de lèse-majesté. Résultat : le jour même de la publication de l’info, les locaux du quotidien ont été investis par la police, l’auteur de l’article et son rédacteur en chef interpellés, conduits au poste et longuement interrogés, leurs téléphones et emails passés au crible… Quelques jours plus tard, un communiqué du ministre de la Justice accusait les juges et membres du CSM Jaâfar Hassoune et Mohammed Amghar d’être les auteurs de la fuite. Relevés de leurs fonctions et leurs salaires suspendus, ils attendent, depuis, de passer en conseil de discipline.
    Un mois plus tard, ce conseil n’a toujours pas eu lieu. Peut-être parce que l’affaire a pris des proportions considérables. 9 associations parmi les plus respectées du royaume (AMDH, OMDH, Amnesty, Transparency, Adala…) ont en effet publié un communiqué conjoint pour soutenir les deux magistrats. Pas moins de 10 juges et 20 avocats, parmi lesquels plusieurs bâtonniers et ténors du barreau, se sont portés volontaires pour les défendre – et la liste des soutiens ne cesse de s’allonger, débordant les frontières du Maroc. Non seulement rien n’atteste formellement que Hassoune et Amghar sont bien les auteurs de la fuite, mais quand bien même ce serait le cas, aucune loi ni règlement n’interdit de divulguer le contenu des délibérations du CSM ! Et puis, de quel droit le ministre de la Justice jette-t-il des magistrats en pâture à l’opinion publique, sans procédure appropriée… et sans même les auditionner ?! Dans cette affaire, plusieurs principes démocratiques fondamentaux ont été violés d’un coup : la séparation des pouvoirs, la présomption d’innocence, la protection des sources, le droit à l’information… Par-dessus tout, la décision du ministre laisse planer un gros doute sur la sincérité de l’Etat quand il parle de “réformer la Justice”.
    Mais il y a autre chose : si Mohammed Amghar est un relatif inconnu, Jaâfar Hassoune, lui, est une célébrité. En 2001, sa décision de créer “L’Association marocaine de défense de l’indépendance de la justice” lui avait attiré les foudres… de Mohammed VI en personne ! Dans une “lettre” restée fameuse, le roi avait rappelé, sèchement, que le seul cadre d’expression autorisé pour les magistrats est la très officielle “Amicale hassanienne des juges” – l’appellation, en soi, dispense de tout commentaire. Puis Hassoune avait récidivé en 2003, en faisant circuler une pétition de soutien à des juges, emprisonnés en violation de toutes les procédures en marge d’une affaire de trafic de drogue. Réaction immédiate du ministre de la Justice d’alors : Hassoune avait été suspendu 3 mois. En le nommant par la suite à la tête du tribunal administratif de Marrakech, une instance confidentielle loin du feu des médias, l’Etat pensait mettre ce juge trublion sous l’éteignoir. Erreur. En 2009, Hassoune a délivré coup sur coup 3 verdicts surmédiatisés : le premier donnait tort à un wali de Sa Majesté, les deux autres mettaient en difficulté le PAM, parti du puissant “ami du roi” Fouad Ali El Himma ! Des verdicts que le juge avait délivrés en son âme et conscience, et en application de la loi – mais qui n’en ont pas moins déclenché la fureur des hautes sphères. Autant dire que Hassoune est devenu un héros dans le monde clos des magistrats marocains – Zorro ou Don Quichotte, c’est selon. Signe que la majorité silencieuse le soutient : il s’est fait triomphalement réélire comme représentant de ses pairs au CSM. Et voilà l’Etat qui le suspend une seconde fois et met sa carrière en péril !
    Le juge Hassoune est un symbole. La semaine dernière, bravant les consignes de discrétion du ministère, il déclarait ouvertement au magazine Nichane : “La réforme de la justice dans laquelle je m’inscris, c’est celle des discours officiels, pas celle des bruits de couloir”. C’est peut-être ce qui le perdra. Mais si la sanction de Hassoune et Amghar est confirmée, quelque chose de plus grave encore pourrait arriver : l’Union Européenne, qui finance notre prétendue “réforme de la justice” à coups de millions d’euros, pourrait elle aussi perdre confiance. Le Maroc, dont la crédibilité internationale est déjà mise à mal par ses mauvais indicateurs socio-économiques, n’a vraiment pas besoin de ça. La balle est dans le camp du ministre de la Justice.



    Telquel
    " Celui qui passe devant une glace sans se reconnaitre, est capable de se calomnier sans s'en apercevoir "
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