Sahara. No country for Ould Salma
Enlevé à 11 ans par des milices du Polisario, l’ancien chef de la police de la “République sahraouie” est aujourd’hui interdit d’accès aux camps de Tindouf. Itinéraire d’un indépendantiste devenu apatride.
Les chances de rejoindre sa famille à Tindouf s’amenuisent pour Mustapha Ould Salma. L’ex- secrétaire général de la police du Polisario est toujours bloqué en Mauritanie, où “il a dû louer une maison à Zouerate, en prévision d’un séjour qui risque de se prolonger”, indiquel’un de ses proches. Après avoir déclaré, depuis Smara au Maroc, sa préférence pour le plan d’autonomie marocain, il se voit désormais interdire par le front indépendantiste l’accès aux camps de Lahmada, où vivent encore son épouse et ses quatre enfants. Après avoir menacé de le poursuivre pour haute trahison, le Polisario propose aujourd’hui à sa petite famille de le rejoindre en Mauritanie… ou au Maroc. “Ma famille n’est pas une marchandise que les responsables du front décident d’exporter ou de garder sur place, affirmait récemment Ould Salma à l’un de ses proches. Je n’ai fait qu’exprimer une opinion politique et j’ai le droit de revenir chez moi. Je mets toutes les instances internationales de défense des droits de l’homme devant leurs responsabilités. Aujourd’hui, je suis dans une situation identique à celle d’Aminatou Haïdar il y a quelques mois”.
La rafle
Tout s’enclenche en juin 2010. Après 31 ans de vie dans les camps, Ould Salma décide de rendre visite à son père à Smara. Il passe la frontière grâce à de fausses pièces d’identité mauritaniennes et circule “librement” dans les grandes villes du Sahara. “C’est une pratique assez courante, indique un observateur. Le Maroc en est conscient mais il laisse faire, surtout lorsqu’il s’agit de visites strictement familiales”. Durant deux mois, notre homme découvre un pays qu’il a quitté à l’âge de 11 ans. Il multiplie les rencontres avec ses cousins (dont six députés et plusieurs hommes d’affaires) et tombe sous le charme du plan marocain d’autonomie. “Evidemment, il a été influencé par ses proches et quelques responsables, mais il est toujours resté indépendant dans ses opinions. D’ailleurs, affirme notre observateur, la conférence de presse qu’il a donnée à Smara a été organisée sous une tente attenante à la maison familiale, et non dans un édifice public ou officiel. Il a ensuite toujours été très clair. Il n’est pas marocain mais sahraoui et, jusqu’à preuve du contraire, sa maison et sa famille se trouvent à Tindouf”. A 42 ans, Ould Salma se retrouve aujourd’hui entre deux feux : sa vie passée dans les camps et la découverte d’un pays, dont il est originaire mais qu’il a appris à haïr sans vraiment le connaître.
Natif de la région de L’mhiriz en 1968, le petit Mustapha fait ses classes primaires à Smara. L’enfant appartient aux Rguibat Bouihat, l’une des familles les plus puissantes et les plus nombreuses des deux côtés de la frontière. Son père a servi dans l’armée de libération avant de rejoindre les FAR en tant que pisteur. En 1979, la famille déménage dans la région de Rbib, 12 km au nord de Smara. En octobre de la même année, le Polisario mène une incursion armée dans la région et rafle 700 civils, dont beaucoup de femmes et enfants. Mustapha Ould Salma est parmi eux. “Dans la panique générale, les populations ne se posaient pas de questions. On les mettait dans des véhicules tout terrain, et ce n’est qu’une fois en Algérie qu’ils découvraient qu’ils ont été enlevés par le Polisario”, explique notre observateur. D’abord installés à l’école du 12 octobre près de Tindouf, les Ould Salma (le fils, la mère ainsi que ses frères et sœurs) sont installés dans un campement baptisé “Wilaya de Smara”. A seulement 11 ans, Mustapha ne comprend pas vraiment ce qu’il lui arrive. Il décroche son certificat d’études primaires dans les camps puis s’envole vers la Libye, poursuivre ses études secondaires. Il n’a plus aucun contact avec son père, resté au Maroc et présenté comme un traître par les idéologues du front. Son bac en poche, Mustapha Ould Salma s’inscrit en sciences physiques à l’Université d’Alger, qu’il quitte avec un DEA en 1990.
Premier flic
De retour aux camps, il est enrôlé dans les rangs de la police civile et poursuit plusieurs stages et formations en Algérie. Le jeune policier gravit alors doucement les échelons de la “fonction publique”. Après un bref passage par la police judiciaire du front, il devient directeur de la sécurité des campements de Laâyoune et de Dakhla au milieu des années 1990. Quelle relation avec son diplôme en physique ? “Aucun, affirme cet ex-membre du Polisario. Ould Salma appartient à une tribu majoritaire et assez influente dans les camps. Il est donc plus habilité à gérer les conflits de terrain et maintenir une sorte de paix sociale”. En 1999, Ould Salma devient directeur général de la police judiciaire à Rabouni, le centre administratif du Polisario. Quelques années plus tard, il accède à la fonction sécuritaire suprême en devenant secrétaire général de la police de la “République sahraouie”. Un corps influent et redoutable qui guette les moindres faits et gestes des habitants civils dans les camps. “La police du Polisario a mis en place un système de contrôle très poussé. Dans chaque camp, un ârifa (équivalent d’un moqaddem) est chargé de surveiller 10 tentes. Tout est donc parfaitement quadrillé et la police sait ce qu’il se passe au sein de chaque famille”, explique notre ex-militant du front.
Jusqu’à la fin des années 1990, Ould Salma n’avait aucun contact avec son père, ni avec sa famille restée au Maroc. Jusqu’à son retour en juin 2010, il a également été un farouche opposant à tout compromis avec le Maroc. “Mais comme plusieurs jeunes cadres du Polisario, il a commencé à se poser plusieurs questions quant à l’issue du conflit et la sincérité de ceux qui ont été les héros de la révolution sahraouie. Son voyage au Maroc et la réaction des dirigeants du Polisario l’ont ensuite confirmé dans ce qu’il pensait et qu’il a fini par déclarer publiquement”, conclut notre observateur.
Riposte. Et maintenant ?
Mustapha Ould Salma en est convaincu : rien dans ses déclarations ne relève de la haute trahison. “Le Polisario a officiellement présenté une proposition de paix incluant un référendum avec trois options, dont l’autonomie élargie. Aujourd’hui, j’ai simplement exprimé mon adhésion à l’une de ces options. La réaction des dirigeants du front met à nu leurs réelles intentions”, affirme Mustapha Ould Salma. Depuis Zouerate où il se trouve actuellement, ce dernier multiplie les contacts avec les organisations internationales et les militants de droits de l’homme pour pouvoir rejoindre sa famille sans être inquiété pour ses opinions politiques. “Je ne suis pas marocain, ni mauritanien. Je suis un citoyen sahraoui et j’ai le droit de rejoindre ma famille dans les camps”, explique l’ex-chef de la police du Polisario. Mais vu que cela paraît de plus en plus improbable, Ould Salma se préparerait à lancer “un courant réformateur” qui mobiliserait les membres de sa tribu aussi bien au Maroc qu’à Tindouf, afin de “mettre à nu les contradictions de l’actuelle direction du Polisario”.
TEL QUEL ONLINE
Enlevé à 11 ans par des milices du Polisario, l’ancien chef de la police de la “République sahraouie” est aujourd’hui interdit d’accès aux camps de Tindouf. Itinéraire d’un indépendantiste devenu apatride.
Les chances de rejoindre sa famille à Tindouf s’amenuisent pour Mustapha Ould Salma. L’ex- secrétaire général de la police du Polisario est toujours bloqué en Mauritanie, où “il a dû louer une maison à Zouerate, en prévision d’un séjour qui risque de se prolonger”, indiquel’un de ses proches. Après avoir déclaré, depuis Smara au Maroc, sa préférence pour le plan d’autonomie marocain, il se voit désormais interdire par le front indépendantiste l’accès aux camps de Lahmada, où vivent encore son épouse et ses quatre enfants. Après avoir menacé de le poursuivre pour haute trahison, le Polisario propose aujourd’hui à sa petite famille de le rejoindre en Mauritanie… ou au Maroc. “Ma famille n’est pas une marchandise que les responsables du front décident d’exporter ou de garder sur place, affirmait récemment Ould Salma à l’un de ses proches. Je n’ai fait qu’exprimer une opinion politique et j’ai le droit de revenir chez moi. Je mets toutes les instances internationales de défense des droits de l’homme devant leurs responsabilités. Aujourd’hui, je suis dans une situation identique à celle d’Aminatou Haïdar il y a quelques mois”.
La rafle
Tout s’enclenche en juin 2010. Après 31 ans de vie dans les camps, Ould Salma décide de rendre visite à son père à Smara. Il passe la frontière grâce à de fausses pièces d’identité mauritaniennes et circule “librement” dans les grandes villes du Sahara. “C’est une pratique assez courante, indique un observateur. Le Maroc en est conscient mais il laisse faire, surtout lorsqu’il s’agit de visites strictement familiales”. Durant deux mois, notre homme découvre un pays qu’il a quitté à l’âge de 11 ans. Il multiplie les rencontres avec ses cousins (dont six députés et plusieurs hommes d’affaires) et tombe sous le charme du plan marocain d’autonomie. “Evidemment, il a été influencé par ses proches et quelques responsables, mais il est toujours resté indépendant dans ses opinions. D’ailleurs, affirme notre observateur, la conférence de presse qu’il a donnée à Smara a été organisée sous une tente attenante à la maison familiale, et non dans un édifice public ou officiel. Il a ensuite toujours été très clair. Il n’est pas marocain mais sahraoui et, jusqu’à preuve du contraire, sa maison et sa famille se trouvent à Tindouf”. A 42 ans, Ould Salma se retrouve aujourd’hui entre deux feux : sa vie passée dans les camps et la découverte d’un pays, dont il est originaire mais qu’il a appris à haïr sans vraiment le connaître.
Natif de la région de L’mhiriz en 1968, le petit Mustapha fait ses classes primaires à Smara. L’enfant appartient aux Rguibat Bouihat, l’une des familles les plus puissantes et les plus nombreuses des deux côtés de la frontière. Son père a servi dans l’armée de libération avant de rejoindre les FAR en tant que pisteur. En 1979, la famille déménage dans la région de Rbib, 12 km au nord de Smara. En octobre de la même année, le Polisario mène une incursion armée dans la région et rafle 700 civils, dont beaucoup de femmes et enfants. Mustapha Ould Salma est parmi eux. “Dans la panique générale, les populations ne se posaient pas de questions. On les mettait dans des véhicules tout terrain, et ce n’est qu’une fois en Algérie qu’ils découvraient qu’ils ont été enlevés par le Polisario”, explique notre observateur. D’abord installés à l’école du 12 octobre près de Tindouf, les Ould Salma (le fils, la mère ainsi que ses frères et sœurs) sont installés dans un campement baptisé “Wilaya de Smara”. A seulement 11 ans, Mustapha ne comprend pas vraiment ce qu’il lui arrive. Il décroche son certificat d’études primaires dans les camps puis s’envole vers la Libye, poursuivre ses études secondaires. Il n’a plus aucun contact avec son père, resté au Maroc et présenté comme un traître par les idéologues du front. Son bac en poche, Mustapha Ould Salma s’inscrit en sciences physiques à l’Université d’Alger, qu’il quitte avec un DEA en 1990.
Premier flic
De retour aux camps, il est enrôlé dans les rangs de la police civile et poursuit plusieurs stages et formations en Algérie. Le jeune policier gravit alors doucement les échelons de la “fonction publique”. Après un bref passage par la police judiciaire du front, il devient directeur de la sécurité des campements de Laâyoune et de Dakhla au milieu des années 1990. Quelle relation avec son diplôme en physique ? “Aucun, affirme cet ex-membre du Polisario. Ould Salma appartient à une tribu majoritaire et assez influente dans les camps. Il est donc plus habilité à gérer les conflits de terrain et maintenir une sorte de paix sociale”. En 1999, Ould Salma devient directeur général de la police judiciaire à Rabouni, le centre administratif du Polisario. Quelques années plus tard, il accède à la fonction sécuritaire suprême en devenant secrétaire général de la police de la “République sahraouie”. Un corps influent et redoutable qui guette les moindres faits et gestes des habitants civils dans les camps. “La police du Polisario a mis en place un système de contrôle très poussé. Dans chaque camp, un ârifa (équivalent d’un moqaddem) est chargé de surveiller 10 tentes. Tout est donc parfaitement quadrillé et la police sait ce qu’il se passe au sein de chaque famille”, explique notre ex-militant du front.
Jusqu’à la fin des années 1990, Ould Salma n’avait aucun contact avec son père, ni avec sa famille restée au Maroc. Jusqu’à son retour en juin 2010, il a également été un farouche opposant à tout compromis avec le Maroc. “Mais comme plusieurs jeunes cadres du Polisario, il a commencé à se poser plusieurs questions quant à l’issue du conflit et la sincérité de ceux qui ont été les héros de la révolution sahraouie. Son voyage au Maroc et la réaction des dirigeants du Polisario l’ont ensuite confirmé dans ce qu’il pensait et qu’il a fini par déclarer publiquement”, conclut notre observateur.
Riposte. Et maintenant ?
Mustapha Ould Salma en est convaincu : rien dans ses déclarations ne relève de la haute trahison. “Le Polisario a officiellement présenté une proposition de paix incluant un référendum avec trois options, dont l’autonomie élargie. Aujourd’hui, j’ai simplement exprimé mon adhésion à l’une de ces options. La réaction des dirigeants du front met à nu leurs réelles intentions”, affirme Mustapha Ould Salma. Depuis Zouerate où il se trouve actuellement, ce dernier multiplie les contacts avec les organisations internationales et les militants de droits de l’homme pour pouvoir rejoindre sa famille sans être inquiété pour ses opinions politiques. “Je ne suis pas marocain, ni mauritanien. Je suis un citoyen sahraoui et j’ai le droit de rejoindre ma famille dans les camps”, explique l’ex-chef de la police du Polisario. Mais vu que cela paraît de plus en plus improbable, Ould Salma se préparerait à lancer “un courant réformateur” qui mobiliserait les membres de sa tribu aussi bien au Maroc qu’à Tindouf, afin de “mettre à nu les contradictions de l’actuelle direction du Polisario”.
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