De la tactique à la stratégie
Mustapha Salma est un homme courageux, mais il n’est pas idiot. Avant de se jeter dans la gueule du loup, il a pris soin de se protéger en ameutant l’opinion publique sur les risques qu’il encourt, alors qu’il ne fait qu’exprimer son opinion – un droit que lui garantit la Déclaration universelle des droits de l’Homme. L’Etat marocain et ses partis lui ont bien sûr offert une formidable caisse de résonance – mais cela ne compte pas, tant leurs arrière-pensées propagandistes sont flagrantes. Les médias et la société civile marocains, eux aussi, s’indignent vivement. Mais dans leur concert de protestations, il est difficile de faire la part de la conviction humaniste et du réflexe nationaliste. En revanche, Human Rights Watch, Amnesty International et autres grandes ONG des droits de l’Homme, sont à cet égard insoupçonnables : en martelant que Mustapha Salma a le droit d’exprimer son opinion, fût-elle dissidente, et en exigeant sa libération immédiate ou un procès crédible, juste et transparent, personne ne peut les accuser d’arrière-pensées.
Les séparatistes, tout comme leurs tuteurs algériens, sont au pied du mur. Soit ils maintiennent Mustapha Salma en détention – confirmant ainsi, face au monde, leur mépris des droits de l’homme ; soit ils le libèrent et le laissent défendre l’option marocaine dans les camps - et ils devront assumer, alors, une déstabilisation certaine de l’impitoyable encadrement propagandiste qu’ils ont tissé, depuis 35 ans, autour de la population des camps. Le Polisario a beau chercher à faire diversion en rappelant que le Maroc, lui aussi, détient des prisonniers d’opinion indépendantistes, cela ne fonctionne pas. Parce que les plus connus d’entre eux, à savoir les membres du groupe Tamek, ont été judicieusement blanchis de l’accusation d’ “intelligence avec l’ennemi”. Quant aux autres, encore faut-il prouver qu’il s’agit bien de prisonniers d’opinion. C’est loin d’être gagné, et de toute façon, cela n’excuse en rien ce que le Polisario fait endurer à Mustapha Salma, pour délit d’opinion caractérisé.
Notre diplomatie a fait du beau boulot ! C’est le coup Aminatou Haïdar à l’envers. Mais (car il y a toujours un “mais” en toute chose)…. ce n’est, justement, qu’un “coup”. Au meilleur des cas, cela embarrassera le Polisario pendant quelques mois, avant que l’opinion internationale passe à autre chose. C’est ainsi que le conflit du Sahara fonctionne depuis le cessez-le-feu en 1991 : un coup à droite, un coup à gauche, dans une guerre d’usure partie pour durer éternellement. Si le Maroc veut réellement renverser la tendance, au-delà des petits avantages tactiques ponctuels, il devra garantir un réel climat de liberté d’expression au Sahara. Que les indépendantistes s’y expriment de tout leur soûl, sans subir aucune tracasserie policière (ce qui est encore systématiquement le cas aujourd’hui). Qu’un vrai débat contradictoire s’engage sur l’avenir du Sahara, parmi les Sahraouis, sans interférence de Rabat. Ce n’est qu’ainsi que nous donnerons aux Sahraouis un avant-goût de ce qu’est vraiment la démocratie. Ce n’est qu’ainsi que le Maroc arrivera à les séduire, honnêtement et durablement, et à faire prévaloir, in fine, sa souveraineté indiscutable sur ce territoire trop longtemps réprimé. Le Maroc sera-t-il capable de passer des tactiques ponctuelles truffées d’arrière-pensées, à une stratégie pérenne fondée sur d’authentiques intentions démocratiques ? Au-delà du cas Mustapha Salma, voilà le véritable challenge. Le relever requiert, de la part de nos hauts responsables, de la maturité et de la sincérité. A l’heure actuelle, ce n’est pas leur point fort. Gageons, par pur souci d’optimisme, que rien n’est irréversible…
Ahmed R. Benchemsi
(ALEX DUPEYRON)
(ALEX DUPEYRON)
L’affaire Mustapha Salma, c’est le coup Aminatou Haidar à l’envers. Tactiquement, c’est bien joué de la part du Maroc. Mais, stratégiquement, cela ne fait pas avancer le dossier Sahara d’un iota.
LL’affaire Mustapha Salma Ould Sidi Mouloud est, désormais, une grosse épine dans le pied du Polisario et de l’Algérie. Et un fort joli coup joué par le Maroc. Pour rappel, ce cadre de la police du Polisario avait annoncé publiquement, en août dernier à Smara, son soutien au plan
LL’affaire Mustapha Salma Ould Sidi Mouloud est, désormais, une grosse épine dans le pied du Polisario et de l’Algérie. Et un fort joli coup joué par le Maroc. Pour rappel, ce cadre de la police du Polisario avait annoncé publiquement, en août dernier à Smara, son soutien au plan
d’autonomie du Sahara proposé par Rabat. Mais contrairement aux ralliés habituels, qui font allégeance au trône et s’installent au Maroc aux frais de l’Etat, Mustapha Salma, lui, a décidé de retourner dans les camps du Polisario pour y défendre l’option marocaine. Qu’il soit instrumentalisé ou pas, on ne peut dénier à cet homme son courage admirable. Il savait pertinemment que dès qu’il remettrait les pieds à Tindouf, il s’y ferait arrêter séance tenante. C’est ce qui s’est effectivement produit, sous l’inculpation d’“espionnage et intelligence avec l’ennemi”. Haute trahison, en somme. Mais cette accusation ne tient pas. A-t-on déjà vu un traître revenir de plein gré parmi ceux qu’il a trahis ?
Mustapha Salma est un homme courageux, mais il n’est pas idiot. Avant de se jeter dans la gueule du loup, il a pris soin de se protéger en ameutant l’opinion publique sur les risques qu’il encourt, alors qu’il ne fait qu’exprimer son opinion – un droit que lui garantit la Déclaration universelle des droits de l’Homme. L’Etat marocain et ses partis lui ont bien sûr offert une formidable caisse de résonance – mais cela ne compte pas, tant leurs arrière-pensées propagandistes sont flagrantes. Les médias et la société civile marocains, eux aussi, s’indignent vivement. Mais dans leur concert de protestations, il est difficile de faire la part de la conviction humaniste et du réflexe nationaliste. En revanche, Human Rights Watch, Amnesty International et autres grandes ONG des droits de l’Homme, sont à cet égard insoupçonnables : en martelant que Mustapha Salma a le droit d’exprimer son opinion, fût-elle dissidente, et en exigeant sa libération immédiate ou un procès crédible, juste et transparent, personne ne peut les accuser d’arrière-pensées.
Les séparatistes, tout comme leurs tuteurs algériens, sont au pied du mur. Soit ils maintiennent Mustapha Salma en détention – confirmant ainsi, face au monde, leur mépris des droits de l’homme ; soit ils le libèrent et le laissent défendre l’option marocaine dans les camps - et ils devront assumer, alors, une déstabilisation certaine de l’impitoyable encadrement propagandiste qu’ils ont tissé, depuis 35 ans, autour de la population des camps. Le Polisario a beau chercher à faire diversion en rappelant que le Maroc, lui aussi, détient des prisonniers d’opinion indépendantistes, cela ne fonctionne pas. Parce que les plus connus d’entre eux, à savoir les membres du groupe Tamek, ont été judicieusement blanchis de l’accusation d’ “intelligence avec l’ennemi”. Quant aux autres, encore faut-il prouver qu’il s’agit bien de prisonniers d’opinion. C’est loin d’être gagné, et de toute façon, cela n’excuse en rien ce que le Polisario fait endurer à Mustapha Salma, pour délit d’opinion caractérisé.
Notre diplomatie a fait du beau boulot ! C’est le coup Aminatou Haïdar à l’envers. Mais (car il y a toujours un “mais” en toute chose)…. ce n’est, justement, qu’un “coup”. Au meilleur des cas, cela embarrassera le Polisario pendant quelques mois, avant que l’opinion internationale passe à autre chose. C’est ainsi que le conflit du Sahara fonctionne depuis le cessez-le-feu en 1991 : un coup à droite, un coup à gauche, dans une guerre d’usure partie pour durer éternellement. Si le Maroc veut réellement renverser la tendance, au-delà des petits avantages tactiques ponctuels, il devra garantir un réel climat de liberté d’expression au Sahara. Que les indépendantistes s’y expriment de tout leur soûl, sans subir aucune tracasserie policière (ce qui est encore systématiquement le cas aujourd’hui). Qu’un vrai débat contradictoire s’engage sur l’avenir du Sahara, parmi les Sahraouis, sans interférence de Rabat. Ce n’est qu’ainsi que nous donnerons aux Sahraouis un avant-goût de ce qu’est vraiment la démocratie. Ce n’est qu’ainsi que le Maroc arrivera à les séduire, honnêtement et durablement, et à faire prévaloir, in fine, sa souveraineté indiscutable sur ce territoire trop longtemps réprimé. Le Maroc sera-t-il capable de passer des tactiques ponctuelles truffées d’arrière-pensées, à une stratégie pérenne fondée sur d’authentiques intentions démocratiques ? Au-delà du cas Mustapha Salma, voilà le véritable challenge. Le relever requiert, de la part de nos hauts responsables, de la maturité et de la sincérité. A l’heure actuelle, ce n’est pas leur point fort. Gageons, par pur souci d’optimisme, que rien n’est irréversible…
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