Le nationalisme algérien vu par les services de renseignement français : l’œil du cyclone (1946-1954).
Nous remercions notre compatriote B. Abdelwahab pour l’envoi de cet excellent travail de recherche du Dr J.C Jauffret que nous publions à l’approche de l’anniversaire du 1er novembre 54.
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Dr. Jean-Charles JAUFFRET
I.E.P d’Aix-en-Provence
22 Juin 2006.
Au lendemain de la loi d’amnistie du 9 mars 1946 qui met un terme à la sévère répression de l’acte un de la guerre d’Algérie, l’insurrection du Nord-Constantinois en mai 1945[1], un axiome perdure dans les services publics français et une grande partie de la presse : l’ordre règne en Algérie. Et ce jusqu’aux surprises du 1er novembre 1954, deuxième acte du conflit algérien marqué par la longue Guerre de Libération nationale.
Mais que savait-on alors des aspirations des Algériens à la liberté entre ces deux dates ? Les représentants de la puissance coloniale emploient le terme de nationalisme et non de nation algérienne, et encore moins d’« individualité nationale » comme le fit Ben Badis dès 1925 avant de répondre, onze ans plus tard, à Ferhat Abbas dans une diatribe célèbre [2]. Pourtant, c’est bien d’un peuple en devenir qu’il s’agit, dans cet œil du cyclone, ce faux calme entre deux bourrasques de l’histoire. Par quels moyens les politiques français, tant à Paris qu’à Alger, percevaient-ils les aspirations des Français de souche nord-africaine (FSNA), pour reprendre une expression administrative de l’époque ? Poser cette question, c’est s’intéresser aux services de renseignements en s’interrogeant sur la prise en considération de leurs informations, sans négliger le poids des évolutions de la décolonisation, du panarabisme[3], la solidarité maghrébine et d’autres facteurs extérieurs, que nous avons par ailleurs développés dans plusieurs études[4]. En d’autres termes, la « Toussaint rouge » n’a-t-elle pas été annoncée par une série d’alertes et d’analyses des intentions des divers mouvements dits nationalistes, d’événements qui ont précédé la fin de l’année 1953, date à partir de laquelle se perçoit un emballement des actions jugées comme étant déjà « terroristes » ? Pour ce faire, nous reprendrons en la complétant une étude fondamentale menée sous notre direction et publiée en 1998, le tome deux de La guerre d’Algérie par les documents : les portes de la guerre, 1946- 1954[5].
Quel renseignement ?
En dehors de la magistrale thèse sur le renseignement opérationnel menée à bien par Raphaëlle Branche [6], l’étude des services des renseignements en est encore à ses débuts et ne concerne que la période 1954-1962 du conflit algérien [7]. On conçoit, dès lors, combien il peut être utile de s’intéresser aux années les moins connues du conflit algérien, entre 1946 et 1954, à partir de quels outils et selon quelles méthodes ?
Par renseignement, il faut concevoir une somme d’informations adressée tant aux politiques qu’aux responsables militaires comme aide à la prise de décision, en ayant toujours à l’esprit cette limite : surtout en temps de paix, il est souvent plus difficile de faire prendre un renseignement en considération que de l’acquérir par des moyens humains - agents infiltrés ou « honorables correspondants » -, la contrainte (voir ci-après), ou les écoutes radio[8].
Il convient également d’éviter le travers de l’omnipotence des services de renseignement et les fausses pistes sur lesquelles le chercheur peut s’égarer s’il ne fait pas attention au respect le plus strict de la chronologie. Ces services naviguent le plus souvent à l’aveuglette et ont parfois tendance à se donner le beau rôle en constituant leurs notes de synthèse afin de convaincre le politique de la pertinence de leurs analyses. Autre défaut, surtout en temps de guerre, ils ont parfois tendance à perdre leur rôle d’avertissement pour celui de courtisan en cherchant, dans l’actualité ou la prospective, ce qui pourrait conforter la ligne de conduite des autorités supérieures. À cette critique des sources, il faut joindre aussi une autre considération. Avant novembre 1954 et les prémices du Centre de coordination interarmées et du Centre de renseignement et d’opérations (CRO), créé le 30 décembre 1954, qui centralisent enfin les renseignements, les Services de renseignement (SR) forment une nébuleuse aux compartiments nécessairement étanches qui relève moins d’un conflit interne que d’un souci d’éviter les fuites.
Nous remercions notre compatriote B. Abdelwahab pour l’envoi de cet excellent travail de recherche du Dr J.C Jauffret que nous publions à l’approche de l’anniversaire du 1er novembre 54.
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Dr. Jean-Charles JAUFFRET
I.E.P d’Aix-en-Provence
22 Juin 2006.
Au lendemain de la loi d’amnistie du 9 mars 1946 qui met un terme à la sévère répression de l’acte un de la guerre d’Algérie, l’insurrection du Nord-Constantinois en mai 1945[1], un axiome perdure dans les services publics français et une grande partie de la presse : l’ordre règne en Algérie. Et ce jusqu’aux surprises du 1er novembre 1954, deuxième acte du conflit algérien marqué par la longue Guerre de Libération nationale.
Mais que savait-on alors des aspirations des Algériens à la liberté entre ces deux dates ? Les représentants de la puissance coloniale emploient le terme de nationalisme et non de nation algérienne, et encore moins d’« individualité nationale » comme le fit Ben Badis dès 1925 avant de répondre, onze ans plus tard, à Ferhat Abbas dans une diatribe célèbre [2]. Pourtant, c’est bien d’un peuple en devenir qu’il s’agit, dans cet œil du cyclone, ce faux calme entre deux bourrasques de l’histoire. Par quels moyens les politiques français, tant à Paris qu’à Alger, percevaient-ils les aspirations des Français de souche nord-africaine (FSNA), pour reprendre une expression administrative de l’époque ? Poser cette question, c’est s’intéresser aux services de renseignements en s’interrogeant sur la prise en considération de leurs informations, sans négliger le poids des évolutions de la décolonisation, du panarabisme[3], la solidarité maghrébine et d’autres facteurs extérieurs, que nous avons par ailleurs développés dans plusieurs études[4]. En d’autres termes, la « Toussaint rouge » n’a-t-elle pas été annoncée par une série d’alertes et d’analyses des intentions des divers mouvements dits nationalistes, d’événements qui ont précédé la fin de l’année 1953, date à partir de laquelle se perçoit un emballement des actions jugées comme étant déjà « terroristes » ? Pour ce faire, nous reprendrons en la complétant une étude fondamentale menée sous notre direction et publiée en 1998, le tome deux de La guerre d’Algérie par les documents : les portes de la guerre, 1946- 1954[5].
Quel renseignement ?
En dehors de la magistrale thèse sur le renseignement opérationnel menée à bien par Raphaëlle Branche [6], l’étude des services des renseignements en est encore à ses débuts et ne concerne que la période 1954-1962 du conflit algérien [7]. On conçoit, dès lors, combien il peut être utile de s’intéresser aux années les moins connues du conflit algérien, entre 1946 et 1954, à partir de quels outils et selon quelles méthodes ?
Par renseignement, il faut concevoir une somme d’informations adressée tant aux politiques qu’aux responsables militaires comme aide à la prise de décision, en ayant toujours à l’esprit cette limite : surtout en temps de paix, il est souvent plus difficile de faire prendre un renseignement en considération que de l’acquérir par des moyens humains - agents infiltrés ou « honorables correspondants » -, la contrainte (voir ci-après), ou les écoutes radio[8].
Il convient également d’éviter le travers de l’omnipotence des services de renseignement et les fausses pistes sur lesquelles le chercheur peut s’égarer s’il ne fait pas attention au respect le plus strict de la chronologie. Ces services naviguent le plus souvent à l’aveuglette et ont parfois tendance à se donner le beau rôle en constituant leurs notes de synthèse afin de convaincre le politique de la pertinence de leurs analyses. Autre défaut, surtout en temps de guerre, ils ont parfois tendance à perdre leur rôle d’avertissement pour celui de courtisan en cherchant, dans l’actualité ou la prospective, ce qui pourrait conforter la ligne de conduite des autorités supérieures. À cette critique des sources, il faut joindre aussi une autre considération. Avant novembre 1954 et les prémices du Centre de coordination interarmées et du Centre de renseignement et d’opérations (CRO), créé le 30 décembre 1954, qui centralisent enfin les renseignements, les Services de renseignement (SR) forment une nébuleuse aux compartiments nécessairement étanches qui relève moins d’un conflit interne que d’un souci d’éviter les fuites.
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