Le malaise est perceptible dans les camps : la situation aussi bien politique que sociale s'est dégradée.
Le cas Mustapha Salma Ould Sidi Mouloud est une épine dans le pied du Polisario et pourrait faire tache d'huile.
Le Maroc et le Polisario se battent pour la première fois à armes égales sur le terrain des droits de l'Homme.
Une situation délicate à gérer : celle des activistes de l'intérieur qui entendent manifester.
Et c’est reparti pour un tour. Alors qu’elle était subitement devenue amnésique lors de l’arrestation, le mardi 22 septembre, de Mustapha Salma Ould Sidi Mouloud, la machine médiatique espagnole s’est de nouveau mise en marche. Les médias ont tenu à accompagner une quinzaine d’activistes espagnols, conduits par la vedette de cinéma Willy Toledo. Ils se qualifient d’«observateurs», et ont fait le voyage depuis Alger avec un groupe de 27 séparatistes de l’intérieur, pour débarquer en territoire marocain. Ces derniers font eux-mêmes partie d’un groupe de 70 activistes, qui a participé, les 25 et 26 septembre à Alger, à une conférence internationale consacrée au Polisario sur le thème de «La résistance des peuples».
Que viennent-ils faire au Maroc ? Réda Taoujni, président de l’Association Sahara marocain (ASM), prévient : «C’est un plan d’action préparé à long terme, à en juger par l’organisation, les moyens matériels mis à la disposition des séparatistes et son timing. Ce premier groupe arrivé dans la nuit du lundi à mardi (27 au 28 septembre) à Laâyoune sera suivi d’autres qui devraient regagner le Maroc les jours suivants. Ces séparatistes de l’intérieur qui seront répartis entre les villes de Dakhla, Boujdour, Smara… auront pour mission de provoquer les autorités locales dans les villes du Sahara».
Le Maroc devra alors faire face à un défi. «Comment leur interdire de manifester publiquement et exprimer ouvertement leur opinion sur le Sahara au moment où le pays réclame la libération de Mustapha Salma Ould Sidi Mouloud afin que ce dernier puisse, justement, s’exprimer librement et promouvoir le projet d’autonomie dans les camps de Tindouf ?», s’interroge le président de l’ASM. Mais le Maroc en a vu d’autres, et si l’on suppose que la parole sera libre, la manifestation, elle, devra respecter le cadre légal.
La 65e session de l'Onu, un prétexte pour allumer des feux
«Il ne faut pas s’alarmer pour autant», tempère Noureddine Bilali, un des membres fondateurs du Polisario et qui a rallié le Maroc depuis des années. Cet ancien diplomate de la pseudo-République arabe sahraouie démocratique (RASD), sait de quoi il parle : «Nous sommes en pleine session [la 65e] de l’Assemblée générale de l’ONU et à la veille de la tenue de la réunion périodique de la 4e commission appelée à se pencher sur la question. Il est donc normal que le Polisario, soutenu par l’Algérie, mobilise tous ses moyens pour créer un climat de tension dans les provinces du sud en vue d’attirer davantage l’attention de l’opinion internationale». Car en réalité, assure cet ancien cadre du Polisario, c’est dans les camps de Tindouf que la crise bat son plein et jamais elle n’a été aussi aiguë. De fait, tous les ingrédients d’un malaise social et politique y sont réunis. «Le Polisario vient de reporter, sine die, son prochain congrès, le XIIIe.
Il a suspendu sans préavis les visites entre familles sahraouies des deux côtés supervisées par le HCR, et ses jeunes, que des doctrines désormais révolues ne séduisent plus, choisissent de plus en plus de rallier le Maroc. Même sur le plan international, le nombre des Etats qui le soutiennent ne cesse de diminuer», affirme l’ancien diplomate de la RASD. Il convient de rappeler à cet effet que quatre pays de la région des Caraïbes avaient décidé, à fin août dernier, de retirer leur reconnaissance à la pseudo-république. Le cas Mustapha Salma Ould Sidi Mouloud vient compléter le tableau de la désagrégation. Car, assure Noureddine Bilali, «c’est la première fois qu’une telle occasion se présente. Et pour la première fois dans l’histoire de ce conflit, le Maroc change de stratégie et fait des questions humanitaires et du respect des droits de l’homme son cheval de bataille». Les deux parties se livrent donc aujourd’hui bataille sur un même terrain. Seulement, c’est dans les camps de Tindouf où la situation est de loin la plus compliquée.
Des inégalités sociales qui attisent les tensions dans les camps
«Toutes les informations qui nous parviennent des camps de Tindouf le confirment. La population vit une situation pour le moins difficile. Et cela, à tous les niveaux : politique, social et humanitaire», affirme Abdelmajid Belghazal, acteur associatif basé à Laâyoune et fin connaisseur de la question. Ce que Mustapha Naïmi, professeur universitaire et spécialiste de la région du Sahara, qualifie de «malaise structurel». Ainsi, sur le plan politique, la direction du Polisario bute sur une situation de blocage. Abdelmajid Belghazal explique : «Le Polisario demeure opposé à toute solution politique, les négociations se sont arrêtées, l’éventualité de la reprise des hostilités n’est plus qu’une chimère et les Sahraouis sont de plus en plus convaincus que les thèses de leurs dirigeants ne tiennent plus la route. Le report du congrès du Front n’est d’ailleurs qu’une des manifestations de cet enlisement politique».
Au niveau social, la situation ne semble pas plus reluisante. «Depuis que les grands donateurs ont imposé le recensement de la population des camps comme préalable à l’octroi de dons, le volume de derniers a nettement diminué. Certains pays ont réduit de moitié les quantités des subsides envoyées», affirme notre interlocuteur. Ceci a, bien entendu, eu des répercussions directes sur le train de vie d’une tranche de la population.
Car, il faut le dire, tous les habitants de Tindouf ne vivent pas le même calvaire et c’est ce qui amplifie le malaise. Un état de fait qui remonte à deux décennies déjà et qui s’est accentué. Flash-back : «Immédiatement après le cessez-le-feu de 1991, le Polisario a commencé à vivre une série de conflits internes sur fond de course au pouvoir. La direction a peu à peu lâché du lest et certains cadres ont profité de ce laxisme pour se lancer dans toutes sortes de trafics, la contrebande des aides humanitaires en particulier. Cette activité a permis l’émergence d’une nouvelle classe sociale. Les signes d’opulence sont de plus en plus manifestes : des maisons construites par ces cadres d’abord à Tindouf, ensuite à Zouirate (Mauritanie) et même des appartements acquis aux Iles Canaries en font partie. La contrebande faisait également travailler des jeunes, jusque-là désœuvrés. Bref, l’époque où tout le monde mangeait à la même gamelle est révolue», affirme Abdelmajid Belghazal.
Or, même l’opportunité, donnée à certains, de s’enrichir par le biais de la contrebande est aujourd’hui menacée.
L’apparition dans la zone du Sahel de la «filiale» maghrébine d’Al Qaïda (AQMI) vient changer la donne. Cette zone où évoluaient les trafiquants du Polisario (entre le sud de l’Algérie et le nord de la Mauritanie et du Mali) est devenue très surveillée par les puissances occidentales, qui y voient un foyer d’instabilité et une source de terrorisme. «L’Algérie s’est alors empressée de retirer les moyens logistiques (les véhicules) à ces cadres du Front. Et cette activité qui faisait vivre un grand nombre de familles s’est arrêtée net. Ce qui explique en partie le retour en grand nombre, ces derniers temps, au Maroc de jeunes sahraouis (NDLR: selon les statistiques officielles, une grande partie des quelque 1 500 Sahraouis qui ont rallié le Maroc depuis le mois de mai dernier est formée de jeunes). Ceci accentue davantage la précarité dans laquelle vit la population des camps», analyse Belghazal. Ce qui, soit dit en passant, fait dire à ce dernier que le Maroc «devrait abandonner cette politique d’encouragement de ralliement en masse des habitants des camps. Cela ne ferait qu’augmenter le taux de chômage dans les provinces du sud et créer des problèmes d’ordre social. Les autorités devraient plutôt opter pour une stratégie de ralliement “politique” de cadres et personnalités du Polisario. Un cadre qui renonce aux thèses du Polisario pour défendre le Plan d’autonomie est de loin plus profitable au Maroc».
Enfin, autre manifestation de ce malaise social, poursuit Belghazal, tous ces jeunes -et ils se comptent par milliers- envoyés par le Polisario faire leurs études en Europe ou en Amérique Latine, surtout ceux qui ont évolué dans des pays plus ou moins démocratiques redécouvrent, dès leur retour, la dure réalité des camps. Ils repartent aussitôt vers leurs anciens pays d’accueil ou vers l’Espagne pour leur majorité. Conséquence : les camps manquent cruellement en cadres, surtout en médecins. En somme, les camps connaissent une situation sociale et humanitaire des plus précaires.
Suite à venir
Le cas Mustapha Salma Ould Sidi Mouloud est une épine dans le pied du Polisario et pourrait faire tache d'huile.
Le Maroc et le Polisario se battent pour la première fois à armes égales sur le terrain des droits de l'Homme.
Une situation délicate à gérer : celle des activistes de l'intérieur qui entendent manifester.
Et c’est reparti pour un tour. Alors qu’elle était subitement devenue amnésique lors de l’arrestation, le mardi 22 septembre, de Mustapha Salma Ould Sidi Mouloud, la machine médiatique espagnole s’est de nouveau mise en marche. Les médias ont tenu à accompagner une quinzaine d’activistes espagnols, conduits par la vedette de cinéma Willy Toledo. Ils se qualifient d’«observateurs», et ont fait le voyage depuis Alger avec un groupe de 27 séparatistes de l’intérieur, pour débarquer en territoire marocain. Ces derniers font eux-mêmes partie d’un groupe de 70 activistes, qui a participé, les 25 et 26 septembre à Alger, à une conférence internationale consacrée au Polisario sur le thème de «La résistance des peuples».
Que viennent-ils faire au Maroc ? Réda Taoujni, président de l’Association Sahara marocain (ASM), prévient : «C’est un plan d’action préparé à long terme, à en juger par l’organisation, les moyens matériels mis à la disposition des séparatistes et son timing. Ce premier groupe arrivé dans la nuit du lundi à mardi (27 au 28 septembre) à Laâyoune sera suivi d’autres qui devraient regagner le Maroc les jours suivants. Ces séparatistes de l’intérieur qui seront répartis entre les villes de Dakhla, Boujdour, Smara… auront pour mission de provoquer les autorités locales dans les villes du Sahara».
Le Maroc devra alors faire face à un défi. «Comment leur interdire de manifester publiquement et exprimer ouvertement leur opinion sur le Sahara au moment où le pays réclame la libération de Mustapha Salma Ould Sidi Mouloud afin que ce dernier puisse, justement, s’exprimer librement et promouvoir le projet d’autonomie dans les camps de Tindouf ?», s’interroge le président de l’ASM. Mais le Maroc en a vu d’autres, et si l’on suppose que la parole sera libre, la manifestation, elle, devra respecter le cadre légal.
La 65e session de l'Onu, un prétexte pour allumer des feux
«Il ne faut pas s’alarmer pour autant», tempère Noureddine Bilali, un des membres fondateurs du Polisario et qui a rallié le Maroc depuis des années. Cet ancien diplomate de la pseudo-République arabe sahraouie démocratique (RASD), sait de quoi il parle : «Nous sommes en pleine session [la 65e] de l’Assemblée générale de l’ONU et à la veille de la tenue de la réunion périodique de la 4e commission appelée à se pencher sur la question. Il est donc normal que le Polisario, soutenu par l’Algérie, mobilise tous ses moyens pour créer un climat de tension dans les provinces du sud en vue d’attirer davantage l’attention de l’opinion internationale». Car en réalité, assure cet ancien cadre du Polisario, c’est dans les camps de Tindouf que la crise bat son plein et jamais elle n’a été aussi aiguë. De fait, tous les ingrédients d’un malaise social et politique y sont réunis. «Le Polisario vient de reporter, sine die, son prochain congrès, le XIIIe.
Il a suspendu sans préavis les visites entre familles sahraouies des deux côtés supervisées par le HCR, et ses jeunes, que des doctrines désormais révolues ne séduisent plus, choisissent de plus en plus de rallier le Maroc. Même sur le plan international, le nombre des Etats qui le soutiennent ne cesse de diminuer», affirme l’ancien diplomate de la RASD. Il convient de rappeler à cet effet que quatre pays de la région des Caraïbes avaient décidé, à fin août dernier, de retirer leur reconnaissance à la pseudo-république. Le cas Mustapha Salma Ould Sidi Mouloud vient compléter le tableau de la désagrégation. Car, assure Noureddine Bilali, «c’est la première fois qu’une telle occasion se présente. Et pour la première fois dans l’histoire de ce conflit, le Maroc change de stratégie et fait des questions humanitaires et du respect des droits de l’homme son cheval de bataille». Les deux parties se livrent donc aujourd’hui bataille sur un même terrain. Seulement, c’est dans les camps de Tindouf où la situation est de loin la plus compliquée.
Des inégalités sociales qui attisent les tensions dans les camps
«Toutes les informations qui nous parviennent des camps de Tindouf le confirment. La population vit une situation pour le moins difficile. Et cela, à tous les niveaux : politique, social et humanitaire», affirme Abdelmajid Belghazal, acteur associatif basé à Laâyoune et fin connaisseur de la question. Ce que Mustapha Naïmi, professeur universitaire et spécialiste de la région du Sahara, qualifie de «malaise structurel». Ainsi, sur le plan politique, la direction du Polisario bute sur une situation de blocage. Abdelmajid Belghazal explique : «Le Polisario demeure opposé à toute solution politique, les négociations se sont arrêtées, l’éventualité de la reprise des hostilités n’est plus qu’une chimère et les Sahraouis sont de plus en plus convaincus que les thèses de leurs dirigeants ne tiennent plus la route. Le report du congrès du Front n’est d’ailleurs qu’une des manifestations de cet enlisement politique».
Au niveau social, la situation ne semble pas plus reluisante. «Depuis que les grands donateurs ont imposé le recensement de la population des camps comme préalable à l’octroi de dons, le volume de derniers a nettement diminué. Certains pays ont réduit de moitié les quantités des subsides envoyées», affirme notre interlocuteur. Ceci a, bien entendu, eu des répercussions directes sur le train de vie d’une tranche de la population.
Car, il faut le dire, tous les habitants de Tindouf ne vivent pas le même calvaire et c’est ce qui amplifie le malaise. Un état de fait qui remonte à deux décennies déjà et qui s’est accentué. Flash-back : «Immédiatement après le cessez-le-feu de 1991, le Polisario a commencé à vivre une série de conflits internes sur fond de course au pouvoir. La direction a peu à peu lâché du lest et certains cadres ont profité de ce laxisme pour se lancer dans toutes sortes de trafics, la contrebande des aides humanitaires en particulier. Cette activité a permis l’émergence d’une nouvelle classe sociale. Les signes d’opulence sont de plus en plus manifestes : des maisons construites par ces cadres d’abord à Tindouf, ensuite à Zouirate (Mauritanie) et même des appartements acquis aux Iles Canaries en font partie. La contrebande faisait également travailler des jeunes, jusque-là désœuvrés. Bref, l’époque où tout le monde mangeait à la même gamelle est révolue», affirme Abdelmajid Belghazal.
Or, même l’opportunité, donnée à certains, de s’enrichir par le biais de la contrebande est aujourd’hui menacée.
L’apparition dans la zone du Sahel de la «filiale» maghrébine d’Al Qaïda (AQMI) vient changer la donne. Cette zone où évoluaient les trafiquants du Polisario (entre le sud de l’Algérie et le nord de la Mauritanie et du Mali) est devenue très surveillée par les puissances occidentales, qui y voient un foyer d’instabilité et une source de terrorisme. «L’Algérie s’est alors empressée de retirer les moyens logistiques (les véhicules) à ces cadres du Front. Et cette activité qui faisait vivre un grand nombre de familles s’est arrêtée net. Ce qui explique en partie le retour en grand nombre, ces derniers temps, au Maroc de jeunes sahraouis (NDLR: selon les statistiques officielles, une grande partie des quelque 1 500 Sahraouis qui ont rallié le Maroc depuis le mois de mai dernier est formée de jeunes). Ceci accentue davantage la précarité dans laquelle vit la population des camps», analyse Belghazal. Ce qui, soit dit en passant, fait dire à ce dernier que le Maroc «devrait abandonner cette politique d’encouragement de ralliement en masse des habitants des camps. Cela ne ferait qu’augmenter le taux de chômage dans les provinces du sud et créer des problèmes d’ordre social. Les autorités devraient plutôt opter pour une stratégie de ralliement “politique” de cadres et personnalités du Polisario. Un cadre qui renonce aux thèses du Polisario pour défendre le Plan d’autonomie est de loin plus profitable au Maroc».
Enfin, autre manifestation de ce malaise social, poursuit Belghazal, tous ces jeunes -et ils se comptent par milliers- envoyés par le Polisario faire leurs études en Europe ou en Amérique Latine, surtout ceux qui ont évolué dans des pays plus ou moins démocratiques redécouvrent, dès leur retour, la dure réalité des camps. Ils repartent aussitôt vers leurs anciens pays d’accueil ou vers l’Espagne pour leur majorité. Conséquence : les camps manquent cruellement en cadres, surtout en médecins. En somme, les camps connaissent une situation sociale et humanitaire des plus précaires.
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