- Par Ammar KOROGHLI*
Paris. Aéroport d’Orly. Contrôle des plus stricts. Toujours pas de produits liquide dans les bagages à mains. Veste pliée en quatre dans un bac. Idem pour les clés, téléphones portables et tout ce qui est métal. Et les agents ne badinent pas avec ces consignes. Les caméscopes et appareils photos sont passés au scan. Beaucoup plus que le contrôle des documents de voyage, le contrôle s’exerce davantage sur les bagages que sur les personnes.
Attente pour l’embarquement. Certains sont fébriles. Pour quelques minutes de retard. Impatients, certains interrogent du regard les cadrans des tableaux magnétiques affichant les destinations et l’heure du départ. Des enfants jouent sans prêter attention à la nervosité des adultes. L’insouciance est sans doute le meilleur antidote contre le stress. Après une vingtaine de minutes de retard sur l’horaire affiché, nous pûmes embarquer. Passage obligé par le long corridor installé à cet effet. Sourires d’accueil des stewards et hôtesses de bord.
Assis, chacun peut enfin attendre l’annonce du décollage. Un regard en avant et en arrière de l’avion permet de constater aisément qu’il est plus qu’à demi vide. Ou à demi plein, c’est selon. De quoi s’interroger légitimement : pourquoi donc notre compagnie nationale de navigation ne procède t-elle pas à des promotions systématiques, notamment en période estivale, pour permettre à la fois à beaucoup de voyager. Et à Air Algérie de vendre plus de billets. Faut-il croire qu’elle préfère la vente à prix coûtant plutôt que la rentabilité ? Nos voisins marocains et tunisiens pratiquent des prix nettement plus compétitifs. Au profit des citoyens comme des compagnies.
Voyage sans encombre. Repas à bord coutumier. Lyophilisé. Servir les journaux serait également une pratique des plus corrects. J’eus pour lecture « Regard blessé » de mon défunt ami Rabah Belamri. Il me replongea dans les souvenirs d’enfance. La guerre et ses abominations. L’indépendance et ses querelles pour le pouvoir. Et les affres des croyances ancestrales qui sans doute coûtèrent la vue à notre auteur… Quelques cris d’enfants par moments mordaient le silence. Grimaces de mes voisins somnolents. Rêver quelques instants encore aux proches et amis qui nous attendent. Jusqu’à ce qu’une voix suave féminine nous annonce que bientôt nous allions atterrir à l’aéroport de Sétif. Avec plus de dix degrés qu’à Paris. Atterrissage normal. Sortie en petits groupes, chacun s’empressant de regagner la porte où nous attend le contrôle douanier. Somme toute correct. Peut-être un effort pour nous souhaiter la bienvenue dans notre pays. Si possible avec le sourire. Un sourire ne coûte rien et met du baume au cœur. A la sortie, le souffle chaud de la gaïla nous permet de prendre le pouls de la température. Chaleur tempérée par un air sec. L’altitude de Stif y est pour quelque chose.
Juste à côté de l’aéroport une gazouza avec l’ami Yazid. Et vogue la galère pour revoir la ville natale. Il me servit amicalement de guide. Qu’il en soit remercié… Arrivé la maison située dans l’un des plus vieux immeubles de la ville, El Djenane. Il date des années soixante. La vétusté se mesure à l’œil nu. Murs largement décrépis. Pas de ravalement depuis des lustres. Les escaliers affichent l’arrogance du ciment effrité et du fer. Un danger permanent pour les gamins comme pour les personnes âgées. Et toujours pas de lumière le soir. Depuis belle lurette, l’installation électrique et les ampoules ne font plus partie du décor. Une agression est toujours possible. En rentrant chaque soir, on peut avoir l’impression de renouveler au quotidien le sentiment de guet-apens permanent. Un point positif tout de même, la plantation d’arbres par les jeunes. Initiative louable s’il en fut. Un effort est souhaitable pour installer des bancs publics et surtout des aires de jeux pour enfants. La rumeur publique veut que la décision a été prise pour leur démolition. Les immeubles de Diar Ennakhla ont déjà inauguré ce cycle.
Chacun de mes voisins arrange comme il peut son intérieur. Carrelage, peinture des murs. A vrai dire, il s’agit de véritables cages à poules. Petites superficies pour familles nombreuses. Le soir, on dort presque côte à côte. La promiscuité tue tout droit à la plus élémentaire intimité. Un espace amoindri qui fait office de salon, de salle à manger et de chambre à coucher. Point de cuisine si ce n’est un mètre carré avec souvent l’éternelle tabouna pour cuire ses aliments et sa kesra ou son matlou3. Ce semblant de cuisine est contiguë aux toilettes. L’hygiène est de moindre souci. Le potager, rectangle d’une vingtaine de centimètres sert à la mère pour laver sa salade et son poulet et à tous pour faire les ablutions pour la prière ; y compris pour laver ses pieds… Cinquante ans après, je revis les mêmes horreurs. Insupportable. Inacceptable. Surtout lorsque les plus hautes autorités ne cessent de nous seriner que les grands équilibres macro-économiques sont atteints, que la dette extérieure a été réglée et que les caisses de l’Etat sont désormais plaines. Surtout que la ville s’est agrandie de quelques nouveaux immeubles, voire de nouvelles cités (El Hidhab par exemple). Surtout que juste en face de ces immeubles promis à la destruction (si ce n’est par décision des autorités locales, en tous les cas par celle certaine du temps), d’autres ont pu édifier quelques palaces somptueux pourvus de dix à quinze pièces.
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