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Le tendre métier de «donneur de fatwa»
par Kamel Daoud
Le Haut conseil islamique, instance administrative de l'Islam «officiel», vient de faire l'effort d'un communiqué inopportun mais très révélateur. Il y dénonce la réédition des caricatures danoises et les «atteintes à l'Islam» par les non jeûneurs de ce dernier ramadan et dont quelques-uns vont subir un verdit ce 05 octobre. En ce qui concerne les caricatures danoises, on aura compris que c'est la preuve de l'oisiveté. Le HCI, qui ne dit rien lorsqu'un policier ou un gendarme se fait assassiner par une bombe de l'ex-GSPC dans la Kabylie, qui n'a rien à dire sur les cadavres de harraga rejetés par la mer près de Mostaganem ou sur le reste du reste, trouve à redire sur les caricatures danoises. Un problème qui se pose au Danemark, loin de chez nous et de nos soucis comme les imams sous cultivés, les tensions sur les rites, l'invasion satellitaire des Chouyoukhs talk-show. En ce qui concerne le second volet, «l'atteinte à l'Islam» par des casse-croutes, on aura compris que le HCI veut peser sur les juges et le verdict de demain. Grave dérive après la dissolution du FIS. D'où deux questions : d'abord, c'est quoi le HCI ? Un «Haut Conseil». Une sorte d'instance en principe pas politique ni administrative, qui se doit d'accompagner l'exercice du culte par un exercice de l'autorité plus ou moins morale et cléricale. Avec la montée de l'islamisme assis, cette instance se cherche donc déjà une vocation politique et s'intéresse apparemment à l'exercice du Pouvoir par le biais du registre populiste et de la fatwa indirecte. Sauf que, comme Soltani, le patron du MSP qui n'ose faire de l'opposition que lorsqu'on parle du passeport biométrique ou des rumeurs sur son fils, le HCI s'intéresse si peu à ce qui se passe en Algérie qu'il a fini par s'intéresser à ce qui se passe au Danemark. D'où la seconde question : pourquoi les musulmans, des musulmans se sentent-ils si menacés qu'ils se proclament victimes là où ils vont et même chez eux ? Réponse possible : l'Islam est une religion, les musulmans sont une nationalité. Aujourd'hui, le seul moyen de cacher qu'on est des pays misérables, des pouvoirs morbides, des économies sinistrées, des cultures ridicules et des histoires nationales mortes et faiblardes, c'est de se proclamer musulman et donc de répéter que l'Islam est attaqué en se cachant derrière. On dénonce le fait qu'on ne peut pas construire une mosquée à Moscou mais on détruit la moindre muraille d'une église construite dans un pays comme le nôtre. On ne s'oppose pas aux dictatures quotidiennes, les manques de liberté, la pauvreté ou l'analphabétisme et la sous culture, mais on va tous publier des fatwas sur des caricatures au Danemark. L'Islam sert à chercher Dieu pour aboutir à l'homme, à aller au Paradis, à expliquer son univers, à se gausser d'une histoire qu'on n'a pas faite, à fonder une civilisation mais il sert aussi, désormais, à se cacher de la vie, à attaquer l'Occident, à ne rien faire de sa journée dans le cadre de l'économie globale, à regarder les Chinois travailler, à dire n'importe quoi, à faire porter le voile à la femme et au cerveau et s'installer dans l'oisiveté ou pirater des avions ou s'asseoir en attendant le jugement dernier ou tuer des touristes.
A l'évidence, si on était des gens forts, riches, heureux, puissants, intelligents, inventeurs du Windows et de la roue, capables d'aller sur la Lune en un après-midi et aptes à la paix et la magnanimité, personne ne parlerait «d'atteinte à l'Islam», d'islamophobie, de religion attaquée et d'Occident qui ne nous aime pas. Chacun saurait séparer l'exercice de sa foi avec les évidences du monde.
Une dernière question : qui a attaqué en premier : les musulmans ou les Occidentaux ? Selon les Occidentaux, ce sont les musulmans dès le 11 septembre et bien avant. Pour des musulmans, les Occidentaux attaquent depuis si longtemps, volent, mangent nos récoltes et grignotent nos territoires. Est-ce vrai ? Oui et non. Il y a maldonne : l'Homme blanc a «attaqué» des gens faibles, des pays à genoux et des royaumes risibles, pas une religion, et si Bush a dit le contraire c'est parce que ses inspirateurs ont compris le profit à tirer en déplaçant une guerre de prédations de ressources sur le plan de la guerre des religions. El Qaïda n'attaque pas l'impérialisme occidental mais l'Occident dans le cadre de son mythe des contre-croisades. Bien sûr, ce genre de réflexion peut faire aboutir à la conclusion fausse de Malek Bennabi : si nous étions de vrais musulmans, nous ne serions pas colonisables. Faux : nous avons été colonisables car de tout ce que Dieu nous a donné, il ne nous restait qu'un ânonnement. L'histoire punit ceux qui se contentent de l'éternité.
Le Quotidien d'Oran
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