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Patrimoine historique et archéologique en péril en Kabylie

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  • Patrimoine historique et archéologique en péril en Kabylie

    Il est assez connu de tous que chaque puissance coloniale, ayant réussi à pénétrer dans les entrailles de notre pays, a commencé par effacer les traces de celle qui l’a précédée. Les archéologues ont mis au jour des cités turques construites sur les ruines de vieilles villes bâties par le grand empire de Rome, il y a de cela presque deux millénaires.

    L’armée napoléonienne, qui a débarqué avec armes et bagages en 1830 sur la plage de Sidi Ferruch (actuelle Sidi Fredj), à l’ouest de la capitale Alger, n’a pas dérogé à la règle.

    Malgré les actes destructeurs qu’ont subis des œuvres architecturales, d’une valeur historique, artistique et archéologique inestimable, des hommes armés de bonne volonté ont pu sauver ce qui en restait pour reconstituer notre propre histoire qui est aussi celle de nos ancêtres qui ont régné depuis des millénaires sur l’antique Numidie.

    Ce patrimoine, qui constitue le socle de notre identité et la mémoire génétique de notre civilisation, est victime des mêmes pratiques que de ceux qui ne voyaient en l’Algérie que ses ressources naturelles. Il est clair que l’écriture de notre histoire commence par la sauvegarde des archives des évènements qui ont marqué le quotidien de plusieurs générations d’hommes et de femmes à travers des millénaires. Ces pierres, soigneusement taillées et scrupuleusement sculptées, ces peintures rupestres que l’usure du temps n’a pas réussi à effacer des parois rocheuses dans des grottes obscures, etc. sont des témoins vivants, parfois plus fiables que la parole des hommes qui leur ont donné vie. Azeffoun ou Rusazus, ou encore Port Gueydon sont là pour en apporter la preuve.

    Mais qui s’en soucie aujourd’hui ?..

    «Parti d’Europe pour rencontrer un monde différent, Lévi-Strauss y est revenu avec, pour seul bagage, le désenchantement», écrivait le journaliste du Nouvel Observateur Jean-Paul Enthoven à propos du fondateur de l’anthropologie structurale, au lendemain de sa disparition fin 2009, à l’âge de 101 ans.

    Le sentiment de désenchantement n’envahit pas seulement les chercheurs en le patrimoine humain comme cet ethnologue et anthropologue français qui a assisté, la mort dans l’âme, à la longue agonie des dernières sociétés primitives indiennes, dans la dense forêt amazonienne.

    Il en est de même pour celui qui aura la curiosité de fouiller dans le passé archéologique d’Azeffoun, cité maritime située à 65 km au nord-est de la wilaya de Tizi Ouzou et à environ 175 km à l’est de la capitale Alger.

    La culture du «tout-béton» qui avance sur les terres agricoles comme les laves d’un volcan en permanente éruption, et la transformation des plages entières au sable doré en de vastes déserts de galets n’ont pas épargné les vestiges d’une civilisation millénaire dont il ne reste que des masses de pierres pour remonter la machine du temps.

    Les «Allées couvertes» du village d’Aït Rehouna, surplombant à 220 mètres d’altitude la grande bleue, illustrent l’état d’abandon auquel est réduite une partie du patrimoine matériel de l’Algérie.

    Ces monuments funéraires mégalithiques, qui datent d’environ 5 000 ans, selon des spécialistes en le domaine, ont subi un préjudice considérable durant ces dernières décennies à cause de l’urbanisation effrénée et anarchique qu’a connue, depuis l’indépendance, ce hameau de presque un millier d’habitants.

    En dévalant Tighilt (la cime) en direction du village voisin des Aït El-Hocine, il est quasi impossible de remarquer la présence de ces immenses nécropoles, uniques dans toute l’Afrique du Nord, à cause de la forte densité de la broussaille et des arbrisseaux. En dehors des huit Allées couvertes recensées à Aït Rehouna dans la daïra d’Azeffoun (Tizi Ouzou) et de six autres à Ibarissen, dans la commune de Toudja (Béjaïa), aucun monument funéraire du genre n’a été encore découvert par les chercheurs ailleurs, dans les autres régions du pays ou dans les pays voisins, la Tunisie et le Maroc.

    A Aït Rehouna, il existerait peut-être d’autres «tombes géantes» que la dense végétation couverait comme une mère protégeant son enfant du mauvais œil. Mais ce qui a été déjà découvert comme «tombes» se trouve dans un état de dégradation avancé à cause des tailleurs de pierres qui ont utilisé, pour leurs maisons, les dalles ayant servi de matière première pour la construction de ces nécropoles.

    Si les secousses telluriques ont contribué à la dégradation progressive du site, la main de l’homme a accéléré le processus de démantèlement.

    La vigilance de certains citoyens de la région n’a pas empêché l’implantation d’une carrière d’agrégats qui a provoqué, à son tour, un énième glissement du sol, engloutissant des parties importantes de ces «Allées couvertes» et ce qu’elles auraient contenu comme des fragments d’ossements humains, à côté desquels étaient enterrés différents outils artisanaux (vases, verres, assiettes et toutes sortes d’ustensiles de cuisine fabriqués à base d’argile), des bijoux et autres objets en métal.

    L’usage de la dynamite, dans une carrière qui était exploitée en 2006 pour la réalisation des travaux des deux ports d’Azeffoun et de Tigzirt, a failli réduire le site en une montagne rocheuse quelconque.

    Le peu d’objets et d’ossements récupérés en 1967, par un pharmacien français, Claude Missou, propriétaire d’une pharmacie à Tizi Ouzou, ont été égarés à cause de la négligence des responsables concernés de l’époque, auxquels il avait remis même une copie des résultats écrits de ses recherches sur sur les lieux.

    En 1985, la tentative de certains villageois de protéger le site, en clôturant ces Allées avec l’aide de la mairie d’Azeffoun, a lamentablement échoué.

    Depuis, le pillage de pierres taillées auquel se sont livrés certains villageois pour décorer les façades de leurs nouvelles bâtisses ou pour leur commercialisation n’a pas cessé, suscitant encore une fois l’ire de la nouvelle génération de jeunes qui se sont constitués en 1993 en association culturelle pour défendre ce qu’ils considèrent comme un patrimoine commun de tous les citoyens d’Azeffoun et comme une véritable source de développement touristique dans cette région côtière où l’agriculture n’est pas le meilleur moyen de répondre aux besoins socioéconomiques d’une population en perpétuelle quête d’autres sources de survie, en dehors de la pêche, des services et du commerce.

    Le secteur hôtelier n’attirant la clientèle que lorsque la mer accepte d’accueillir ces milliers d’estivants le temps d’un été où le tourisme culturel ne trouve pas encore ses adeptes en Algérie.

    En dehors des études effectuées donc par un chercheur français, Gabriel Camps, qui travaillait pour le compte du CNRS en 1954, aucune étude sérieuse n’a été menée, notamment après l’indépendance de l’Algérie.

    Aux yeux de la population locale qui a pris conscience de l’importance de la préservation de ces «Allées couvertes», il est inadmissible que les institutions universitaires, culturelles et administratives, censées protéger et étudier ce que recèlent ces monuments, n’assument pas leur rôle. Une raison de plus pour laquelle de jeunes universitaires, membres de l’association culturelle Ivahriyen, ont décidé de saisir la Direction de la culture de la wilaya de Tizi Ouzou qui a fini par élaborer en 2009 un dossier complet proposant au ministère de tutelle le classement du site archéologique d’Aït Rehouna en tant que patrimoine national protégé.

    Rencontré au gré du hasard au niveau du musée national du Bardo, à Alger, l’un des anthropologues affectés pour la confection du dossier du classement du site, Smail Idir (chercheur protohistoire au Centre national de recherches préhistoriques anthropologiques et historiques d’Alger), a déclaré que le projet est en bonne voie au niveau du ministère de la Culture.

    Le dossier en question prévoyait la clôture et la protection d’une superficie équivalente à plus de 383 hectares. Un plan délimitant et recensant l’endroit où se trouvent les huit tombes, découvertes jusqu’à ce jour, a été réalisé pour empêcher toute nouvelle construction à l’intérieur du site. Mais depuis un an, aucune nouvelle sur l’avancée de l’étude de ce dossier n’est encore parvenue aux habitants du village.

    Les deux agents affectés par l’antenne archéologique régionale de Tigzirt ne peuvent en aucun cas assurer pleinement leur tâche de surveiller et débroussailler à proximité et autour de ces tombes, difficiles à retrouver au milieu d’une végétation très dense.

    Comme le souligne encore Jean-Paul Enthoven, dans le même article, «Levi Strauss a erré à la recherche d’un monde que nous avons perdu», en faisant allusion aux civilisations qui ont peuplé le continent sud-américain avant l’arrivée des conquistadors au début de la seconde moitié du premier millénaire.

    Pour le site d’Aït Rehouna, toute perte de temps risque de faire perdre aux futures générations les empreintes d’une communauté berbère qui n’avait pas attendu l’arrivée des envahisseurs pour accéder à la civilisation.

  • #2
    L’ancienne Rusazus ou Thaddart Uzeffun tombe en ruine

    Rusazus (Grand cap), Port Gueydon (du nom de l’amiral français Comte Louis Henri de Gueydon - gouverneur général de l’Algérie d’avril 1871 à juin 1873), Thaddart Uzeffoun ou tout simplement Azeffoun village : ces noms résument à eux seuls la riche histoire de cette petite bourgade de Kabylie qui fait face à la Méditerranée. Le nom Azeffoun viendrait du berbère uzzaf qui désigne une colline de forme conique isolée.

    Situé à 500 mètres au-dessus du niveau de la mer, ce village a été bâti par les Phéniciens puis les Romains y ont installé leur citadelle, dominant la vue des quatre coins de la zone entourant le plateau qui a accueilli aussi les Phéniciens dont les traces de la présence sont encore visibles dans les étroites rues de Rusazus. Ces ruines qui portent en elles des pages entières de l’histoire de la région se trouvent malheureusement menacées de disparition par l’avancée du béton comme c’est le cas à Aït R’houna.

    A la place centrale du village, Aznik N’tadarth, les niches voûtées que les habitants désignent sous le nom de Leghwirane s’effritent dans l’indifférence générale. Seule la partie supportant la vieille mosquée du village, construite en pierres et dénommée Al Djamaa El Kvir, a été entretenue mais en utilisant toujours du ciment, ce qui enlaidit considérablement ce bijou architectural nécessitant un délicat entretien de la part des spécialistes de la sauvegarde du patrimoine.

    A noter que la mosquée dispose d’un minaret construit entièrement en utilisant la pierre taillée. Unique endroit d’où on peut aussi bien voir la mer (nord et nord-est) et le sublime mont forestier du Tamgout (sud), ce minaret serait, à l’origine, une guérite pour surveiller l’intrusion des étrangers dans le village. Il a été restauré par l’empereur romain Septime Sévère (193-211) sous le règne duquel l’ascendance non romaine d’origine provinciale a fait son entrée au pouvoir. Septime Sévère était le seul empereur né dans ce qui était appelé à l’époque la Province d’Afrique.

    Autour de Djamaa El-Kvir, des maisons kabyles en ruine offrent au visiteur ce mélange de brassage des cultures et des traditions architecturales dont peu de gens se soucient aujourd’hui. Mais à Thaddart Uzeffoun, il n’y a pas que ces niches à entretenir. Les thermes ou el hammam (classés patrimoine national en 1903 par la force coloniale), sont une autre merveille architecturale témoignant de la forte présence romaine dans la région.

    Ces thermes ont été édifiés à proximité d’un immense château dont il ne reste aujourd’hui que quelques murs menaçant ruine, au milieu d’un champ privé non surveillé. Sur place, on constate que ce vieux fortin de couleur rouge brique est envahi depuis longtemps par les arbres et toutes sortes de plantes grimpantes.

    La légende locale raconte qu’un ancien roi avait promis de marier sa fille au prétendant capable d’acheminer de l’eau jusqu’à ce Rusazus.

    Deux prétendants se sont donc lancés dans cette gigantesque entreprise. L’un d’eux a entamé la construction d’une grande conduite, sur environ trois à quatre kilomètres, allant jusqu’à la mer. Cet homme a creusé un long tunnel qu’il confortait avec de la pierre mais il n’a pu le terminer avant son concurrent qui a choisi de ramener cette source de vie d’une source naturelle située sur les hauteurs du mont Tamgout, distant d’une vingtaine de kilomètres de l’antique Rusazus.

    Le deuxième prétendant a eu l’idée d’agencer deux pierres, taillées en demi-cercle, pour construire une conduite d’une longueur de presque 25 km. Les traces des deux conduites sont encore visibles aujourd’hui.

    A Azeffoun village, il existe aussi des puits, de petites cuvettes qui ont servi de réserves pour la préservation de toutes sortes d’aliments, en cas de disette ou en temps de guerre à l’époque où les Romains tentaient d’avancer davantage sur l’antique Numidie. Vers le cimetière de Sidi Abderahim, d’où s’offre une vue extraordinaire sur la grande bleue, le long mur ceinturant cette cité romaine disparaît progressivement et ces pierres ont été réutilisées dans la construction de nouvelles maisons, a-t-on encore constaté.

    Entre ce mur et le cimetière, un terrain vague que les villageois allaient exploiter pour la réalisation d’un stade renferme des vestiges d’une inestimable valeur archéologique. «Nous avons entamé les travaux de terrassement d’un stade à cet endroit mais nous sommes tombés sur les traces de ce qui pourrait être un grands village romain», explique Moh-Akli, un habitant d’Azeffoun, mécanicien de métier mais amoureux de l’histoire de sa région. C’était aussi le cas, au centre du village, lorsque des jeunes ont voulu préparer l’assiette de terrain pour l’implantation du siège de leur association culturelle qu’ils voulaient d’ailleurs créer afin de participer à la sauvegarde du patrimoine matériel et immatériel de leur hameau.

    D’autres habitants ont affirmé avoir trouvé, à maintes reprises, des restes d’objets artisanaux, des morceaux de tuile, etc. aucun d’eux ne se rappelle toutefois avoir vu débarquer des archéologues ou autres spécialistes en la matière pour effectuer des fouilles sérieuses. Le risque aujourd’hui, même si le processus de destruction des vestiges avait déjà été entamé depuis des décennies, c’est de voir disparaître complètement l’ancienne Rusazus sous les nouvelles constructions. Ce qui rendra impossible toute fouille comme c’est le cas à Djemaa Saharidj, dans la localité de Mekla, dans l’est de la wilaya de Tizi Ouzou. Pendant des siècles, les allées couvertes d’Aït Rehouna, les ruines romaines d’Azeffoun ou encore celle de la localité voisine de Tigzirt ont résisté à l’usure du temps on ne sait par quel miracle mais l’extravagance du monde moderne a causé plus de dégâts que ce qu’on aurait pu imaginer.

    Des sites archéologiques en perdition à Azeffoun

    A Azeffoun, petite ville balnéaire à environ 175 km à l’est d’Alger, la culture du «tout-béton» qui avance n’a pas épargné les vestiges d’une civilisation millénaire dont il ne reste que des masses de pierres. Des monuments funéraires mégalithiques, datant d’environ 5 000 ans, sont à l’abandon. Certains sites sont uniques en Afrique. Aucun monument funéraire du genre n’a encore été découvert dans les autres régions du pays ou dans les pays voisins. Pourtant, ce patrimoine attend toujours la classification qui le protégerait.

    Une loi pour protéger le patrimoine

    Le premier texte de loi concernant la protection du patrimoine matériel à être adopté par l’Algérie indépendante remonte à 1967. Il s’agit de l’ordonnance n°67-281, relative aux fouilles et à la protection des sites et monuments historiques et naturels. Une nouvelle loi sera promulguée 31 ans plus tard, en 1998, qui sera accompagnée de décrets exécutifs :
    - loi n°98-04 du 15 juin 1998 relative à la protection du patrimoine culturel
    1 – décret exécutif n°03-323 du 15/10/2003, portant maîtrise d’œuvre relative aux biens culturels immobiliers protégés
    2 - décret exécutif n°03-323 du 15/10/2003, portant modalités d’établissement du plan de protection et de mise en valeur des sites archéologiques
    3 - décret exécutif n°03-324 du 15/10/2003, portant modalités d’établissement du plan permanent de sauvegarde et de mise en valeur des secteurs sauvegardés
    4 - décret exécutif n°03-325 du 15/12/2003, fixant les modalités de stockage des biens culturels immatériels
    5 - décret exécutif n°05-488 du 22/10/2005, portant transformation de la nature juridique de l’Agence nationale d’archéologie et de protection des sites et monuments historiques
    6 - décret exécutif n°05-490 du 22/12/2005, fixant les modalités d’exercice du droit de réintégration du locataire dans les biens immeubles culturels protégés à usage commercial, artisanal, professionnel compris, dans un secteur sauvegardé
    7 - décret exécutif n°05-491 du 22/12/2005, portant création d’un centre national de recherche en archéologie.

    Mais s’agit-il seulement d’établir des lois dont le résultat sur le terrain demeure très mitigé et parfois nul, lorsqu’on voit l’état de délabrement de nombreux sites historiques qui ne tiennent debout que grâce à des initiatives purement citoyennes.

    L’université algérienne forme annuellement des dizaines de jeunes archéologues qui finissent, dans leur majorité, par devenir des enseignants dans des lycées ou décrochent des visas d’études pour continuer leur cursus universitaire à l’étranger. Pour certains, au mieux ils atterrissent dans l’une des institutions dédiées à la sauvegarde du patrimoine historique, archéologue et naturel, comme les musées, le parc national de l’Ahaggar à Djanet (sud) ou dans les bureaux des Directions de la culture des différentes wilayas du pays.

    Par la Tribune

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