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Le banquier qui «fait le travail de Dieu»

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  • Le banquier qui «fait le travail de Dieu»

    Par Ammar Belhimer
    [email protected]

    La crise financière du capitalisme de l’automne 2008 a accentué un peu plus les tendances monopolistiques du système. De nos jours, le nouvel état-major de l’impérialisme mondial est réduit à quelques caïds comme Goldman Sachs, JP Morgan, Barclays, Crédit Suisse et Deutsche Bank. Tous les autres établissements financiers survivants du ressac sont passés dans le second cercle.
    Le nouvel oligopole nourri par les recapitalisations publiques — opérées au prix d’un alourdissement des dettes des Etats —, la liquidation de centaines de grosses banques concurrentes, la mise en faillite de larges secteurs industriels et la ruine de nombreux autres spéculateurs et gros épargnants, un tel oligopole est le produit le plus élaboré de l’abolition du Glass-Steagall Act(*) en 1999 et de la déréglementation totale des places financières qui l’a précédé depuis le milieu des années 1980. Si Goldman Sachs est le grand gagnant de la crise, c’est parce qu’il a réussi à tisser une toile d’araignée «qui unit le cœur de la haute banque d’affaires aux décideurs de Washington, Paris, Bruxelles ou Pékin. Ou de Londres, le centre de cette nébuleuse qu’est la City». Marc Roche, journaliste financier français du quotidien Le Monde, en poste successivement à New York, Bruxelles, Washington et Londres, vient de consigner ses connaissances approfondies du milieu dans un bel ouvrage LA banque : comment Goldman Sachs dirige le monde(**). Lloyd Blankfein, le P-dg de Goldman Sachs, qui règne sur la finance mondiale dans le plus grand secret, a raison de dire : «Je ne suis qu’un banquier qui fait le travail de Dieu». Jugez-en par vous-mêmes ! «Goldman est partout : la faillite de la banque Lehman Brothers, la crise grecque, la chute de l’euro, la résistance de la finance à toute régulation, le financement des déficits et même la marée noire du golfe du Mexique», nous dit Marc Roche. On pourrait ajouter aussi : la famine en Afrique, les sauterelles au Sahel et le terrorisme dans le monde arabo-islamique ! On verra plus loin pourquoi. Banque d’affaires, Goldman est sur tous les fronts avec un appétit insatiable : la vente de titres obligataires émis par les multinationales, la maîtrise des privatisations comme des fusions-acquisitions, la gestion d’actifs, le marché des actions, la banque-conseil, le trading d’obligations et de matières premières, etc. Goldman Sachs — le saint des saints de la finance internationale – est sur tous les fronts. En 1999, il est aux côtés du gouvernement grec qui le rémunère grassement en qualité de banque d’affaires chargée d’«optimiser la gestion» de ses comptes – de fait maquiller ses bilans et dissimuler l’ampleur de ses déficits — afin de pouvoir adhérer à la monnaie unique (l’euro) conformément aux critères édictés par le Traité de Maastricht (dette inférieure à 60 % du PIB et déficit budgétaire sous les 3 %). Dans l’affaire, c’en est vraiment une, Goldman Sachs aura servi de «passeur» à un passager clandestin de l’union monétaire européenne. La traversée a emprunté un moyen de transport que les radars de la surveillance financière européenne ont mis du temps à déceler. En effet, Goldman Sachs a pu faire arriver le voyageur à bon port en mettant au point un système de couverture de risque appelé Credit Default Swaps (CDS), qu’on peut définir comme des contrats d’assurance sur une dette garantissant au créancier qu’il sera remboursé même si son débiteur se défausse : «Ils offrent donc aux investisseurs la possibilité de limiter les risques associés à des obligations, qu’elles soient émises par des Etats ou des entreprises. Autre avantage : le marché de gré à gré de cet instrument financier est fabuleux». Traduisez par «fabuleux» : se prête à la spéculation la plus effrénée, hors de toute publicité, à l’abri des regards, loin des places boursières et de leurs règles contraignantes. Comme le relève Marc Roche, «étonnante absence d’image publique quand on sait que, par ses interventions tous azimuts (spéculation, OPA, hedge funds, capital-investissement…), la maison pèse indirectement sur le circuit économique des produits de consommation et modèle l’existence de chacun.» Ainsi donc, Goldman Sachs aura perçu une double rémunération : comme banquier-conseil d’Athènes et en spéculant sur la dette de ce pays, avant de le faire contre l’euro. Marc Roche revient avec force détails sur un autre épisode marquant de l’actualité financière : l’OPA de Mittal Steel sur Arcelor en 2006, une bataille qui s’est soldée par «une victoire écrasante des marchés et une défaite humiliante des politiques», notamment français. L’OPA menée d’une main de maître par Goldman aura été une guerre sans concession et une victoire complète du sidérurgiste indien contre la vieille Europe industrielle. Plus près de nous, la crise des subprimes, ou crédits hypothécaires, révèle une autre face diabolique de la banque. En 2005, en pleine euphorie boursière, elle met au point un produit financier basé sur un portefeuille de créances comprenant essentiellement des subprimes, donc des crédits hypothécaires à risque. Ces collateralized debt obligations (CDO) sont frappés d’un nom de code latin : Abacus. Un an plus tard, en décembre 2006, la banque décide de se délester progressivement de ses avoirs en crédits immobiliers, provoquant quasi instantanément la faillite d’une petite caisse hypothécaire américaine (Ownit Mortgage). Cela met du même coup la puce à l’oreille de Goldman pour la suite des événements : elle se débarrasse aussitôt de ses subprimes toxiques – alors qu’au même moment Abacus, l’habile montage de son ingénierie financière, prospère : ses concurrents Bear Stearns, Lehman, Merrill Lynch, Citigroup ou AIG accumulent des portefeuilles toxiques de l’ordre de centaines de milliards de dollars. Moralité de la chose : à quel titre un banquier refuserait-il de vendre à ses clients ce qu’ils réclament comme produit financier ? Lorsque les concurrents faillis découvrent le subterfuge, il est déjà trop tard et la plupart d’entre eux sont soit déjà enterrés soit trop honteux à reconnaître avoir été aussi dupes. La banque allemande IKB, par exemple, compte entreprendre une procédure en réparation à la suite d’une perte colossale enregistrée après ses achats d’Abacus ! Pour Marc Roche, «ces baroudeurs qui sont de tous les coups tordus, se considèrent comme des corsaires, pas des pirates. Dans les faits, c’est l’inverse. D’un côté, au service de son client, Goldman Sachs affrète le navire, remplit ses soutes, engage l’équipage, finance le voyage. De l’autre, en pleine mer, ses propres flibustiers attaquent le même bâtiment, le pillent, le coulent». A ce genre de reproches, relayés par le sénateur américain Levin, le 27 avril 2010 – lors des fameux hearings sur la crise - le patron de Goldman Sachs, Lloyd Blankfein, réplique avec un sang froid extraordinaire. Le sénateur Lévin : - Votre employé lui-même (il parle de son adjoint, le Français Fabrice Tourre – ndlr) dit que ce procédé est merdique. Vous les vendez à vos clients sans les en informer, puis vous misez contre. N’y a-t-il pas là conflit d’intérêts ? Lloyd Blankfein : - Dans le contexte des marchés, il n’y a pas de conflit. Chacun choisit le risque qu’il prend. L’arrogance de Goldman Sachs se comprend : elle sait sur qui compter pour avoir méthodiquement placé ses hommes aux postes-clés des gouvernements. Il place A Washington, le secrétaire au Trésor de George W. Bush, Hank Paulson, qui était l'ancien Pdg de Goldman alors qu’aujourd’hui ses anciens dirigeants entourent Tim Geithner… le secrétaire au Trésor d'Obama. L'Europe n'échappe pas à ses filets : sont passés par elle certains anciens commissaires européens (Mario Monti, Peter Sutherland), un ancien de la Bundesbank (Otmar Issing) et Mario Draghi, actuel gouverneur de la Banque centrale italienne et patron du Conseil de stabilité financière chargé de – tenez-vous bien ! — coordonner les efforts mondiaux de régulation. Le monde est entre de bonnes mains.
    A. B.
    (*) Héritée des années 1930, cette législation opérait une séparation hermétique entre les banques commerciales ordinaires et les établissements d’investissement (selon la terminologie anglosaxonne) ou banques d’affaires (selon l’expression européenne).
    (**) Marc Roche, LA banque : comment Goldman Sachs dirige le monde, Aldin Michel, Paris 2010, 310 pages.
    The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill
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