En une semaine, les deux vieux ennemis ont annoncé des augmentations massives de leurs réserves de brut. Sans qu’on voie pour l’instant ce qui légitime de telles hausses…
L’Irak a fait état lundi 4 octobre d’une très forte augmentation de ses réserves de brut dites “prouvées”. Le ministre du pétrole irakien, Hussein Chahristani, a affirmé que son pays disposait de réserves exploitables de 143,1 milliards de barils. Un chiffre supérieur de 25 % aux estimations précédentes.
Au passage, cette réévaluation a permis à l’Irak de ravir à son voisin iranien le troisième rang parmi les détenteurs des plus vastes réserves de pétrole de la planète (derrière l’Arabie Saoudite et le Venezuela). Très provisoirement.
Nouveau coup de théâtre une semaine plus tard. A Téhéran, le lundi 11, le ministre du pétrole iranien, Massoud Mirkazemi, annonce lors d’une conférence de presse que l’Iran dispose de réserves s’élevant à 150,31 milliards de barils, contre 138 milliards précédemment. Du coup, l’Iran repasse devant l’Irak. Le ministre iranien précise que ce chiffre pourrait encore être relevé très bientôt, rapporte l’agence Reuters.
Ce qui ressemble “presque à de la surenchère” (selon l’euphémisme de l’expert de référence Amrita Sen) intervient alors que doit se tenir jeudi 14 une réunion de l’Opep, l’Organisation des pays exportateurs de pétrole.
[DR Boulder Daily Camera]
Les quotas de production de l’Opep prennent en compte le montant des réserves de pétrole de ses pays membres : plus on déclare de réserves, plus on a le droit de produire de pétrole.
Le pétrogéologue Jean Laherrère, ancien patron des techniques d’extraction du groupe Total et co-fondateur de l’ASPO, l’Association pour l’étude du ‘peak oil‘, réagit pour [oil man] aux hausses annoncées par l’Irak et l’Iran : “Il est évident que les réserves des pays de l’Opep sont entièrement politiques, car les quotas sont basés sur les réserves déclarées. Le but est de produire au maximum. On triche donc sur le montant des réserves.”
Quel crédit accorder aux augmentations aussi spectaculaires et qu’inattendues annoncées par l’Irak puis pas l’Iran ?
Citée par l’AFP, la fondatrice du site spécialisé IraqOilforum, Rouba Housari, déclare que l’annonce du gouvernement irakien “est une surprise car peu d’activités ont été conduites pour la justifier”. Cette annonce devrait soulever des questions au sein de l’Opep “quant à la méthodologie employée pour confirmer les nouvelles réserves”, note cette experte.
Qui sait ? Bagdad et Téhéran présenteront peut-être les preuves géologiques et techniques expliquant leurs augmentations. Il s’agirait alors d’une première.
D’abord une évidence : malgré leur importance cruciale pour l’économie mondiale, il n’y aura jamais d’audit extérieur sur l’état des réserves de pays membres du cartel l’Opep (pas plus d’ailleurs que sur les réserves annoncées par les grandes compagnies internationales).
Retournons 25 ans en arrière. En 1985, les pays de l’Opep décident pour la première fois d’indexer leurs quotas de production sur le montant des réserves qu’ils déclarent. On est alors en plein contre-choc pétrolier : les prix du baril sont bas, et les pays producteurs ont soif de cash. Notamment l’Iran et l’Irak, en guerre à l’époque.
Résultat : entre 1985 et la première guerre du Golfe, en 1991, les principaux pays de l’Opep ont presque doublé en moyenne le montant de leurs réserves.
De 1987 à 1988, l’Iran est passé de 49 Gb à 93 Gb (+ 90 %). La même année, l’Irak a doublé le montant de ses propres réserves. Puis au cours des 8 années suivantes, Saddam Hussein a déclaré que son pays disposait de 100,0 milliards de barils. Tout ronds.
Le total des hausses déclarées à l’époque par les principaux membres de l’Opep s’élève à près de 300 milliards de barils (Gb), soit plus que les réserves aujourd’hui revendiquées par l’Arabie Saoudite (264 Gb).
Sadad Al-Husseini, ex n°2 de l’Aramco, la compagnie pétrolière saoudienne, déclarait en 2007 que ces 300 Gb de réserves supplémentaires étaient “exagérées”, précisant qu’il s’agissait de réserves “spéculatives” ayant peu de chances d’être un jour produites. Cette “exagération” pourrait ne pas être sans conséquences. Dans un entretien qu’il m’avait accordé pour le site du Monde, l’ancien vice-président de l’Aramco soulignait que contrairement à la plupart des pronostics officiels, les extractions mondiales ne pourront plus augmenter, et qu’elles s’apprêtent même à décliner fortement.
Je n’ai encore jamais rencontré un expert pétrolier qui considère que les hausses énormes annoncées par les principaux pays de l’Opep à partir de 1985 étaient légitimes. Le président de l’Institut français du pétrole, Olivier Appert, sourit avec l’air entendu de quelqu’un qui évoque un secret de Polichinelle, lorsqu’il explique qu’« aucune découverte significative ne permet d’expliquer » ces augmentations.
[Petit bonus (je comptais y revenir dans un papier spécifique sur l’Iran, mais vous savez ce que c’est, il y a toujours trop à dire) : étrangement, le ministre irakien du pétrole a cru nécessaire de préciser que l’augmentation qu’il a annoncée la semaine dernière ne prenait pas en compte la région autonome du Kurdistan. Or il se trouve que le Kurdistan irakien est lourdement soupçonné de laisser passer du pétrole en contrebande vers l’Iran, au moment où Téhéran est visé par un embargo commercial partiel décidé par la communauté internationale pour sanctionner sa politique nucléaire.]
L’Irak a fait état lundi 4 octobre d’une très forte augmentation de ses réserves de brut dites “prouvées”. Le ministre du pétrole irakien, Hussein Chahristani, a affirmé que son pays disposait de réserves exploitables de 143,1 milliards de barils. Un chiffre supérieur de 25 % aux estimations précédentes.
Au passage, cette réévaluation a permis à l’Irak de ravir à son voisin iranien le troisième rang parmi les détenteurs des plus vastes réserves de pétrole de la planète (derrière l’Arabie Saoudite et le Venezuela). Très provisoirement.
Nouveau coup de théâtre une semaine plus tard. A Téhéran, le lundi 11, le ministre du pétrole iranien, Massoud Mirkazemi, annonce lors d’une conférence de presse que l’Iran dispose de réserves s’élevant à 150,31 milliards de barils, contre 138 milliards précédemment. Du coup, l’Iran repasse devant l’Irak. Le ministre iranien précise que ce chiffre pourrait encore être relevé très bientôt, rapporte l’agence Reuters.
Ce qui ressemble “presque à de la surenchère” (selon l’euphémisme de l’expert de référence Amrita Sen) intervient alors que doit se tenir jeudi 14 une réunion de l’Opep, l’Organisation des pays exportateurs de pétrole.
[DR Boulder Daily Camera]
Les quotas de production de l’Opep prennent en compte le montant des réserves de pétrole de ses pays membres : plus on déclare de réserves, plus on a le droit de produire de pétrole.
Le pétrogéologue Jean Laherrère, ancien patron des techniques d’extraction du groupe Total et co-fondateur de l’ASPO, l’Association pour l’étude du ‘peak oil‘, réagit pour [oil man] aux hausses annoncées par l’Irak et l’Iran : “Il est évident que les réserves des pays de l’Opep sont entièrement politiques, car les quotas sont basés sur les réserves déclarées. Le but est de produire au maximum. On triche donc sur le montant des réserves.”
Quel crédit accorder aux augmentations aussi spectaculaires et qu’inattendues annoncées par l’Irak puis pas l’Iran ?
Citée par l’AFP, la fondatrice du site spécialisé IraqOilforum, Rouba Housari, déclare que l’annonce du gouvernement irakien “est une surprise car peu d’activités ont été conduites pour la justifier”. Cette annonce devrait soulever des questions au sein de l’Opep “quant à la méthodologie employée pour confirmer les nouvelles réserves”, note cette experte.
Qui sait ? Bagdad et Téhéran présenteront peut-être les preuves géologiques et techniques expliquant leurs augmentations. Il s’agirait alors d’une première.
D’abord une évidence : malgré leur importance cruciale pour l’économie mondiale, il n’y aura jamais d’audit extérieur sur l’état des réserves de pays membres du cartel l’Opep (pas plus d’ailleurs que sur les réserves annoncées par les grandes compagnies internationales).
Retournons 25 ans en arrière. En 1985, les pays de l’Opep décident pour la première fois d’indexer leurs quotas de production sur le montant des réserves qu’ils déclarent. On est alors en plein contre-choc pétrolier : les prix du baril sont bas, et les pays producteurs ont soif de cash. Notamment l’Iran et l’Irak, en guerre à l’époque.
Résultat : entre 1985 et la première guerre du Golfe, en 1991, les principaux pays de l’Opep ont presque doublé en moyenne le montant de leurs réserves.
De 1987 à 1988, l’Iran est passé de 49 Gb à 93 Gb (+ 90 %). La même année, l’Irak a doublé le montant de ses propres réserves. Puis au cours des 8 années suivantes, Saddam Hussein a déclaré que son pays disposait de 100,0 milliards de barils. Tout ronds.
Le total des hausses déclarées à l’époque par les principaux membres de l’Opep s’élève à près de 300 milliards de barils (Gb), soit plus que les réserves aujourd’hui revendiquées par l’Arabie Saoudite (264 Gb).
Sadad Al-Husseini, ex n°2 de l’Aramco, la compagnie pétrolière saoudienne, déclarait en 2007 que ces 300 Gb de réserves supplémentaires étaient “exagérées”, précisant qu’il s’agissait de réserves “spéculatives” ayant peu de chances d’être un jour produites. Cette “exagération” pourrait ne pas être sans conséquences. Dans un entretien qu’il m’avait accordé pour le site du Monde, l’ancien vice-président de l’Aramco soulignait que contrairement à la plupart des pronostics officiels, les extractions mondiales ne pourront plus augmenter, et qu’elles s’apprêtent même à décliner fortement.
Je n’ai encore jamais rencontré un expert pétrolier qui considère que les hausses énormes annoncées par les principaux pays de l’Opep à partir de 1985 étaient légitimes. Le président de l’Institut français du pétrole, Olivier Appert, sourit avec l’air entendu de quelqu’un qui évoque un secret de Polichinelle, lorsqu’il explique qu’« aucune découverte significative ne permet d’expliquer » ces augmentations.
[Petit bonus (je comptais y revenir dans un papier spécifique sur l’Iran, mais vous savez ce que c’est, il y a toujours trop à dire) : étrangement, le ministre irakien du pétrole a cru nécessaire de préciser que l’augmentation qu’il a annoncée la semaine dernière ne prenait pas en compte la région autonome du Kurdistan. Or il se trouve que le Kurdistan irakien est lourdement soupçonné de laisser passer du pétrole en contrebande vers l’Iran, au moment où Téhéran est visé par un embargo commercial partiel décidé par la communauté internationale pour sanctionner sa politique nucléaire.]
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