Le 20 octobre 1961, en réaction à la sauvage répression du 17 octobre à Paris, les Algériennes montent au créneau dans toute la France.
Le déchaînement des forces de police, des CRS, des harkis, le 17 octobre 1961, contre nos manifestants désarmés et pacifiques, avait été prévu par les responsables de l’organisation FLN. La directive du 10 octobre 1961, signée par le responsable fédéral à l’Organisation, Kaddour Laâdlani en témoigne : «Comme il est à prévoir des arrestations ou des internements, il convient de préparer les femmes avec les mots d’ordre suivants : ‘‘A bas le couvre-feu raciste’’, ‘‘Libérations de nos époux et de nos enfants’’, ‘‘Négocier avec le GPRA’’, ‘‘Indépendance totale de l’Algérie’’. La manifestation aura lieu devant la préfecture de police, le troisième ou quatrième jour après le boycott du couvre-feu. A cette occasion, faites votre possible pour faire participer le maximum de femmes algériennes…»
Et comme prévu, à Paris et en Province, elles sortirent et manifestèrent le 20 octobre 1961 ! Consultons sur cet événement quelques-uns des nombreux témoignages collectés à chaud, de manifestantes, de militants missionnés présents sur les lieux et de journalistes.
Ce jour-là, À Paris
Fatma Morsli : (…) «En arrivant à St Michel, nous avons été partagées en deux groupes avec la femme de Ramdhane, Simone Boulanouar. Mme Rahma Boulanouar, sa belle-fille, Yamina, Aïcha et moi, on a été aussitôt appréhendées et ils nous ont séparées… Après ça, j’étais dirigée vers l’hôpital Sainte Anne. Nous n’étions pas battues et maltraitées. C’est un docteur qui nous a fait sortir par une autre porte et nous étions 150 femmes avec leurs enfants».
Oudda Bennaceur : «Nous sommes parties, une sœur et moi de Bobigny, manifester. Nous devions nous rendre au Châtelet. Evidemment, ce ne fut pas tellement facile étant donné que chaque sortie de métro était surveillée par des policiers, leurs armes braquées et vêtus de gilets pare-balles. (…) Ils nous dirigèrent au commissariat de police du 4e. Là, des centaines d’Algériennes nous accueillirent avec des youyous et des cris de : ‘‘Algérie algérienne’’. A ce moment-là, quelques passants s’arrêtaient en entendant nos cris ; deux Françaises parmi la foule applaudirent à nos slogans. Elles furent aussitôt conduites avec nous. De là, ils nous transportèrent dans un bus en direction du 19e en traversant les grandes rues de Paris. Pendant tout le trajet, nous criions de toutes nos forces : ‘‘Algérie algérienne’’, ‘‘Le racisme au poteau’’. Un policier dans le bus, furieux, nous dit : ‘‘Moi, quand je n’aime pas un pays, je ne reste pas chez eux !’’. Je lui ai répondu : ‘‘Nous serions heureuses de vivre dans notre pays libérées de vos colonialistes !’’».
Arrivées à l’hôpital, ils nous enfermèrent dans une salle où nous accueillirent des cris de «Vive l’Algérie algérienne» et des youyous des sœurs déjà parquées comme du bétail dans cette salle. Nous les accompagnons nous aussi dans un chant traditionnel empli de beauté. Alors que les inspecteurs commençaient à entrer pour nous voir, nous recommencions de crier plus fort encore. Nous eûmes l’idée d’écrire sur les murs de la grande salle ceci : ‘‘Algérie algérienne’’, ‘‘Nous voulons notre liberté’’, ‘‘Libérez nos maris’’, etc. A l’heure des repas de midi et du soir, nous avons refusé de manger en leur criant ‘‘Nous voulons notre pays’’ (…) »
Nadira : « (…) Nous devions nous rendre à la manifestation qui devait se dérouler à 12h au Châtelet pour crier tout ce qui nous tenait à cœur depuis tant d’années (…) Là, ont surgi quatre ou cinq agents vêtus de gilets pare-balles. L’un d’eux s’est avancé et nous a demandé nos papiers. Nous lui avons demandé si on pouvait partir, il nous a regardées avec colère et nous a dit : «Pas du tout ! Montez en voiture et en vitesse !» Le car était très grand, plein de nos sœurs de tout âge, célibataires, mariées, mères de famille avec des enfants. Nos sœurs étaient venues de tous les coins. Une sœur s’est précipitée à la porte du car et s’est sauvée ; trois agents accoururent et l’ont rattrapée. L’un d’eux lui a donné un coup de pied et elle l’a insultée et lui a craché à la figure.»
Il y avait des Européens qui nous regardaient sans rien dire. Nous sommes restées une demi-heure dans le car, puis on nous a conduites au commissariat de police du 4e arrondissement. Là, se trouvaient des sœurs qui poussaient des youyous à notre entrée. Nous avons crié ‘‘Vive l’Algérie indépendante ! ‘‘, ‘‘Libérez nos époux et nos frères’’, ‘‘Vive le FLN’’. Au moment du départ, nous avons crié. Il se trouvait trois Européennes sur le trottoir, elles ont applaudi. L’un des agents a fait arrêter l’autobus et ils les ont faites monter avec nous en les insultant… Ils m’ont donné un coup de poing et une gifle à une de mes sœurs. Nous avons mis un foulard à la vitre. Ils l’ont arraché en nous bousculant.
Au feu rouge, les journalistes nous photographièrent. Nous avons cassé les tables, les bancs, les lampes, écrit au rouge à lèvres étant donné que nous n’avions pas de craie. L’inspecteur est venu et a crié : ‘‘Qui a écrit vive le FLN ?’’ Nous lui avons répondu en criant toutes ensemble que c’était nous. Il nous a dit : ‘‘Qui va payer les tables, les bancs, les lampes cassées ?’’ Il nous a dit : ‘‘Moi, si je n’aime pas un pays, je n’y vais pas’’. Nous lui avons répondu que tout notre pays était rempli de postes de colons et qu’une fois qu’ils nous laisseront la place, nous on ira. Il nous a dit : ‘‘On va vous donner votre Algérie, vous casserez des cailloux’’. Nous avons répondu que nous serions très heureuses (…).
Fatma Dehimi : «J’étais responsable de plusieurs sœurs, marchant à l’avant, le drapeau algérien dans ma main. On criait ‘‘Algérie algérienne’’, ‘‘Libérez les détenus’’. Lorsque nous avons été encerclées par plusieurs policiers, je me suis mise à l’avant, avec le drapeau. J’ai griffé des agents. Alors, ils m’ont battue à coups de matraque aux jambes et à l’épaule. Jusqu’à présent, j’ai des marques sur mon corps. Je suis toujours prête pour ma patrie algérienne. Mon mari est emprisonné depuis trois ans au camp de Larzac. J’ai un enfant à ma charge. Vive l’ALN ! Vive le FLN !’’
Le déchaînement des forces de police, des CRS, des harkis, le 17 octobre 1961, contre nos manifestants désarmés et pacifiques, avait été prévu par les responsables de l’organisation FLN. La directive du 10 octobre 1961, signée par le responsable fédéral à l’Organisation, Kaddour Laâdlani en témoigne : «Comme il est à prévoir des arrestations ou des internements, il convient de préparer les femmes avec les mots d’ordre suivants : ‘‘A bas le couvre-feu raciste’’, ‘‘Libérations de nos époux et de nos enfants’’, ‘‘Négocier avec le GPRA’’, ‘‘Indépendance totale de l’Algérie’’. La manifestation aura lieu devant la préfecture de police, le troisième ou quatrième jour après le boycott du couvre-feu. A cette occasion, faites votre possible pour faire participer le maximum de femmes algériennes…»
Et comme prévu, à Paris et en Province, elles sortirent et manifestèrent le 20 octobre 1961 ! Consultons sur cet événement quelques-uns des nombreux témoignages collectés à chaud, de manifestantes, de militants missionnés présents sur les lieux et de journalistes.
Ce jour-là, À Paris
Fatma Morsli : (…) «En arrivant à St Michel, nous avons été partagées en deux groupes avec la femme de Ramdhane, Simone Boulanouar. Mme Rahma Boulanouar, sa belle-fille, Yamina, Aïcha et moi, on a été aussitôt appréhendées et ils nous ont séparées… Après ça, j’étais dirigée vers l’hôpital Sainte Anne. Nous n’étions pas battues et maltraitées. C’est un docteur qui nous a fait sortir par une autre porte et nous étions 150 femmes avec leurs enfants».
Oudda Bennaceur : «Nous sommes parties, une sœur et moi de Bobigny, manifester. Nous devions nous rendre au Châtelet. Evidemment, ce ne fut pas tellement facile étant donné que chaque sortie de métro était surveillée par des policiers, leurs armes braquées et vêtus de gilets pare-balles. (…) Ils nous dirigèrent au commissariat de police du 4e. Là, des centaines d’Algériennes nous accueillirent avec des youyous et des cris de : ‘‘Algérie algérienne’’. A ce moment-là, quelques passants s’arrêtaient en entendant nos cris ; deux Françaises parmi la foule applaudirent à nos slogans. Elles furent aussitôt conduites avec nous. De là, ils nous transportèrent dans un bus en direction du 19e en traversant les grandes rues de Paris. Pendant tout le trajet, nous criions de toutes nos forces : ‘‘Algérie algérienne’’, ‘‘Le racisme au poteau’’. Un policier dans le bus, furieux, nous dit : ‘‘Moi, quand je n’aime pas un pays, je ne reste pas chez eux !’’. Je lui ai répondu : ‘‘Nous serions heureuses de vivre dans notre pays libérées de vos colonialistes !’’».
Arrivées à l’hôpital, ils nous enfermèrent dans une salle où nous accueillirent des cris de «Vive l’Algérie algérienne» et des youyous des sœurs déjà parquées comme du bétail dans cette salle. Nous les accompagnons nous aussi dans un chant traditionnel empli de beauté. Alors que les inspecteurs commençaient à entrer pour nous voir, nous recommencions de crier plus fort encore. Nous eûmes l’idée d’écrire sur les murs de la grande salle ceci : ‘‘Algérie algérienne’’, ‘‘Nous voulons notre liberté’’, ‘‘Libérez nos maris’’, etc. A l’heure des repas de midi et du soir, nous avons refusé de manger en leur criant ‘‘Nous voulons notre pays’’ (…) »
Nadira : « (…) Nous devions nous rendre à la manifestation qui devait se dérouler à 12h au Châtelet pour crier tout ce qui nous tenait à cœur depuis tant d’années (…) Là, ont surgi quatre ou cinq agents vêtus de gilets pare-balles. L’un d’eux s’est avancé et nous a demandé nos papiers. Nous lui avons demandé si on pouvait partir, il nous a regardées avec colère et nous a dit : «Pas du tout ! Montez en voiture et en vitesse !» Le car était très grand, plein de nos sœurs de tout âge, célibataires, mariées, mères de famille avec des enfants. Nos sœurs étaient venues de tous les coins. Une sœur s’est précipitée à la porte du car et s’est sauvée ; trois agents accoururent et l’ont rattrapée. L’un d’eux lui a donné un coup de pied et elle l’a insultée et lui a craché à la figure.»
Il y avait des Européens qui nous regardaient sans rien dire. Nous sommes restées une demi-heure dans le car, puis on nous a conduites au commissariat de police du 4e arrondissement. Là, se trouvaient des sœurs qui poussaient des youyous à notre entrée. Nous avons crié ‘‘Vive l’Algérie indépendante ! ‘‘, ‘‘Libérez nos époux et nos frères’’, ‘‘Vive le FLN’’. Au moment du départ, nous avons crié. Il se trouvait trois Européennes sur le trottoir, elles ont applaudi. L’un des agents a fait arrêter l’autobus et ils les ont faites monter avec nous en les insultant… Ils m’ont donné un coup de poing et une gifle à une de mes sœurs. Nous avons mis un foulard à la vitre. Ils l’ont arraché en nous bousculant.
Au feu rouge, les journalistes nous photographièrent. Nous avons cassé les tables, les bancs, les lampes, écrit au rouge à lèvres étant donné que nous n’avions pas de craie. L’inspecteur est venu et a crié : ‘‘Qui a écrit vive le FLN ?’’ Nous lui avons répondu en criant toutes ensemble que c’était nous. Il nous a dit : ‘‘Qui va payer les tables, les bancs, les lampes cassées ?’’ Il nous a dit : ‘‘Moi, si je n’aime pas un pays, je n’y vais pas’’. Nous lui avons répondu que tout notre pays était rempli de postes de colons et qu’une fois qu’ils nous laisseront la place, nous on ira. Il nous a dit : ‘‘On va vous donner votre Algérie, vous casserez des cailloux’’. Nous avons répondu que nous serions très heureuses (…).
Fatma Dehimi : «J’étais responsable de plusieurs sœurs, marchant à l’avant, le drapeau algérien dans ma main. On criait ‘‘Algérie algérienne’’, ‘‘Libérez les détenus’’. Lorsque nous avons été encerclées par plusieurs policiers, je me suis mise à l’avant, avec le drapeau. J’ai griffé des agents. Alors, ils m’ont battue à coups de matraque aux jambes et à l’épaule. Jusqu’à présent, j’ai des marques sur mon corps. Je suis toujours prête pour ma patrie algérienne. Mon mari est emprisonné depuis trois ans au camp de Larzac. J’ai un enfant à ma charge. Vive l’ALN ! Vive le FLN !’’
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