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La splendeur des Camondo

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  • La splendeur des Camondo

    C'est l'histoire d'une lignée flamboyante qui résista au destin pendant quatre siècles et demi, et que le XXe siècle tua : chassés d'Espagne en 1492, les Camondo trouvèrent leur fin dans le convoi no 62 qui de Drancy partit pour Auschwitz. Pierre Assouline raconte l'épopée de ces Finzi-Contini du 8e arrondissement avec un sens de la fresque qui laisse aussi, le livre refermé, un goût amer d'infortune.

    Pendant des années, les Camondo furent des seigneurs du Temps, sautant de la République de Venise au port de Trieste, de la Vienne des Habsbourg à l'Istanbul du Divan. Autour de 1850, le fixatif prend sur le portrait : voici Abraham Salomon Camondo, grand argentier de la Sublime Porte, « Rothschild du Levant », le plus riche des 200 000 juifs que comptait alors l'Empire ottoman.

    Ce roi de la Méditerranée est aussi le trésorier des émancipations. En 1867, Victor-Emmanuel II le fait comte italien pour son aide au Risorgimento ; recevoir un titre aristocratique en soutenant un mouvement de libération, c'était allier l'anoblissement à l'élégance.

    En 1869, la famille transfère le siège de ses affaires en France. Les Pereire, les Fould, les Rothschild y comptaient déjà au nombre des grands patriciens. Les Camondo attendaient Diderot, ils trouvèrent Drumont. « Camondo, un gros juif qui ressemble à un chef d'eunuques abyssins qui aurait déteint », écrivait le pamphlétaire. Forain les croqua dans quelques caricatures : elles n'étaient pas aimables. L'affaire Dreyfus était là, et la ligne de défense républicaine tenait autour des Zola, Péguy, Bernard Lazare.

    En 1900, deux Camondo incarnaient la lignée : Isaac se piquait de musique, composa pour la scène, et avait le goût des entrechats - cela donna deux enfants illégitimes dans le corps de ballet de l'Opéra. Il serait bientôt mécène du Théâtre des Champs-Elysées, avant de léguer au Louvre assez de tableaux pour emplir sept salles, dont « Le fifre » de Manet, « Les joueurs de cartes » de Cézanne, « L'atelier » de Corot.

    C'était rendre à la civilisation française, et au centuple, ce qu'il en attendait. Moïse de Camondo, lui, était borgne, avait épousé une demoiselle Cahen d'Anvers, et gérait les participations de la famille dans le Santa Fe Railway, l'Anaconda Copper ou la société franco-belge de Tsien-Tsin. Ce cercleux consommé, honorifiquement consul de Serbie en France, fut administrateur de Paribas, chassait à courre en compagnie du comte de Leusse, et fonda avec quelques cavaliers à vapeur l'Automobile-Club de France.

    En 1910, Moïse fait de son rêve un bâtiment. A la lisière du parc Monceau, il diligente la construction d'une réplique aménagée du Petit Trianon - l'actuel musée Camondo - remplie de porcelaines de Sèvres, de secrétaires à abattant, d'esquisses d'Oudry, de tentures de gourgouran cerise, sans oublier les 35 volumes de l'Encyclopédie. Ce projet, un rien texan, était en réalité un autel aux Lumières. Dans ce XVIIIe siècle recréé, le fils des seigneurs de Galata entrait en unisson avec l'aristocratie libre-penseuse et physiocrate de 1785, celle qui promènerait ses perruques sur les bancs de la Constituante et ne dédaignerait pas, avec la République, ce libertinage d'esprit qui faisait du roi un homme et de chaque homme un roi. Patriotes par le brocart, les Camondo allaient le devenir par le sang.

    Le 3 septembre 1917, l'unique héritier mâle de la lignée, le lieutenant Nissim de Camondo, s'abattit avec son avion sur la ligne de front : cinq citations à l'ordre de l'Armée, croix de guerre, Légion d'honneur à titre posthume. Le champ d'honneur où l'on mourait pour la France, les aubes où l'on chantait le kaddish étaient le sépulcre d'une dynastie.

    Le vieux Guépard Moïse rentra alors dans son Trianon, musée de l'homme, linceul de pierre. Les horloges à système qui avaient battu le temps des vaporeuses de 1788 disaient avec chaque heure la fin d'un autre monde. En novembre 1935, le dernier des Camondo mourut à Paris, non sans avoir légué au musée des Arts décoratifs son hôtel particulier et les meubles qu'il contenait : cette vie s'était consumée en mêlant à son cours les stèles d'une autre mémoire.

    Etait-il vraiment le dernier ? Par le nom, certes ; non par le sang. Car Moïse de Camondo laissait derrière lui une fille, devenue par son mariage Mme Léon Reinach. Au début de la guerre, elle porta fièrement son étoile jaune sur sa veste de cavalière. En 1943, les Reinach et leurs deux enfants virent s'ouvrir les portes de Drancy. « Aux abords du parc Monceau, écrit Pierre Assouline, il est des Atlantides insoupçonnables. »

    Le point

    « Le dernier des Camondo », de Pierre Assouline (Gallimard, 290 pages, 110 F). Lire également « Les Camondo - ou l'éclipse d'une fortune », de Nora Senni et Sophie Le Tarnec (Actes Sud, 304 pages, 128 F).

    L’hôtel et les collections

    http://www.lesartsdecoratifs.fr/fran.../parcours-132/
    Dernière modification par zek, 20 octobre 2010, 19h19.
    Si vous ne trouvez pas une prière qui vous convienne, inventez-la.” Saint Augustin
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