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La conférence d'Algésiras et la participation américaine

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  • La conférence d'Algésiras et la participation américaine

    La participation américaine à la conférence marocaine de 1906 est un autre aspect de la politique mondiale du président Théodore Roosevelt ; elle en est même le démarquage le plus profond, jamais manifesté auparavant, de l’isolationnisme traditionnel de la diplomatie américaine avant le déclenchement du premier conflit mondial en 1914 (lire Thomas Bailey, A Diplomatic History of the American)


    Si cette participation était souhaitée par les deux puissances antagonistes, la France et l’Allemagne, c’est que Washington était la seule grande puissance qui n’était pas liée à des engagements politiques ou stratégico-militaires. Elle présentait aussi l’avantage d’être concernée directement par le Maroc, puisqu’elle avait des droits égaux à ceux des autres puissances européennes, résultant des traités antérieurs, signés avec le sultan du Maroc (traité de 1836 et convention de Madrid de 1880). Il était de l’intérêt tant de la France que de l’Allemagne de chercher activement l’approbation et le soutien des Américains, lors de cette conférence. Ainsi, dans les coulisses, la diplomatie française agit activement pour qu’enfin Washington favorise les thèses françaises et contrecarre les ambitions allemandes


    Préparation de la conférence:



    L’un des facteurs primordiaux qui a favorisé la diplomatie française et influencé les positions de Washington est incontestablement l’entente cordiale franco-britannique de 1904. L’ambassadeur de France à Washington, Jules Jusserand, rapporte :
    « Le secrétaire d’État m’a dit aujourd’hui que plus il y pensait, plus il se convainquait que l’entente franco-anglaise représentait le genre d’idée de vues et l’idéal politique, le plus conforme qui fût aux idées américaines et le plus différent des manières d’agir quasi féodales d’autres pays. Il tiendra, particulièrement par ce motif, à ce que le sens de ses instructions aux principaux délégués américains à algésiras soit bien compris et exactement observé. » (Archives du ministère français des Affaires)


    La diplomatie française se souciait du choix du premier plénipotentiaire américain à la conférence et redoutait qu’il soit porté sur le consul américain au Maroc, Gummeré. Jusserand, dans une lettre au ministre des Affaires étrangères Rouvier, disait :
    « Pour le choix du premier plénipotentiaire, plusieurs noms, mis d’abord en avant, avaient été écartés, uniquement par crainte qu’ils nous donnent une insuffisante satisfaction. L’idée de M. White, aussitôt adoptée par Roosevelt, provient du président lui-même et de l’intention de répondre à nos vœux, [...]. Je ferai, en tout cas, ce qui dépendra de moi pour que le rôle de M. Gummeré soit aussi réduit que possible et se rapproche dans la plus large mesure du désir que m’a fait connaître Votre Excellence. » (Ibidem , vol. 137, Jusserand à Rouvier)

    Un télégramme confidentiel de Jusserand exprime le vœu du gouvernement français de minimiser l’influence de Gumméré à la conférence :
    « Les instructions, adressées à M. White en vue de la conférence marocaine, répondent aussi complètement que les circonstances le permettent aux vœux de Votre Excellence. Le rôle de M. Gummeré sera le plus limité [...]. Le secrétaire d’État a bien voulu ajouter, à titre confidentiel, que le gouvernement fédéral a fait savoir, en outre, à M. White que l’entente franco-anglaise était un événement heureux, favorable à la paix du monde, et qu’il convenait par la suite d’agir, lors de la conférence, dans un sens favorable à cette entente. »(Ibid. , vol. 138, télégramme Jusserand à Rouvier)


    Une divergence est apparue entre les Américains et les Français lors de la préparation du programme de la conférence. Washington souhaitait insérer dans le débat la question de l’amélioration du sort des Juifs marocains. La France cherchait à écarter cette question par crainte des complications, pour ne pas ouvrir la porte à d’autres questions, et désirait s’en tenir strictement au programme déjà accepté par les autres puissances européennes (Ibid. , vol. 139, 29 décembre 1905 et 13 janvier 1906. ...)



    Cependant, cette question était un motif, pour le président Roosevelt, pour apaiser la farouche opposition de l’opinion publique américaine à la participation de leur gouvernement à cette affaire européenne. Jusserand s’exprime ainsi sur ce désaccord :
    « Je ferai mon possible pour obtenir une modification de la clause des conventions ajoutées après coup à la suite des démarches des sociétés juives. Mais j’ai d’autant moins de chance de réussite que ce motif spécial de participation à la conférence procède des pressantes requêtes des citoyens américains et de ceux sur lesquels le gouvernement compte le plus pour répondre à l’opposition qui lui reproche, de plus en plus, de se mêler d’une querelle dangereuse, sans intérêt pour l’Amérique. »(Ibid. , Jusserand, 19 janvier 1906)

    Finalement, Washington prescrivit à son premier délégué de demander à la conférence l’amélioration du sort de Juifs Marocains.


    Les Allemands ont choisi le terrain des droits internationaux de toutes les nations européennes au Maroc pour combattre les visées françaises. La réclamation de l’instauration de la « porte ouverte » dans ce pays était la clef de voûte de la diplomatie allemande. Il était inconcevable de sortir de cette crise, sans donner satisfaction aux deux parties. Ce qui exigeait une certaine impartialité ou neutralité, afin de trouver une issue à l’impasse dans laquelle se trouvait la question marocaine.
    « Les instructions réellement données au premier délégué américain lui prescrivent : d’agir en faveur du système de la porte ouverte, de s’exprimer dans le sens du respect des droits spéciaux de la France, tout en réservant aux autres puissances le nécessaire pour l’exercice de leurs droits normaux, d’éviter d’attaquer l’une ou l’autre des parties en présence, et, au contraire, d’agir dans le sens d’un règlement amiable et pacifique, enfin, d’une manière général, de se tenir de préférence en contact et en accord avec l’entente anglo-française. » (Ibid. , Jusserand à Rouvier, 17 janvier 1906)


    La France, si elle a admis le principe de l’égalité économique des nations au Maroc, a tout de même insisté auprès des États-Unis « sur le danger qu’offrait la doctrine de l’internationalisation qui fournirait aux Allemands, sous le prétexte des droits égaux, un accès politico-militaire au Maroc. La doctrine de la porte ouverte ne doit s’appliquer qu’au commerce »Ibidem.


    La participation américaine à la conférence a suscité une opposition au sein de l’opinion publique américaine et du Congrès.
    « Le sénateur Bacon, de l’État de Géorgie, qui est un des membres, dans le Sénat, de la campagne contre la politique personnelle du président Roosevelt, a déposé un projet de résolution contre l’immixtion des États-Unis dans les contestations entre les puissances européennes. Il déclara que la conférence marocaine peut entraîner l’Amérique dans des complications en Europe. » (Le Temps, 17 janvier 1906).

    -Les choses sont rarement ce qu'elles semblent être. Mani

  • #2
    Suite :



    Un autre sénateur, Hale, leader républicain, soutenait que « la conférence d'Algésiras est une conférence politique ; les Américains n’ont aucun intérêt à y participer. Elle concerne l’Europe exclusivement »The Time of London, January 17, 1906).



    D’autres sénateurs, par contre, approuvaient la politique de Roosevelt, comme Spooner et Lodge :
    « Le sénateur Spooner justifiait sa position, en expliquant que l’intérêt américain au Maroc était purement commercial et que cet intérêt ne pouvait être entravé par les intérêts des autres puissances européennes ; le président saura très bien donner des instructions aux délégués américains à la conférence pour maintenir cet intérêt, sans entraîner le gouvernement américain dans des complications. »(The Journal of Commerce and Commercial Bulletin).

    La conférence d'Algésiras(16 janvier - 7 avril 1906)

    12 Le chroniqueur René Pinon décrit l’atmosphère qui régnait, quelques jours avant que la conférence se réunisse :
    « Dans quelques jours, la conférence internationale d'Algésiras tiendra sa première séance. [...] Mais, plus encore que ces débats diplomatiques, c’est leur répercussion sur la politique générale de l’Europe qui déjà préoccupe l’opinion ; plus que les paroles échangées et les protocoles signés, ce sont les intentions sous-entendues et les désaccords soupçonnés qui provoquent l’inquiétude.
    « Le Maroc est l’objet de la conférence, mais les décisions déborderont du cadre restreint de la question marocaine. » René Pinon, « La conférence d'Algésiras »


    Les États-Unis avaient une place privilégiée et un rôle déterminant dans la conférence. André Tardieu caractérise ainsi leur diplomatie :
    « Très pratique et opportuniste dans l’action, se développant à l’abri de principes qu’elle évite de heurter de front. Le plus respecté de ces principes est la doctrine de Monroë qui, tendant à fermer le nouveau monde aux nations européennes, a pour contrepartie le désintéressement des États-Unis par rapport aux conflits dont l’Europe est le théâtre. » André Tardieu, La conférence d'Algésiras)


    Il est évident que Roosevelt redoutait l’impérialisme allemand et qu’il n’a pas manqué l’occasion de la conférence pour faire échec aux entreprises allemandes. C’est que « l’impérialisme allemand, en particulier la prétention de l’Allemagne de garder un caractère pangermanique aux colonies allemandes des États-Unis ou de l’Amérique du Sud, l’emportait dans l’esprit de Roosevelt sur les souvenirs des manifestations d’égards »Ibid. , p. 64)



    Aussi, le gouvernement de l’Union, lors de la conférence, « s’employa, dans la coulisse, à barrer la route aux entreprises allemandes »(Ibid. , p. 62)
    15 L’époque de Roosevelt a aussi connu un rapprochement avec les Anglais, ce qui éclaire le rôle influent de l’Entente cordiale dans cette affaire :
    « L’Entente cordiale a certainement eu une influence, par exemple sur l’attitude du délégué des États-Unis à Algésiras [...]. Outre ces dernières années, un rapprochement moral anglo-américain, inspiré par la communauté de langue, de tradition et d’une partie, assez restreinte d’ailleurs, de sang, s’est incontestablement produit. [L’Allemagne] pour laquelle l’opinion des États-Unis depuis les affaires de Manille et du Venezuela, est plutôt tiède. »(Robert de Caix, « La conférence d'Algésiras »)

    Parfaitement consciente de ces préoccupations de Washington, la diplomatie a su les exploiter au maximum. À l’issue des débats sur la question de l’organisation de la police des ports marocains, le Quai d’Orsay avise les Américains que toute présence allemande dans les ports atlantiques du Maroc représente une menace directe pour l’Amérique. Rouvier, ministre des Affaires étrangères, suggère à l’ambassadeur Jusserand :
    « Vous savez qu’un parti très actif en Allemagne pousse le gouvernement impérial à prendre pied au Maroc et à s’assurer le port de Mogador [Essaouira]. Il me revient que les représentants des États-Unis en Europe continuent à penser que l’acquisition de Mogador est réellement le but secret de la politique allemande. On ajoute qu’ils y voient un danger, du point de vue américain, Mogador leur apparaissant comme une escale vers les colonies allemandes du Brésil. »(Documents diplomatiques français, 2e)


    Enfin, il ressort des déclarations finales et officielles, faites par le gouvernement américain et par le Congrès, une volonté de réaffirmer les positions traditionnelles de la politique de Washington : la non-intervention dans les querelles de l’Europe ; le désengagement envers toute implication éventuelle (politique et militaire) ; la volonté d’apaiser et de rassurer son opinion publique et les opposants à la politique de Roosevelt ; le désir de maintenir et de défendre ses propres intérêts économiques au Maroc. Henry White, premier délégué des États-Unis, a fait, lors de la conférence, la déclaration suivante :
    « Le gouvernement des États-Unis n’ayant pas d’intérêts politiques au Maroc et n’ayant été, en prenant part à cette conférence, animé de désirs et d’intentions autres que de contribuer à assurer à toutes les nations l’égalité la plus étendue au Maroc en matière de commerce, [...] il ne prend sur lui aucune obligation ou responsabilité par rapport aux mesures qui pourraient être nécessaires pour la mise à exécution des dits règlements et déclaration. »(Ibid. , Livre Jaune “Affaires du Maroc”).
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    • #3
      Suite :

      Le sénat américain, lors de la ratification de l’acte d'Algésiras, réitère les mêmes principes :
      « Le Sénat constate que la participation des États-Unis à la conférence et à la formation et à l’adoption de l’Acte général et du protocole, qui en ont résulté, n’a eu d’autre objet que de préserver et d’accroître la protection de la vie, la liberté et les biens de ses nationaux [...] et sans vouloir en rien s’écarter de la politique étrangère traditionnelle des États-Unis, qui leur interdit de participer au règlement des questions politiques d’une partie purement européenne. » (Ibid. , vol. X, doc. no 145, 18 décembre 1906)


      Si la France, du point de vue politique, a obtenu ce qu’elle voulait, c’est-à-dire l’organisation de la police des ports en association avec l’Espagne, elle s’engageait néanmoins à maintenir la porte ouverte et l’égalité économique. Cette conférence ouvrait déjà de larges espoirs aux entreprises commerciales. Le journal new-yorkais, The Journal of Commerce, intitule un article : « L’ouverture du Maroc à l’entreprise américaine » et parle des richesses et des chances que peut offrir ce pays aux investisseurs"(The Journal of Commerce and Commercial Bulletin)


      On ne peut voir, dans le résultat de la conférence, que les fruits de la politique, conduite, entre 1898 et 1905, par Théophile Delcassé qui a su faire de l’Entente cordiale la clef maîtresse de son système d’alliance.


      Cairn. recherche réalisée par El-Mostafa Azzou de l'université d'Oujda.
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