La presse étouffée à petit feu
Asphyxié par un boycott économique, le magazine Nichane vient de cesser sa parution. Une nouvelle illustration du durcissement des autorités marocaines.
"Le sexe et l'homosexualité dans la culture islamique", "le Maroc, premier producteur mondial de cannabis", des thèmes qui désormais se font rares dans les kiosques marocains. L'hebdomadaire arabophone Nichane [Sans fioriture], fer de lance de la presse indépendante du pays, a cessé de paraître au début du mois d'octobre. Publié depuis 2006 à 20 000 exemplaires, le magazine n'a pas été censuré, mais contraint à la faillite. "Cette fermeture (...) est une mise à mort lente et programmée, elle est le résultat d'un boycott publicitaire initié notamment par le premier cercle du pouvoir", déclare Ahmed Benchemsi, directeur de publication, dans un communiqué. Ecrasé par les dettes, le groupe TelQuel, principal actionnaire du magazine, a décidé de cesser la publication de l'hebdomadaire. Toute vérité n'est pas bonne à dire au royaume chérifien : selon le magazine, le boycott a débuté en 2009 lorsque a été réalisé conjointement avec le quotidien Le Monde un sondage auprès des Marocains sur le bilan des dix ans de règne du roi Mohamed VI. Positif, le sondage révélait que l'immense majorité des Marocains s'estimaient satisfaits du monarque. Ce résultat n'a pourtant pas échappé à la censure.
Selon le code de la presse marocaine, toute "offense envers sa majesté le roi, les princes et princesses royaux est passible d'une peine d'emprisonnement de trois à cinq ans et d'une amende allant de 10 000 à 100 000 dirhams (de 1000 à 10 000 euros)". En soumettant le roi, pouvoir sacré, à l'avis du peuple, Nichane dépassait la limite de l'acceptable aux yeux des autorités. Son édition où devait figurer le sondage n'a jamais garni les kiosques marocains, pas plus que celle du Monde. A la suite de cette censure, les groupes publicitaires ont massivement retiré leurs annonces, précipitant le magazine dans la débâcle financière. "La ligne éditoriale de Nichane, son ton et les tabous qu'il a réussi à briser sont parmi les raisons qui ont conduit à sa mort", souligne Ahmed Benchemsi.
Si la liberté de la presse est garantie par la loi marocaine, des restrictions aussi floues qu'interprétables rendent l'exercice journalistique précaire : porter atteinte à la religion islamique, au régime monarchique ou à l'intégrité territoriale est passible de prison. La presse indépendante qui se consacre aux thèmes tabous que sont le pouvoir, la religion, le sexe ou la drogue est toujours plus dans le collimateur des autorités. Nichane en fait l'expérience depuis sa création. En 2006, le tout jeune magazine titrait sur "comment les Marocains rient de la religion, du sexe et de la politique". Prison avec sursis, destruction du numéro et interdiction de publication ont mené l'ancien directeur de publication, Driss Ksikes, à donner sa démission.
Le cas n'est pas isolé et s'inscrit dans une politique de limitation de la liberté de la presse dénoncée par Reporters sans frontières. Fin 2009, Khaled Gueddar et Taoufik Bouachrine, respectivement caricaturiste et directeur du quotidien Akhbar Al Youm, ont été condamnés à une peine de quatre ans d'emprisonnement avec sursis pour avoir publié des caricatures du prince Moulay Ismaïl, cousin du roi. Le monarque, sa famille et sa santé sont des sujets particulièrement sensibles: cette dernière année, plusieurs journalistes ont été condamnés à des peines avec sursis et de fortes amendes pour s'être penchés sur la question. Si la censure n'est pas systématiquement appliquée, les autorités usent de divers moyens pour réduire au silence les voix divergentes: harcèlement de journalistes, procès à l'issue décidée à l'avance, asphyxie financière. En janvier de cette année, Le Journal hebdomadaire a subi le même sort que Nichane. Pionnier de la presse indépendante marocaine, le magazine annonçait dans son premier numéro (1997) l'arrivée historique des socialistes au gouvernement.
L'année 2010 a également été marquée par les premiers cas d'emprisonnement de blogueurs, arrêtés pour avoir couvert des manifestations étudiantes violemment réprimées. "Vivace au Maroc jusqu'au milieu des années 2000 (malgré des signaux alarmants enregistrés dès le début de la décennie), la pluralité de la presse marocaine ne tient plus aujourd'hui qu'à un fil, de plus en plus ténu. Les journaux indépendants se comptent désormais sur les doigts d'une main, et ils subissent des pressions grandissantes, politiques autant qu'économiques, visant à restreindre leur liberté de parole et d'action", constatent les responsables de Nichane. La version francophone de l'hebdomadaire, TelQuel, survit tant bien que mal. Pour combien de temps encore ?
Le Courrier International
Asphyxié par un boycott économique, le magazine Nichane vient de cesser sa parution. Une nouvelle illustration du durcissement des autorités marocaines.
"Le sexe et l'homosexualité dans la culture islamique", "le Maroc, premier producteur mondial de cannabis", des thèmes qui désormais se font rares dans les kiosques marocains. L'hebdomadaire arabophone Nichane [Sans fioriture], fer de lance de la presse indépendante du pays, a cessé de paraître au début du mois d'octobre. Publié depuis 2006 à 20 000 exemplaires, le magazine n'a pas été censuré, mais contraint à la faillite. "Cette fermeture (...) est une mise à mort lente et programmée, elle est le résultat d'un boycott publicitaire initié notamment par le premier cercle du pouvoir", déclare Ahmed Benchemsi, directeur de publication, dans un communiqué. Ecrasé par les dettes, le groupe TelQuel, principal actionnaire du magazine, a décidé de cesser la publication de l'hebdomadaire. Toute vérité n'est pas bonne à dire au royaume chérifien : selon le magazine, le boycott a débuté en 2009 lorsque a été réalisé conjointement avec le quotidien Le Monde un sondage auprès des Marocains sur le bilan des dix ans de règne du roi Mohamed VI. Positif, le sondage révélait que l'immense majorité des Marocains s'estimaient satisfaits du monarque. Ce résultat n'a pourtant pas échappé à la censure.
Selon le code de la presse marocaine, toute "offense envers sa majesté le roi, les princes et princesses royaux est passible d'une peine d'emprisonnement de trois à cinq ans et d'une amende allant de 10 000 à 100 000 dirhams (de 1000 à 10 000 euros)". En soumettant le roi, pouvoir sacré, à l'avis du peuple, Nichane dépassait la limite de l'acceptable aux yeux des autorités. Son édition où devait figurer le sondage n'a jamais garni les kiosques marocains, pas plus que celle du Monde. A la suite de cette censure, les groupes publicitaires ont massivement retiré leurs annonces, précipitant le magazine dans la débâcle financière. "La ligne éditoriale de Nichane, son ton et les tabous qu'il a réussi à briser sont parmi les raisons qui ont conduit à sa mort", souligne Ahmed Benchemsi.
Si la liberté de la presse est garantie par la loi marocaine, des restrictions aussi floues qu'interprétables rendent l'exercice journalistique précaire : porter atteinte à la religion islamique, au régime monarchique ou à l'intégrité territoriale est passible de prison. La presse indépendante qui se consacre aux thèmes tabous que sont le pouvoir, la religion, le sexe ou la drogue est toujours plus dans le collimateur des autorités. Nichane en fait l'expérience depuis sa création. En 2006, le tout jeune magazine titrait sur "comment les Marocains rient de la religion, du sexe et de la politique". Prison avec sursis, destruction du numéro et interdiction de publication ont mené l'ancien directeur de publication, Driss Ksikes, à donner sa démission.
Le cas n'est pas isolé et s'inscrit dans une politique de limitation de la liberté de la presse dénoncée par Reporters sans frontières. Fin 2009, Khaled Gueddar et Taoufik Bouachrine, respectivement caricaturiste et directeur du quotidien Akhbar Al Youm, ont été condamnés à une peine de quatre ans d'emprisonnement avec sursis pour avoir publié des caricatures du prince Moulay Ismaïl, cousin du roi. Le monarque, sa famille et sa santé sont des sujets particulièrement sensibles: cette dernière année, plusieurs journalistes ont été condamnés à des peines avec sursis et de fortes amendes pour s'être penchés sur la question. Si la censure n'est pas systématiquement appliquée, les autorités usent de divers moyens pour réduire au silence les voix divergentes: harcèlement de journalistes, procès à l'issue décidée à l'avance, asphyxie financière. En janvier de cette année, Le Journal hebdomadaire a subi le même sort que Nichane. Pionnier de la presse indépendante marocaine, le magazine annonçait dans son premier numéro (1997) l'arrivée historique des socialistes au gouvernement.
L'année 2010 a également été marquée par les premiers cas d'emprisonnement de blogueurs, arrêtés pour avoir couvert des manifestations étudiantes violemment réprimées. "Vivace au Maroc jusqu'au milieu des années 2000 (malgré des signaux alarmants enregistrés dès le début de la décennie), la pluralité de la presse marocaine ne tient plus aujourd'hui qu'à un fil, de plus en plus ténu. Les journaux indépendants se comptent désormais sur les doigts d'une main, et ils subissent des pressions grandissantes, politiques autant qu'économiques, visant à restreindre leur liberté de parole et d'action", constatent les responsables de Nichane. La version francophone de l'hebdomadaire, TelQuel, survit tant bien que mal. Pour combien de temps encore ?
Le Courrier International
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