Audition de M. Taïb Fassi-Fihri, ministre des affaires étrangères et de la coopération du Royaume du Maroc
Vous êtes un ancien élève du prestigieux lycée Descartes de Rabat et je sais que cette qualité réjouit beaucoup de nos collègues ; nous aurons peut-être l'occasion d'évoquer l'enseignement français au Maroc. Vous avez ensuite poursuivi des études supérieures à Rabat et à Paris, à la Sorbonne et à Sciences Po.
Votre carrière vous a conduit à la direction de la planification et en 1985 vous avez été appelé au cabinet du ministre chargé des relations avec ce qui était à l'époque la Communauté économique européenne. Dès lors, vous ne quitterez plus la sphère diplomatique, et notamment les relations avec la CEE, comme négociateur, directeur de cabinet puis secrétaire d'Etat de nombreuses fois depuis 1993. Vous avez été nommé ministre délégué aux Affaires étrangères et à la coopération en novembre 2002 et élevé au rang de ministre de plein exercice en octobre 2007.
Monsieur le Ministre, nous vous entendrons avec un grand intérêt nous présenter les priorités de la politique étrangère du Maroc avant d'engager le dialogue avec vous.
Le Maroc a obtenu, sous présidence française du Conseil de l'Union européenne, le « statut avancé » dans ses relations avec l'Union. Il est le premier État d'Afrique du nord à bénéficier d'un tel statut. Pouvez-vous nous donner des exemples concrets de sa mise en œuvre ?
Alors que l'Union pour la Méditerranée semble en passe de surmonter le blocage politique dû au conflit à Gaza, qui avait gelé son développement, pouvez-vous nous dire quelle est l'implication du Maroc en sa faveur ? Quelles sont, selon vous, ses chances de succès ?
Vous avez été chargé de négocier en 2002 l'accord de libre-échange entre le Maroc et les États-Unis. Comment envisagez-vous les relations entre les deux pays, à la lumière du discours du Caire prononcé par le Président Obama le 4 juin dernier ?
Avant de vous donner la parole, je souhaite la bienvenue à M. El Mostafa Sahel, ambassadeur du royaume du Maroc en France, présent à vos côtés.
M. Taïb Fassi-Fihri, ministre des affaires étrangères et de la coopération du Royaume du Maroc. Je vous remercie de l’honneur que vous me faites en me permettant de venir exposer notre vision des relations entre le Maroc et la France et notre conception du rôle du Maroc en tant qu’acteur régional. Les relations extérieures d’un pays s’expliquent par des facteurs historiques et géographiques. Le Maroc se trouve aux confins de l’Atlantique et de la Méditerranée, aux portes de l’Afrique et au « balcon occidental » du monde arabe et musulman. Cette situation géographique singulière crée des occasions de dialogue et d’échanges mais aussi une responsabilité particulière, car elle est à la croisée des chemins et aussi au cœur des menaces. Qu’il s’agisse d’immigration clandestine, de trafic de stupéfiants ou de petites armes, de trafics de tout genre, le Maroc se trouve sur l’itinéraire euro-africain.
Un deuxième facteur déterminant est le poids de l’histoire. Le Maroc n’est pas seulement arabe, il a des origines multiples : musulmane, berbère, juive, arabe, africaine et andalouse. Ce brassage de sensibilités lui donne une identité nationale forte ; il implique aussi un devoir d’écoute et de compréhension. Cette particularité nous fait ce que nous sommes et nous impose de défendre certaines valeurs.
On ne peut négliger un troisième élément : nos options de la première heure, celles que nous avons prises immédiatement après avoir recouvré l’indépendance. À l’inverse d’autres pays dans le même cas, nous avons privilégié un système politique pluraliste sous l’égide d’une monarchie attentive aux besoins, et mis l’accent sur l’ouverture économique. Tout cela n’a pas été facile et je me souviens d’avoir entendu, jeune homme, des doutes s’exprimer : comment le Maroc pouvait-il s’engager, si peu d’années après la fin de la colonisation française et espagnole, dans un accord avec ce qui était alors la Communauté économique européenne ? Pourtant, nous avons sciemment décidé de nouer et de maintenir ce lien.
Le quatrième élément qui explique les orientations de la diplomatie marocaine, c’est la convergence parfaite entre les valeurs que nous défendons à l’intérieur du Maroc et celles pour lesquelles nous nous battons en politique étrangère. Cela peut sembler évident, mais ce n’est pas toujours le cas dans les pays du Sud. J’appartiens à un Gouvernement attaché à moderniser l’économie, à lutter contre la pauvreté et à aménager le territoire de manière à améliorer le sort de la population, sous la forte impulsion royale. Ces objectifs sont aussi ceux que poursuit la diplomatie marocaine. Il n’y a donc pas de contradiction entre les efforts que nous accomplissons au Maroc et nos options en politique étrangère.
Quelles priorités résultent de ce schéma ?
Le Maroc est maghrébin ; nous considérons que c’est dans un Maghreb uni, renforcé et complémentaire que son développement se fera.
Le Maroc est membre de la Ligue arabe, ainsi que de l’Organisation de la conférence islamique, créée sur son sol en 1969. Nous sommes l’un des premiers pays arabes qui ont cru la paix possible au Moyen-Orient, et nous avons pris de multiples initiatives pour qu’elle se réalise. La paix est plus nécessaire que jamais dans cette région du monde car elle dépasse les seuls intérêts des pays concernés. L’absence de paix au Moyen-Orient est un mal qui menace l’ensemble des pays du monde, sans qu’aucun ne soit à l’abri de ce qui peut se passer. Un engagement collectif est donc nécessaire pour permettre la reprise d’une négociation globale ; en effet, la Palestine n’est pas la seule concernée et il faudra aussi régler les dossiers syrien et libanais. Le Maroc demeure engagé dans la recherche de la paix, qu’il estime toujours possible. Nous continuons d’affirmer, comme nous le faisons depuis les années 1970, alors que le sujet était tabou, qu’Israël a le droit d’exister dans des frontières sûres, à côté d’un État palestinien viable et indépendant.
Le Maroc, pays majoritairement musulman, s’efforce de jouer un rôle dans le dialogue entre l’Islam et l’Occident, et il s’est engagé dans la voie indispensable de l’écoute mutuelle.
Le Maroc est un pays africain, et je suis très heureux que nous ayons resserré nos liens avec l’Afrique, singulièrement avec l’Afrique subsaharienne. Nous avons signé plus d’accords avec des pays africains au cours des dix dernières années que nous ne l’avions fait depuis 1956 ; cela illustre notre volonté de renforcer la coopération Sud-Sud. Cette évolution dépasse le seul cadre gouvernemental ; des entreprises publiques et privées s’associent à l’application des accords passés. Nous souhaitons que la France s’insère dans ce cadre, car une coopération triangulaire, associant l’expérience de tous, aurait d’heureux effets.
Le Maroc est un pays méditerranéen, et qui dit « Méditerranée » dit « Euro-Méditerranée ». Je l’ai dit, nous avons fait très tôt le choix d’une relation forte avec l’Union européenne, et le couple Maroc-France est une locomotive du rapprochement entre le Royaume et l’Union européenne. Ce n’est pas un hasard si c’est à Paris qu’en 2000, Sa Majesté le Roi a appelé l’Union européenne à renforcer cette relation dans le cadre du statut avancé ; ce n’est pas un hasard non plus si ce statut a été accordé au Maroc en 2008 pendant la présidence française de l’Union. L’octroi du statut avancé signifie un engagement politique renforcé de la part du Maroc, engagement qui se traduit dans les multiples conventions auxquelles il est partie : conventions relatives à la justice, à la lutte contre la corruption, à l’État de droit, à l’égalité des genres. C’est en appliquant ces conventions et celles du Conseil de l’Europe que le Maroc pourra se moderniser. En matière économique, nous souhaitons aller vers un accord de libre-échange approfondi, qu’il s’agisse de l’agriculture - dans l’attente de la révision de la PAC que nous appelons de nos vœux – ou du secteur des services. Nous considérons le statut avancé comme une étape dans l’approfondissement nécessaire des relations entre le Maroc et l’Union européenne – car l’oxygène vient du Nord.
La séance est ouverte à onze heures.
M. le président Axel Poniatowski. Monsieur le Ministre, je vous souhaite la bienvenue et je vous remercie de l'honneur que vous nous faites en venant vous exprimer devant notre Commission.Vous êtes un ancien élève du prestigieux lycée Descartes de Rabat et je sais que cette qualité réjouit beaucoup de nos collègues ; nous aurons peut-être l'occasion d'évoquer l'enseignement français au Maroc. Vous avez ensuite poursuivi des études supérieures à Rabat et à Paris, à la Sorbonne et à Sciences Po.
Votre carrière vous a conduit à la direction de la planification et en 1985 vous avez été appelé au cabinet du ministre chargé des relations avec ce qui était à l'époque la Communauté économique européenne. Dès lors, vous ne quitterez plus la sphère diplomatique, et notamment les relations avec la CEE, comme négociateur, directeur de cabinet puis secrétaire d'Etat de nombreuses fois depuis 1993. Vous avez été nommé ministre délégué aux Affaires étrangères et à la coopération en novembre 2002 et élevé au rang de ministre de plein exercice en octobre 2007.
Monsieur le Ministre, nous vous entendrons avec un grand intérêt nous présenter les priorités de la politique étrangère du Maroc avant d'engager le dialogue avec vous.
Le Maroc a obtenu, sous présidence française du Conseil de l'Union européenne, le « statut avancé » dans ses relations avec l'Union. Il est le premier État d'Afrique du nord à bénéficier d'un tel statut. Pouvez-vous nous donner des exemples concrets de sa mise en œuvre ?
Alors que l'Union pour la Méditerranée semble en passe de surmonter le blocage politique dû au conflit à Gaza, qui avait gelé son développement, pouvez-vous nous dire quelle est l'implication du Maroc en sa faveur ? Quelles sont, selon vous, ses chances de succès ?
Vous avez été chargé de négocier en 2002 l'accord de libre-échange entre le Maroc et les États-Unis. Comment envisagez-vous les relations entre les deux pays, à la lumière du discours du Caire prononcé par le Président Obama le 4 juin dernier ?
Avant de vous donner la parole, je souhaite la bienvenue à M. El Mostafa Sahel, ambassadeur du royaume du Maroc en France, présent à vos côtés.
M. Taïb Fassi-Fihri, ministre des affaires étrangères et de la coopération du Royaume du Maroc. Je vous remercie de l’honneur que vous me faites en me permettant de venir exposer notre vision des relations entre le Maroc et la France et notre conception du rôle du Maroc en tant qu’acteur régional. Les relations extérieures d’un pays s’expliquent par des facteurs historiques et géographiques. Le Maroc se trouve aux confins de l’Atlantique et de la Méditerranée, aux portes de l’Afrique et au « balcon occidental » du monde arabe et musulman. Cette situation géographique singulière crée des occasions de dialogue et d’échanges mais aussi une responsabilité particulière, car elle est à la croisée des chemins et aussi au cœur des menaces. Qu’il s’agisse d’immigration clandestine, de trafic de stupéfiants ou de petites armes, de trafics de tout genre, le Maroc se trouve sur l’itinéraire euro-africain.
Un deuxième facteur déterminant est le poids de l’histoire. Le Maroc n’est pas seulement arabe, il a des origines multiples : musulmane, berbère, juive, arabe, africaine et andalouse. Ce brassage de sensibilités lui donne une identité nationale forte ; il implique aussi un devoir d’écoute et de compréhension. Cette particularité nous fait ce que nous sommes et nous impose de défendre certaines valeurs.
On ne peut négliger un troisième élément : nos options de la première heure, celles que nous avons prises immédiatement après avoir recouvré l’indépendance. À l’inverse d’autres pays dans le même cas, nous avons privilégié un système politique pluraliste sous l’égide d’une monarchie attentive aux besoins, et mis l’accent sur l’ouverture économique. Tout cela n’a pas été facile et je me souviens d’avoir entendu, jeune homme, des doutes s’exprimer : comment le Maroc pouvait-il s’engager, si peu d’années après la fin de la colonisation française et espagnole, dans un accord avec ce qui était alors la Communauté économique européenne ? Pourtant, nous avons sciemment décidé de nouer et de maintenir ce lien.
Le quatrième élément qui explique les orientations de la diplomatie marocaine, c’est la convergence parfaite entre les valeurs que nous défendons à l’intérieur du Maroc et celles pour lesquelles nous nous battons en politique étrangère. Cela peut sembler évident, mais ce n’est pas toujours le cas dans les pays du Sud. J’appartiens à un Gouvernement attaché à moderniser l’économie, à lutter contre la pauvreté et à aménager le territoire de manière à améliorer le sort de la population, sous la forte impulsion royale. Ces objectifs sont aussi ceux que poursuit la diplomatie marocaine. Il n’y a donc pas de contradiction entre les efforts que nous accomplissons au Maroc et nos options en politique étrangère.
Quelles priorités résultent de ce schéma ?
Le Maroc est maghrébin ; nous considérons que c’est dans un Maghreb uni, renforcé et complémentaire que son développement se fera.
Le Maroc est membre de la Ligue arabe, ainsi que de l’Organisation de la conférence islamique, créée sur son sol en 1969. Nous sommes l’un des premiers pays arabes qui ont cru la paix possible au Moyen-Orient, et nous avons pris de multiples initiatives pour qu’elle se réalise. La paix est plus nécessaire que jamais dans cette région du monde car elle dépasse les seuls intérêts des pays concernés. L’absence de paix au Moyen-Orient est un mal qui menace l’ensemble des pays du monde, sans qu’aucun ne soit à l’abri de ce qui peut se passer. Un engagement collectif est donc nécessaire pour permettre la reprise d’une négociation globale ; en effet, la Palestine n’est pas la seule concernée et il faudra aussi régler les dossiers syrien et libanais. Le Maroc demeure engagé dans la recherche de la paix, qu’il estime toujours possible. Nous continuons d’affirmer, comme nous le faisons depuis les années 1970, alors que le sujet était tabou, qu’Israël a le droit d’exister dans des frontières sûres, à côté d’un État palestinien viable et indépendant.
Le Maroc, pays majoritairement musulman, s’efforce de jouer un rôle dans le dialogue entre l’Islam et l’Occident, et il s’est engagé dans la voie indispensable de l’écoute mutuelle.
Le Maroc est un pays africain, et je suis très heureux que nous ayons resserré nos liens avec l’Afrique, singulièrement avec l’Afrique subsaharienne. Nous avons signé plus d’accords avec des pays africains au cours des dix dernières années que nous ne l’avions fait depuis 1956 ; cela illustre notre volonté de renforcer la coopération Sud-Sud. Cette évolution dépasse le seul cadre gouvernemental ; des entreprises publiques et privées s’associent à l’application des accords passés. Nous souhaitons que la France s’insère dans ce cadre, car une coopération triangulaire, associant l’expérience de tous, aurait d’heureux effets.
Le Maroc est un pays méditerranéen, et qui dit « Méditerranée » dit « Euro-Méditerranée ». Je l’ai dit, nous avons fait très tôt le choix d’une relation forte avec l’Union européenne, et le couple Maroc-France est une locomotive du rapprochement entre le Royaume et l’Union européenne. Ce n’est pas un hasard si c’est à Paris qu’en 2000, Sa Majesté le Roi a appelé l’Union européenne à renforcer cette relation dans le cadre du statut avancé ; ce n’est pas un hasard non plus si ce statut a été accordé au Maroc en 2008 pendant la présidence française de l’Union. L’octroi du statut avancé signifie un engagement politique renforcé de la part du Maroc, engagement qui se traduit dans les multiples conventions auxquelles il est partie : conventions relatives à la justice, à la lutte contre la corruption, à l’État de droit, à l’égalité des genres. C’est en appliquant ces conventions et celles du Conseil de l’Europe que le Maroc pourra se moderniser. En matière économique, nous souhaitons aller vers un accord de libre-échange approfondi, qu’il s’agisse de l’agriculture - dans l’attente de la révision de la PAC que nous appelons de nos vœux – ou du secteur des services. Nous considérons le statut avancé comme une étape dans l’approfondissement nécessaire des relations entre le Maroc et l’Union européenne – car l’oxygène vient du Nord.
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