Ramallah, un miracle en sursis
10/11/2010 à 11h:20 Par Maxime Perez, à Ramallah
Sur la piste de danse du Snowbar, le 1er juillet. © Olivier Fitoussipour J.A.
Symbole d’un État palestinien en construction, la capitale de la Cisjordanie recueille les fruits d’une croissance fulgurante. Mais certains y voient une prospérité en trompe-l’œil tant qu’un accord de paix avec Israël n’aura pas été signé.
Les deux mains agrippées au volant de son taxi blanc, Iyad n’en revient toujours pas. Chaque fois qu’il traverse le quartier résidentiel d’Al-Maysoun, ce chauffeur palestinien semble subjugué par ce qu’il voit : « Bon sang, regardez-moi toutes ces baraques. On se croirait en Amérique. » Originaire de Jérusalem-Est, Iyad parle en connaissance de cause, lui qui a conduit des clients à Ramallah aux pires heures de la seconde Intifada, en 2000. « La situation est bien meilleure qu’auparavant. Beaucoup d’hommes d’affaires de la diaspora sont revenus s’installer ici. Ils ne sont pas arrivés les poches vides », dit-il. En plein cœur de la Cisjordanie, le siège de l’Autorité palestinienne offre l’image d’une enclave paisible, parfois bourgeoise, bien loin en tout cas des scènes de violence auxquelles elle fut longtemps associée. Seul le check-point de Qalandiya, à l’entrée sud de Ramallah, vient rappeler la réalité du conflit. Aux heures de pointe, des dizaines de gamins miséreux se ruent sur la longue file de véhicules qui attendent d’être fouillés par les soldats israéliens. Contre une poignée de shekels, ces chebab proposent aux automobilistes de nettoyer leur pare-brise ou bien de s’enrichir de quelques babioles.
À Ramallah, une page semble tournée. En témoignent les immenses panneaux publicitaires venus remplacer les posters à la gloire des « martyrs ». Autrefois investie par les blindés de Tsahal, la place Manara, avec ses statues de lions, a retrouvé son effervescence. Dans une poussière et un vacarme indescriptibles dont seules les capitales du Moyen-Orient ont le secret, passants et vendeurs ambulants disputent outrageusement la chaussée aux voitures qui tentent de se frayer un chemin. Du matin au soir, une foule de gens se presse au souk ou dans les nombreux commerces qui jalonnent la rue Al-Nahdha, l’une des grandes artères du centre-ville. Ramallah réapprend à vivre normalement et s’occidentalise. Sans désemplir, les bouibouis sont à présent concurrencés par des glaciers et des boutiques de vêtements qui font le bonheur des jeunes Palestiniennes, voilées ou non. Lorsque la nuit tombe, des enseignes lumineuses ornent les façades d’immeubles, rivalisant à leur tour avec les néons verts des minarets qui se dressent tout autour. L’ensemble n’est pas très harmonieux, mais revêt une allure féerique.
Au Snowbar, l’atmosphère est encore plus permissive. Situé en contrebas de la Mouqataa, quartier général de la présidence palestinienne, ce bar en plein air est l’incontournable point de chute des fêtards ramallaouis et de très nombreux expatriés. Affalés sur des fauteuils en osier, les jeunes se partagent un narghilé ou un joint. Au milieu des volutes de fumée, ils éclusent des bouteilles de Taybeh, la bière palestinienne. Sur la piste, hommes et femmes dansent la debka, main dans la main, puis se déhanchent au rythme de tubes orientaux. « Vu le contexte, venir s’éclater ici, ça relève du défi, affirme un ressortissant français installé à Ramallah. Toute cette énergie, c’est une façon de résister. » Dans le poumon économique de la Cisjordanie, faire la fête s’apparente à une vieille tradition. De riches familles arabes de Jaffa venaient déjà s’y divertir au milieu des années 1930, avant même la création de l’État d’Israël.
10/11/2010 à 11h:20 Par Maxime Perez, à Ramallah
Sur la piste de danse du Snowbar, le 1er juillet. © Olivier Fitoussipour J.A.
Symbole d’un État palestinien en construction, la capitale de la Cisjordanie recueille les fruits d’une croissance fulgurante. Mais certains y voient une prospérité en trompe-l’œil tant qu’un accord de paix avec Israël n’aura pas été signé.
Les deux mains agrippées au volant de son taxi blanc, Iyad n’en revient toujours pas. Chaque fois qu’il traverse le quartier résidentiel d’Al-Maysoun, ce chauffeur palestinien semble subjugué par ce qu’il voit : « Bon sang, regardez-moi toutes ces baraques. On se croirait en Amérique. » Originaire de Jérusalem-Est, Iyad parle en connaissance de cause, lui qui a conduit des clients à Ramallah aux pires heures de la seconde Intifada, en 2000. « La situation est bien meilleure qu’auparavant. Beaucoup d’hommes d’affaires de la diaspora sont revenus s’installer ici. Ils ne sont pas arrivés les poches vides », dit-il. En plein cœur de la Cisjordanie, le siège de l’Autorité palestinienne offre l’image d’une enclave paisible, parfois bourgeoise, bien loin en tout cas des scènes de violence auxquelles elle fut longtemps associée. Seul le check-point de Qalandiya, à l’entrée sud de Ramallah, vient rappeler la réalité du conflit. Aux heures de pointe, des dizaines de gamins miséreux se ruent sur la longue file de véhicules qui attendent d’être fouillés par les soldats israéliens. Contre une poignée de shekels, ces chebab proposent aux automobilistes de nettoyer leur pare-brise ou bien de s’enrichir de quelques babioles.
À Ramallah, une page semble tournée. En témoignent les immenses panneaux publicitaires venus remplacer les posters à la gloire des « martyrs ». Autrefois investie par les blindés de Tsahal, la place Manara, avec ses statues de lions, a retrouvé son effervescence. Dans une poussière et un vacarme indescriptibles dont seules les capitales du Moyen-Orient ont le secret, passants et vendeurs ambulants disputent outrageusement la chaussée aux voitures qui tentent de se frayer un chemin. Du matin au soir, une foule de gens se presse au souk ou dans les nombreux commerces qui jalonnent la rue Al-Nahdha, l’une des grandes artères du centre-ville. Ramallah réapprend à vivre normalement et s’occidentalise. Sans désemplir, les bouibouis sont à présent concurrencés par des glaciers et des boutiques de vêtements qui font le bonheur des jeunes Palestiniennes, voilées ou non. Lorsque la nuit tombe, des enseignes lumineuses ornent les façades d’immeubles, rivalisant à leur tour avec les néons verts des minarets qui se dressent tout autour. L’ensemble n’est pas très harmonieux, mais revêt une allure féerique.
Le futur quartier de Rawabi incarne l'émergence d'une nouvelle classe moyenne.
© Olivier Fitoussi pour J.A.
En quelques années, la localité palestinienne a opéré une étonnante métamorphose que nul ne peut contester. Partout, des chantiers, des immeubles neufs, des terrasses de café, et même des bars branchés qui soutiennent la comparaison avec ceux de Beyrouth et de Tel-Aviv. Associée à ses deux frères, Katia Sakakini a ouvert l’an passé Orjuwan, un somptueux restaurant gastronomique qui mélange cuisines italienne et palestinienne. Chaque soir, le bar lounge attire les plus belles jeunes femmes de Ramallah, mais aussi des Arabes-Israéliens de Haïfa et de Nazareth fraîchement débarqués avec leurs voitures de marque. Cocktail dans une main, cigare dans l’autre, les noctambules s’affichent sans complexe. Loin de mépriser son peuple, Katia considère que le conflit avec Israël n’interdit pas de bien vivre et de rêver. « Évidemment qu’on n’oublie pas Gaza. Mais dans cet endroit il y a pas mal de visiteurs étrangers. Pour moi, c’est comme une ambassade de la culture palestinienne. »Au Snowbar, l’atmosphère est encore plus permissive. Situé en contrebas de la Mouqataa, quartier général de la présidence palestinienne, ce bar en plein air est l’incontournable point de chute des fêtards ramallaouis et de très nombreux expatriés. Affalés sur des fauteuils en osier, les jeunes se partagent un narghilé ou un joint. Au milieu des volutes de fumée, ils éclusent des bouteilles de Taybeh, la bière palestinienne. Sur la piste, hommes et femmes dansent la debka, main dans la main, puis se déhanchent au rythme de tubes orientaux. « Vu le contexte, venir s’éclater ici, ça relève du défi, affirme un ressortissant français installé à Ramallah. Toute cette énergie, c’est une façon de résister. » Dans le poumon économique de la Cisjordanie, faire la fête s’apparente à une vieille tradition. De riches familles arabes de Jaffa venaient déjà s’y divertir au milieu des années 1930, avant même la création de l’État d’Israël.
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