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Révélations. Ben Barka, Hassan II et les autresSa disparition a mis dans l’embarras la France et le Maroc.(AFP)
L’avocat de la famille Ben Barka vient de publier un livre témoignage pour dire ce qu’il sait du célèbre Mehdi, mais aussi de Hassan II, De Gaulle, Castro, etc. Le résultat, dont TelQuelpublie de larges extraits, vaut le détour.“S’il vous plaît, laissez le prince gagner !”
Ma première rencontre avec le futur roi Hassan II aurait dû avoir lieu à Ifrane, au cours de l’été 1942 ou 1943. J’avais 13 ou 14 ans. Je jouais au tennis avec un ami lorsqu’un capitaine de l’armée française se
présente à la porte du court et m’interpelle : “Accepteriez-vous de jouer avec le prince ?”. Je ne comprends pas sa question.
- Avec quel prince ?
- Le fils aîné de Sa Majesté
le Sultan, le prince Moulay Hassan.
- Je joue assez mal et le prince ne sera sans doute guère intéressé par nos échanges de balles, lui réponds-je étonné.
- Bien sûr que si, car le prince ne joue que depuis peu. Mais une condition s’impose. Si vous acceptez de jouer avec lui, vous devez le laisser gagner.
La condition émise par l’officier me dresse les cheveux sur la tête ! Tout mon tempérament de “Sagittaire” me porte exactement au contraire… Il m’arrivera souvent de perdre au cours de ma vie, mais jamais dans aucun jeu, dans aucun sport, dans aucun procès, je ne l’ai fait ou accepté volontairement. Ma réponse fuse : “Prince ou pas, il n’en est pas question”.
L’accident-attentat contre la Volkswagen
Novembre 1962, Mehdi Ben Barka est victime d’un “accident”, véritable attentat contre sa personne. Il a quitté Rabat pour Casablanca, accompagné d’un futur député, Mehdi Alaoui, dans une Volkswagen, conduite par un chauffeur membre du parti. Le véhicule est suivi de près par une Peugeot 403 des services de police chargés de surveiller, depuis plusieurs jours, tous ses déplacements. A bord ont pris place des agents du CAB 1. Brusquement, dans une longue courbe surplombant un ravin non loin de Bouznika, la 403 accélère, passe devant la Volkswagen et se rabat devant elle, commettant ainsi, délibérément, ce qu’on appelle une “queue-de-poisson”. Pour éviter l’accrochage et la chute dans le ravin, le chauffeur de la Volkswagen donne un coup de volant brutal à gauche, renversant son véhicule de l’autre côté de la route, dans le fossé. Le chauffeur et Mehdi Alaoui se sont évanouis sous le choc. Ben Barka, éjecté du véhicule, non. Appelant de l’aide, il est entendu par des ouvriers agricoles proches qui viennent aussitôt lui porter secours, ainsi qu’à ses compagnons. Les policiers sont descendus de la 403 et reviennent en arrière. Constatant la présence de témoins, ils prennent immédiatement le chemin inverse et disparaissent avec leur véhicule ! Une voiture de passage transporte les victimes à Rabat. Par le plus grand des hasards, elle est conduite par le procureur du roi près la Cour Suprême ! Il est donc le premier informé de ce qui vient d’arriver. Sur le coup, Ben Barka ne s’est pas plaint. Mais, dès son retour chez lui, une douleur à la nuque le terrasse. Transporté d’urgence dans une clinique de la ville, la fracture d’une vertèbre cervicale est diagnostiquée. Cet établissement est le plus réputé de Rabat, mais son directeur entretient des relations étroites avec le Palais… Le parti place donc des gardes devant la porte de la chambre de Ben Barka, qui se relayent jour et nuit. Inquiet des soins qui lui sont prodigués et des allées et venues de “particuliers douteux”, son frère décide de l’emmener en Allemagne. Le 22 novembre, ils arrivent à Cologne. Après quinze jours de soins intensifs, Ben Barka est de retour, avec une “minerve”.
“Jamais il ne remettra les pieds au Maroc !”
Le roi, selon certains, a tenu au palais royal, dès le 25 mars 1965, un conseil restreint avec Oufkir, Dlimi, Moulay Hafid et Driss M’Hammedi, le directeur général du cabinet royal, pour évoquer le “cas Ben Barka”, peut-être beaucoup plus nocif à l’étranger que s’il était au pays. Son retour au Maroc s’imposait donc, d’une manière ou d’une autre, de son plein gré - ce que le roi savait impossible - ou de force. En même temps qu’il reçoit les représentants des partis en avril, Hassan II cherche donc à prendre contact avec Mehdi Ben Barka. Espère-t-il ainsi diviser les dirigeants de l’UNFP ou songe-t-il, réellement, à lui confier une responsabilité importante dans la grave crise que vit le Maroc ? Ne va-t-il pas simplement tenter de l’appâter, de le piéger, pour le convaincre de rentrer de son plein gré servir le pays ? En fait, pour l’arrêter, voire le liquider, dès son arrivée ? Le roi n’a-t-il pas averti le 13 avril : “Tous ceux-là doivent comprendre que le temps des complots et des troubles est révolu… J’attire leur attention que notre clémence n’aura d’égal que notre fermeté” ? Simone Lacouture raconte dans L’Evénement, en octobre 1966 : “Il y a deux ans lorsque je fus reçue pour la dernière fois par le roi, on parlait du retour de Ben Barka, à la suite de la mesure royale d’amnistie des condamnés du complot de juillet. Lorsque je lui ai demandé si cette éventualité était envisageable, il bondit comme sous l’effet d’une insulte : ‘Ben Barka ? Jamais, vous entendez ! Jamais il ne remettra les pieds au Maroc. Souvenez-vous de ce jour et de ce que je vous dis : jamais Ben Barka ne rentrera ici. Je vous en donne ma parole d’honneur’”.
Quand Castro dit non
Avant le “retour de force” de Ben Barka au Maroc, Hassan II tente de lui couper ses “élans révolutionnaires”. Au moment même où, pour l’inviter à rentrer de son plein gré, il envoie le prince Moulay Ali à Francfort, il prie Fidel Castro de ne plus le recevoir à Cuba…au risque de voir abandonné par le Maroc l’important contrat signé début 1965 pour l’importation d’environ 150 000 tonnes de sucre, chaque année. Le coup est très dur pour Cuba, qui risque alors de perdre un gros client : le Maroc. Mais c’est mal connaître le “lider maximo”. Fidel Castro n’accepte pas le marchandage hassanien : “Que le Maroc cesse d’acheter son sucre à Cuba, s’il le veut, mais pas de chantage à l’égard de mon ami le président Ben Barka”. En revanche, Fidel Castro avertit fin septembre le leader marocain de la requête du gouvernement marocain à son encontre. La “démarche” de Hassan II est connue des services français. Je l’ai retrouvée dans le dossier du SDECE (contre-espionnage français). Un deuxième avertissement lui est donné, indirectement, au cours de l’été. Sa famille en résidence au Caire reçoit conseil de déménager dans un quartier plus résidentiel, plus surveillé par la police égyptienne. Ce qu’elle fait.
TelQuel
(à suivre)
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